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Les folkeux sont-ils les nouveaux punks?

Bouchez vous le nez, mais ouvrez vos oreilles. Nous partons à la découverte de ces punks des temps modernes.

Par
Éric Faucher
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Prenez l’irrévérence, la fougue et la rage du mouvement punk, mixez ça avec les instruments de musique acoustique, le goût du voyage et les dreadlocks des hippie et mélangez le tout avec la consommation d’alcool et de drogues ainsi que l’hygiène propre aux deux communautés et vous obtenez la recette parfaite de la scène folk sale québécoise. Et non, ce n’est pas exactement ce qu’on peut qualifier de propre !

La formation d’une scène

Les bands regroupés au sein de cette scène musicale bien de chez nous sont nombreux et variés. Au départ, on retrouvait surtout des groupes politisés formant une galaxie assez hétéroclite que différents événements ont fini par rapprocher. La grève générale étudiante de 2012 a donné lieu à plusieurs concerts où on pouvait voir des formations telles que Tintamare, Les Sofilanthropes, Mise en Demeure ou encore Chahut d’ruelle.

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Puis en ce même été 2012, la Coop Coup D’Griffe, une entreprise alliant studio de sérigraphie et organisation de shows a décidé d’organiser le Fabuleux Festival International du Folk Sale à Sainte-Rose-du-Nord au Saguenay. En plus de donner un nom à cette nouvelle entité musicale, le festival permit de prendre la scène plus militante liée au Printemps Érable puis de la mélanger avec des groupes anglophones tels que The Steady Swaggers ou Bad Uncle. Enfin, des artistes québécois un peu plus connus comme Canailles, Bernard Adamus, Keith Kouna et Québec Redneck Bluegrass Project ont participé également à cette première édition du festival. Une scène était née !

Au fil du temps, plusieurs autres formations musicales se sont greffées à cette communauté que les anglophones appellent folk-punk. Elles portent des noms comme Les Chiens de Ruelles, Collectif Stompin’ Trees, Hard Up, Carry Me Home, Street Meat, Bats in the Belfry, Robert Fusil et les chiens fous, Primitive Workers Songbook, Banitsa, Cartel Pigeon, Old Time Honey, Faudrait Faire la Vaisselle, Nulle Part Nord ou encore Ze Radcliffe Fanfare.

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S’il est difficile de cerner précisément cette communauté du côté musical, on peut toutefois souligner que c’est une scène qui évidemment tourne autour des sonorités folk, mais avec des influences pouvant varier entre le country, le rock, le blues, le punk, la musique gitane, la chanson française ou irlandaise et des dizaines d’autres styles. Le tout est joué sur une flopée d’instruments de musique en tout genre : guitare sèche, mais aussi violon, banjo, mandoline, harmonica, contrebasse, accordéon, planche à laver, clarinette et parfois même des cuivres.

« C’est une drôle de bibitte, cette scène-là, parce que les bands qui s’y rattachent ne jouent pas pantoute le même genre musical », m’explique Robert, chanteur du groupe Robert Fusil et les chiens fous. « Jamais je ne me suis dit que j’allais jouer du folk sale dans la vie. Ce qui nous a rassemblés, c’est plus la crowd qu’on attire dans nos shows, c’est ça qui forme une scène », rajoute celui qui participait également à Mise en Demeure auparavant.

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« L’opposé du folk des Sœurs Boulay »

Les thèmes abordés par le folk sale québécois sont nombreux, mais certains se démarquent particulièrement. La culture de consommation y revient fréquemment, à la fois sous l’angle positif de la fête et des partys entre amis, mais également sous l’angle du lendemain de brosse, de l’évasion d’une réalité difficile. Le voyage, le goût d’aller voir ailleurs font également régulièrement l’objet de chansons liées à cette scène.

Mine de rien, sous ses airs festifs, le folk sale cache souvent une critique de la précarité, particulièrement pour une jeunesse qui ne voit pas de futur dans la société telle qu’on la connaît. Des paroles traitant du fait de ne pas avoir une cenne pour payer son loyer, de manger dans les poubelles ou même de voler à l’épicerie sont monnaie courante dans cette scène.

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« Dans le fond, c’est une gang de marginaux avec une haine du travail et du 9 à 5. On touche à des gens qui ne sont pas bien avec le monde dans lequel on vit, mais qui n’ont pas envie que notre musique soit un plaster. Du monde qui a envie de gueuler que ç’a pas d’allure ! », renchérit Robert Fusil lorsqu’il est question du public attiré par la scène.

Les nouveaux punks

Tout comme les punks avant eux, les folkeux (c’est souvent le nom qu’on leur donne) apprécient particulièrement la vie en communauté, qu’elle soit urbaine ou de la campagne. Qu’ils s’inscrivent dans une démarche politique de rejet du système ou non, ces derniers ont développé un mode de vie qui entre certainement en contradiction avec le métro-boulot-dodo.

En effet, sans avoir inventé rien de tout ça, la communauté folk s’est réapproprié plusieurs moyens de subsistance qui permettent de ne pas avoir une job steady. Le plus répandu de ceux-ci est le busking, c’est-à-dire le fait de jouer de la musique dans la rue pour amasser un peu d’argent. Il est aussi fréquent pour les folkeux de pratiquer le dumpster diving ou l’art de trouver sa nourriture dans les poubelles des épiceries. Finalement, la pratique du train hopping, une vieille technique qui consiste à sauter sur un train de marchandise pour se déplacer gratuitement est également fréquente.

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« J’en ai fait gros du busking, pis avant d’avoir une job, c’est comme ça que je gagnais mon argent », commente Wawa, musicien au sein des défunts groupes Hard Up et The Heroin Hayride. « Tu n’as même pas besoin de te payer un jam space, juste à avoir ton instrument, pis tu peux te promener de ville en ville, ce qui est un peu le rêve de tous les musiciens. »

Le folk sale emprunte également au punk la culture du Do It Yourself (DIY). Il s’agit d’essayer d’éliminer le maximum d’intermédiaires de l’industrie dans sa pratique musicale. Avec ses instruments acoustiques, c’est, dans les faits, encore plus simple pour les folkeux à faire, puisqu’ils n’ont même pas besoin de salle de spectacle ou d’électricité pour jouer. La plupart des groupes de la scène sont donc totalement indépendants et fabriquent eux-mêmes la merch qu’ils vendent. Robert Fusil et les chiens fous ont même réussi l’autoproduction de leur dernier album de A à Z.

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« Des p’tits crisses »

« C’est comme un renouvellement du punk. La scène punk classique est vieillissante tandis que le folk-punk attire pas mal plus les jeunes. Comme le punk avant, ça rassemble surtout des p’tits crisses ! », indique Wawa, provenant lui-même d’abord de la scène punk avant de tomber dans le folk.

Le 17 avril dernier avait lieu le concert d’adieu du groupe Tintamare, pionnier de la scène folk sale québécoise. C’est à l’intérieur d’un Club Soda endiablé et bien rempli que le groupe a livré sa dernière performance dans l’indifférence des médias. À la fin du spectacle, une escarmouche a éclaté avec la police sur la rue Ste-Catherine. Les folkeux en profitent pour allumer un grand feu au beau milieu de la rue et renverser du mobilier urbain sur plusieurs pâtés de maisons.

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« Cet ostie de feel-là de vouloir toute péter, de vouloir foutre le feu, c’est ça qu’on dit au final dans nos textes », soutient pour sa part Robert Fusil dont le groupe devrait lancer un nouvel album live en mai prochain. « Tu peux pas mieux tourner la page sur un band que dans une émeute pis dans le gaz lacrymogène ! »

Bref, c’est un peu ça l’esprit du folk sale !