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Avez-vous reçu récemment les 10 conseils de Facebook pour identifier les fausses nouvelles? Ce n’est rien de très poussé: regardez la source, faites attention aux titres racoleurs et aux photos trompeuses, assurez-vous que ce ne soit pas une blague… bref, tout ce qu’on sait déjà si on s’intéresse le moindrement à ce qu’on lit.
Mais le fait que Facebook ait intégré cette liste directement dans le fil d’actualité de ses usagers démontre quelque chose: le réseau social prend au sérieux la prolifération des fausses nouvelles.
De quoi a-t-on peur?
Les sites clairement satiriques comme The Onion ou Le Journal de Mourréal, ce n’est pas ce qui dérange vraiment. Oui, quelques personnes partagent leur contenu en y croyant sincèrement, mais la plupart des gens comprennent la blague.
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La satire, c’est un genre vieux comme le monde (ou en tout cas aussi vieux que l’Antiquité grecque). Ça peut mener à rire ou à réfléchir. Et surtout, c’est produit avec ce genre d’intention.
Les fausses nouvelles qui dérangent plus, ce sont celles qui sont produites avec des visées partisanes ou commerciales, avec l’objectif clair d’utiliser des fausses informations qui vont galvaniser les gens pour leur faire adopter un comportement (politique ou commercial).
«Quand quelqu’un écrit qu’Obama est musulman, ce n’est pas un mensonge; cette personne ne croit simplement pas le président quand il dit qu’il est chrétien.»
Le phénomène est particulièrement bien illustré dans cette enquête publiée dans La Presse +, dans laquelle un journaliste raconte sa visite de l’«usine à fausses nouvelles» de Liberty Alliance, située en Géorgie, ouvertement pro-Trump, qui alimente plusieurs sites très populaires avec des articles comme Hillary Clinton serait une bisexuelle obsédée par le sexe.
Quand le journaliste demande à Onan Coca, rédacteur en chef de Liberty Alliance, de justifier un fait infondé souvent propagé par son entreprise médiatique (soit qu’Obama est musulman), celui-ci est embarrassé et donne cette réponse: «Quand quelqu’un écrit qu’Obama est musulman, ce n’est pas un mensonge; cette personne ne croit simplement pas le président quand il dit qu’il est chrétien.»
Ça ne passerait pas dans un beaucoup de cours de journalisme, une preuve comme ça…
Une garantie de véracité Facebook?
Facebook est apparemment en train de tester une fonctionnalité anti fausses nouvelles. En tentant de partager des liens douteux, certains usagers ont été confrontés à une alerte les avertissant que le contenu qu’ils s’apprêtent à partager est considéré par plusieurs vérificateurs comme étant faux. S’ils postaient le lien quand même, celui-ci apparaissait avec un message d’avertissement.
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La fonctionnalité est manifestement encore à l’état de test: peu d’exemples se retrouvent en ligne, et en essayant de partager le même article sur ma page Facebook, je n’ai absolument pas obtenu cette alerte.
Le problème avec ça (outre le fait que Facebook ne semble pas payer ses vérificateurs)? Eh bien, il y a déjà le fait que Facebook et ses algorithmes ont déjà bien assez de pouvoir comme ça.
Si on empêche les gens de dire quelque chose, ils iront le dire ailleurs.
Mais aussi, Onan Coca, le rédacteur en chef mentionné précédemment, le dit très bien: «Nos lecteurs viennent sur nos sites parce qu’ils ne veulent rien savoir des médias traditionnels. Les médias grand public peuvent nous traiter de “fake news” autant qu’ils le veulent, nos lecteurs s’en foutent.»
Et même si Facebook avait la (terrible) idée d’empêcher ses usagers de partager ces contenus, en général, si on empêche les gens de dire quelque chose, ils iront le dire ailleurs. Cet outil d’alerte pourrait donc être intéressant, mais loin de changer quoi que ce soit au fond du problème.
Dire n’importe quoi, par contre, ça a généré plus de 10 millions de dollars en 2016, pour le site Liberty Alliance.
Media culpa
Les médias seraient-ils les grands coupables de cette crise de confiance?
Produire des nouvelles, bien souvent, ça coûte cher. Le journalisme d’enquête, c’est un processus fastidieux, qui ne mène pas toujours à de grandes découvertes. Sauf qu’à la fin de la journée, le journal doit quand même être plein, l’émission de radio ou de télé doit quand même durer un nombre X de minutes, et les sujets du jour doivent être couverts rapidement.
Dire n’importe quoi, par contre, ça ne coûte pas cher: c’est pour ça que Liberty Alliance a généré plus de 10 millions de dollars en 2016. Donnez ça à une salle de nouvelles, et je crois qu’ils vont en faire, des bons reportages!
Les faits ne sont peut-être pas si importants pour nous, quand on nous dit ce qu’on veut entendre.
L’argent étant comme toujours le nerf de la guerre, Google a d’ailleurs coupé récemment les revenus de 200 sites de fausses nouvelles, dont le World News Daily Report (WNDR), site satirique dont le contenu très populaire a mené à de nombreuses méprises (et qui, fun fact surprenant, appartient aux créateurs du Journal de Mourréal, comme le remarque le journaliste Jeff Yates…)
Les faits sont-ils si importants?
Pourquoi, malgré tous les sites de fact-checking, les fausses nouvelles continuent-elles de pulluler?
Parce que les faits ne sont peut-être pas si importants pour nous, quand on nous dit ce qu’on veut entendre.
Ça peut sembler complètement contre-intuitif, mais regardons cela sous cet angle: si une nouvelle vient nous chercher instinctivement. Émotivement. Qu’on sent jusqu’au plus profond de nous que ça correspond à la vérité qu’on expérimente, ou en tout cas que ça la reflète. Pourrait-on être tentés d’embarquer, même si «quelques faits ne sont pas 100% vrais»?
À force d’être répétées, les histoires deviennent des mythes.
Lorsqu’il était président des États-Unis, Ronald Reagan (qui est aussi un ancien acteur) ne se gênait pas pour inventer des histoires et les répéter encore et encore en entrevue, malgré le fait que les journalistes mentionnaient chaque fois dans l’article que celles-ci étaient fausses.
On peut dire qu’il ne mentait pas, puisqu’il ne tentait pas de dissimuler ses mensonges: il fabulait. Il transformait des histoires fausses en contes moralisateurs, qui au final traduisaient une réalité ressentie par l’électorat, qu’elle soit vraie ou non. Il ramenait entre autres le cas d’une femme de Chicago, la Reine de l’aide sociale, qui fraudait pour plusieurs milliers de dollars les Américains. Cette femme soulevait les passions… alors qu’elle n’existait pas. Mais à force d’être répétée, son histoire était devenue un mythe, et ainsi, elle existait, et offensait une partie de l’électorat américain.
Les bienfaits du scepticisme
Tout cela pourrait en tout cas expliquer comment des gens si sceptiques par rapport aux médias traditionnels ne requièrent pratiquement aucune preuve de la part des médias alternatifs pour les croire: ceux-ci leur disent seulement ce qu’ils veulent entendre.
Le constat est assez déprimant, et s’il est difficile de trouver une solution à tout cela, on peut se rappeler qu’au-delà des 10 recommandations de Facebook, il y en a un principe qu’on n’a jamais tort d’appliquer.
Il faut tout remettre en question. Ce qui ne nous plaît pas, mais aussi ce qui nous plaît.
Celui-ci est contenu de façon très concise dans cette phrase, publiée il y a quelques années dans le magazine étudiant de McGill Bull & Bear, qui m’a marquée lors de sa lecture et qui ne m’a jamais déçue par la suite: «If there’s one thing that I’ve learned over my twenty years of existence is that anything that advertises itself as “the truth” should probably be taken with a grain of salt.»
Apprendre à gérer ses grains de sel et développer son esprit critique me semble être la meilleure chose à faire. Remettre en question non seulement ce qui ne nous plaît pas, mais aussi ce qui nous plaît, et utiliser notre jugement.
Parce que malgré les ravages que peuvent faire les fausses nouvelles, la solution ne peut pas être la censure. La liberté d’expression comprend aussi, et c’est fort heureux, le droit de dire des conneries.
Pour lire un autre texte de Camille Dauphinais-Pelletier: «La fraude dans l’ère «post-princes nigérians»»
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