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Dans son nouveau film Les discrètes, la réalisatrice Hélène Choquette nous invite à boire une bonne tasse de camomille dans le petit salon des Sœurs de la Providence, au dernier étage d’un immeuble en flamme.
Les discrètes nous plonge au cœur de la congrégation des Sœurs de la Providence, une communauté religieuse née à Montréal en 1843 et qui se consacre aux plus démunis. En filmant le quotidien de ces femmes, la réalisatrice dresse par omission un portrait acerbe de notre société actuelle et des temps à venir.
Dès le titre, la discrète fait écho à son opposée, l’ostentatoire. Avant d’être un mot servi à toutes les sauces pour alimenter un débat sur le caractère alarmant ou non d’une tête voilée, l’ostentation dans sa connotation première signifie faire parade de ses qualités ou de ses avantages.
Quand on se décide pour un téléphone à mille dollars plutôt que pour un autre moins couteux, on pèche souvent par ostentation : on en profite pour montrer à notre entourage qu’on en a les moyens, qu’on est une personne fréquentable et ça nous distingue de tout un tas d’animaux de bassecour.
L’ostentation, c’est parfois faire des choses stupides juste parce qu’on peut.
Parfois, c’est le fun mais là où le bât blesse, c’est quand l’objet de notre ostentation n’est pas seulement un bonus pour nous qui le possédons mais un gros point noir dans la figure de celui qui ne le possède pas. On évolue dans un monde où tout est codé et même un t-shirt donne à penser sur notre identité profonde. L’une des sœurs présentes dans le film, consciente du danger, le souligne très bien : « s’habiller laïc, c’est toujours un problème : on ne sait jamais quoi se mettre. »
Les magazines auraient donc raison de nous mettre en garde contre le fashion-faux pas. Mais glissons-nous un instant dans la peau de cette femme ou de cet homme qui, à un moment, a fait un vrai pas de côté, voire plusieurs. Si ce n’est pas évident de sortir avec des chaussures « so 2013 », avoir les dents usées par 20 ans de consommation de drogues, c’est tout de suite une autre paire de manches. Au-delà des apparences physiques, 20 ans c’est long : ça laisse le temps d’intégrer tout un tas de comportements et d’en oublier d’autres. Mais sur le temps d’une vie, c’est pas grand-chose et admettons que cette femme ou cet homme ait vraiment la force de s’en sortir et qu’elle / il y arrive, elle / il continuera à porter les stigmates de son histoire et ça, ça ne pardonne pas.
Ça ne pardonne pas parce que aujourd’hui, l’échec ne fait plus partie de notre vocabulaire. Depuis qu’on est petits, on nous a collé comme animal de compagnie la chimère du parcours parfait (être sur la plus haute marche du podium, décrocher des mentions puis se trouver un bon parti ou une femme bête et jolie et puis vous connaissez la suite) et que cette petite bête-là continue à être nourrie par tout un tas de publicitaires, qui nous flattent en nous racontant que ce chandail Abercrombie, taillé sur mesure pour des gens beaux, minces et riches est fait pour nous et qu’on l’a mérité.
Brisons un peu nos propres mythes et admettons qu’on a surtout eu une chance énorme, comme celle de ne pas avoir perdu sa mère à l’âge de 5 ans, morte du SIDA et d’être resté seul avec son père junkie. Gardez vos drama queen pour votre soeur, je n’invente rien: c’est l’histoire bien réelle d’une des intervenantes du film, Kathie, qui a été recueillie à l’âge de un an et demi par la sœur Annette.
Et c’est comme ça que les Sœurs de la Providence interviennent : elles ouvrent la porte aux moins chanceux et s’adressent à eux comme à des êtres humains. Elles ne font pas des miracles, elles ne transforment pas l’eau en vin : elles se contentent de regarder un homme dans les yeux, même quand il n’a pas souvent l’occasion de se laver et elles l’écoutent. Une activité à la portée de tous, qui ne demande pas l’acquisition d’un matériel particulier.
À nos athéistes les plus clairvoyants et à ceux qui se sont fait tatouer carpe diem sur le front, ne vous fatiguez pas à cracher dans le bénitier, le bien-fondé ou non de la religion ce n’est pas le sujet de ce film.
Durant l’entrevue qu’elle m’a accordée, Hélène Choquette a tenu à être claire sur ce point :
« Les discrètes, ce n’est pas un travail de journalisme. Je suis une documentariste avant tout et même si je respecte une certaine rigueur journalistique, je ne cherche pas forcément le contre-point de vue. J’ai choisi de ne pas critiquer l’institution religieuse. On sait que l’église a commis des erreurs par le passé mais ce n’est pas ce que je voulais questionner. On a voulu faire un film sans fard, simple, qui ressemble aux Soeurs. Les discrètes ce n’est clairement pas un film d’action mais c’est un film de bonnes actions. »
Les discrètes, c’est une réflexion sur le poids de nos actes, sur ce qu’ils racontent de nous et sur notre besoin criant de pouvoir échapper de temps à autre aux jugements. À travers le regard de la réalisatrice, on entre dans le monde de l’anti bling-bling.
C’est aussi un film qui raconte le temps qui passe et la manière dont notre société a évolué au cours du dernier siècle. Et même si les discrètes sentent un peu la boule à mites des fonds de tiroirs de nos anciens, on en vient à se demander si elles ne sont pas beaucoup plus en avance sur notre temps que nous.
« Aujourd’hui, on parle beaucoup de décroissance. Les Sœurs remplacent l’élastique de leurs jupes plutôt que d’aller en acheter une nouvelle, elles récupèrent le linge des Sœurs décédées. Ce sont des femmes qui vivent dans une véritable simplicité. »
Pour conclure mon interview sur une note positive, j’ai demandé à la réalisatrice comment elle envisageait notre futur proche :
« Quand j’ai réalisé Les réfugies de la planète bleue [qui abordait la thématique des réfugiés climatiques], la monteuse m’a demandé pourquoi je n’avais pas fait un happy-ending. J’ai été obligée de lui dire qu’après trois ans de recherches et de tournage, je ne voyais pas de solution. Le problème est tellement global et puis on est sectaires, tous refermés chacun sur notre petite réalité, sur notre petit confort. »
Plus tard, les Internets m’informaient d’un nouveau phénomène de mode chez nos jeunes les moins aguerris : se photographier en utilisant comme décor les itinérants que l’on trouve sur son chemin. Je ne peux donc que donner raison à Hélène, 2050 ça ne sera vraiment pas drôle.
Mais en attendant, profitons-en pour aller voir Les discrètes : Comme un dimanche chez grand-maman, c’est pas palpitant mais ça met du baume au cœur. Et puis, on sait qu’elle n’en a plus pour très longtemps.
Le film Les discrètes sera présenté le 22 février en avant-première à l’auditorium de la Grande Bibliothèque, dans le cadre des Rendez-Vous du Cinéma Québécois.
Plus d’informations : http://www.rvcq.com/festival-32e/programmation/films/1786/discretes-les
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(Photo de l’en-tête: tirée du film Les discrètes)