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Les deux vies d’Anne Bisson
Anne Bisson est un souvenir bien précis dans la culture populaire québécoise:
Pour les moins de 35 ans non initiés, Coup de Foudre était une espèce de version préhistorique de Love is Blind où des quidams essayaient de trouver le grand amour pendant une session de speed-dating à l’aveugle de 30 minutes. Devant public en plus! Vous vous en doutez, c’était extrêmement populaire.
Anne Bisson, c’était un peu la Jay Du Temple de l’époque. Bachelière en piano à l’UdeM, gagnante du concours Étoiles du Maurier en 1984 et interprète de Cristal dans l’opéra rock Starmania, rien ne la destinait aux plateaux de télévision ni à aider René, votre cousin bizarre, à gagner le coeur d’une inconnue de l’autre côté d’un panneau en MDF. Bien qu’il ait marqué les esprits au fer chaud, son passage à Coup de Foudre n’était pas du tout planifié.
Le temps d’un été… un très long été
«À l’époque, je faisais de la pub pour gagner ma vie, » m’explique-t-elle au bout du fil. On pouvait la voir dans les commerciaux d’Ivory, Chalet Suisse et plusieurs autres. «Quelqu’un m’a vue dans le bottin de l’Union des Artistes et m’a invitée à auditionner pour l’émission. Au départ, c’était censé être juste le temps d’un été. »
Bien que Coup de Foudre soit considéré comme un classique du kitsch romantique québécois, notre fascination collective pour les quêtes amoureuses de nos semblables n’a pas vieilli.
Elle restera à la barre de l’émission aux côtés de son co-animateur Yves Gionet pendant quatre ans. «C’était vraiment l’ancêtre de la télé-réalité,» raconte-t-elle, entre deux séances de cours données sur Zoom. Bien que Coup de Foudre soit considéré comme un classique du kitsch romantique québécois, notre fascination collective pour les quêtes amoureuses de nos semblables n’a pas vieilli. Dans l’imaginaire collectif des gens qui ont vécu la belle époque de TQS, elle était la meilleure représentante de Cupidon du petit écran.
Pas nostalgique pour deux sous, elle me parle de l’émission comme d’un souvenir lointain: «Ce n’était pas une expérience négative, mais ce n’était pas à l’image de qui je suis et lorsque tu as beaucoup de succès dans un domaine, on ne te donne comme pas la permission de faire d’autre chose. Quand je suis retournée à la chanson, j’étais “l’animatrice qui voulait faire de la chanson” dans la tête de beaucoup de gens alors qu’en fait, c’était le contraire.»
«Ce n’était pas une expérience négative, mais ce n’était pas à l’image de qui je suis.»
Ainsi, sans mauvais jeu de mots, elle a suivi son coeur, tiré sa révérence de la business de l’amour et du désir pour mieux se consacrer à la musique.
Le vrai amour d’Anne Bisson
Mon idée au départ était de discuter avec Anne Bisson de l’évolution du traitement de l’amour dans la culture populaire québécoise, de ce qu’on en a fait notamment dans les télé-réalités. C’était mal comprendre comment elle s’est redéfinie après Coup de Foudre. On est plusieurs à être restés stickés sur un souvenir de cette pittoresque émission de variétés, mais pas elle. La fin de ses engagements télévisuels a plutôt été le début d’une nouvelle étape.
Elle a fondé une famille, entrepris un deuxième baccalauréat en chant et a enseigné la musique pendant presque vingt ans avant de revenir à ses premiers amours: le jazz et la chanson. En 2009, elle a lancé l’album qui a changé le cours de sa vie, Blue Mind. «Je n’aurais pas pu écrire cet album-là avant. C’est la somme de mes expériences qui m’a emmené là où je suis,» dit-elle.
«Je n’aurais pas pu écrire cet album-là [Blue Mind] avant. C’est la somme de mes expériences qui m’a emmené là où je suis. »
Une carrière de musicienne jazz n’apporte pas nécessairement la même reconnaissance ni la même visibilité qu’une carrière télévisuelle. «C’est sûr que c’est une niche, mais c’est grâce à cette niche que je peux faire ce que je fais» rajoute Anne avec philosophie. «J’aimerais beaucoup faire plus de spectacles au Québec, mais les opportunités sont limitées étant donné qu’une partie de mon répertoire est en anglais. Je fais le Festival de Jazz quand Festival de Jazz il y a, bien sûr.»
Avant que la COVID ne frappe, elle partageait son temps entre son entreprise et les séries de spectacles, des États-Unis jusqu’à la Chine, là où se trouve une grande partie de son auditoire. «Je devais prendre l’avion environ une fois par mois, soit pour un concert ou un enregistrement. C’est quelque chose d’arrêter sec, comme ça.»
C’est que non seulement Anne Bisson est chanteuse, mais elle est aussi femme d’affaires, ce que je découvre en lui posant une question toute simple sur Spotify. Elle est à la tête de Camilio Records, une petite étiquette de disque qui produit et distribue sa propre musique, ainsi que celles du saxophoniste Jean-Pierre Zanella et du compositeur de musique de film Guy St. Pierre.
Son entreprise offre également des produits pour audiophiles à l’aide de son conjoint Daniel Jacques, des vinyles 33 tours jusqu’aux bobines master reel-to-reel. Si vous passez quelques minutes à fouiller les forums spécialisés sur Google, vous comprendrez vite qu’ils ont une excellente réputation dans le domaine.
La cupidon en papier mâché du petit écran est loin derrière. Je comprends mieux pourquoi elle me parlait de Coup de Foudre avec un certain détachement dans la voix. Il y a toute une vie qui sépare la Anne Bisson d’aujourd’hui de la Anne Bisson dont on se souvient. Ou plutôt de l’image de la Anne Bisson dont on se souvient.
«Avec le temps, je me rends compte que même si on vieillit, on ne vieillit pas vraiment. Il y a des choses dont on a besoin toute notre vie.»
Avant de raccrocher, je lui demande quel a été son moment le plus fort sur le plateau de l’émission. «J’ai beaucoup aimé l’émission où on a reçu des personnes plus âgées. Avec le temps, je me rends compte que même si on vieillit, on ne vieillit pas vraiment. Il y a des choses dont on a besoin toute notre vie.»
C’était bien Coup de Foudre, mais c’est peut-être le temps de faire comme elle et de passer à autre chose. Sauf pour l’amour.