« J’ai trouvé ça tellement aberrant que je pensais que c’était une blague. Mais en même temps, je n’étais pas tellement surprise, malheureusement. ». Voilà la première réaction de Stéphanie Roussel, autrice et candidate au doctorat en sémiologie à l’UQAM, lorsqu’elle a appris que l’institution poursuivait l’une de ses étudiantes.
En effet, Hélène Boudreau, une étudiante en arts visuels et créatrice de contenu sur OnlyFans, s’est vu intenter une poursuite de 125 000$ pour avoir publié une photo osée, arborant le logo de l’établissement. Au moment d’écrire ces lignes, les deux parties sont en négociation.
Juste avant le week-end de Pâques, Cato Fortin et Stéphanie Roussel, qui réfléchissent toutes deux aux traitements réservés aux corps des femmes et des personnes queers dans leurs travaux universitaires, se sont demandé comment manifester leur soutien à leur collègue uqamienne. C’est comme ça qu’est né le mot-clic #papaUQAM.
Combattre le feu par le feu
« L’idée nous est venue tout de suite, explique Stéphanie Roussel, qui ne s’attendait pas à ce que le mouvement résonne si largement. On a décidé de faire la même chose qu’Hélène, c’est-à-dire se prendre en photo en sous-vêtements avec le logo de l’UQAM, pour lui enlever un peu du poids juridique qui pèse sur ses épaules. Le but était surtout de poser une action concrète, de dénoncer le paternaliste de l’institution et d’attirer l’attention publique sur la situation. »
«On a décidé de faire la même chose qu’Hélène, c’est-à-dire se prendre en photo en sous-vêtements avec le logo de l’UQAM, pour lui enlever un peu du poids juridique qui pèse sur ses épaules.»
Mission accomplie: depuis quelques jours, des centaines de personnes, majoritairement des femmes, ont pris part au mouvement, en publiant des photos suggestives accompagnées de diplômes et de logos de l’université, sans parler de la large couverture médiatique. La page nuQAM a également vu le jour, un compte Instagram qui se définit comme « un espace sûr pour soutenir le mouvement #papaUQAM » et sur lequel il est possible d’envoyer une photo qui pourra être publiée de manière anonyme….ou pas.
Stéphanie et Cato souhaitaient également ouvrir un dialogue sur le travail du sexe, un sujet encore tabou et controversé. « Oui, on veut que le mouvement serve à soutenir Hélène Boudreau, mais on veut aussi qu’il soutienne tou.te.s les travailleurs et travailleuses du sexe. On ne veut pas que tout ça ne serve qu’à un cas isolé », explique Stéphanie, qui espère que cette initiative servira à générer une prise de conscience des stigmas qui pèsent sur les travailleur.euse.s du sexe.
Au fil de la discussion téléphonique avec Stéphanie Roussel, je lui fais part de mon amusement d’avoir suivi l’évolution du mouvement pendant le week-end de Pâques, la plus importante fête chrétienne. N’était-ce pas Marie-Madeleine, une contemporaine de Jésus, qui est souvent considérée comme une travailleuse du sexe et qui apparaît seins nus dans différents tableaux? Bref, je ne pensais pas parler de religion catholique avec Stéphanie, mais c’est arrivé!
La vertu de l’hypocrisie
En parcourant les nombreuses publications Instagram centralisées sous le #papaUQAM, j’ai remarqué qu’un mot revient souvent dans les différentes prises de parole: hypocrisie.
«L’UQAM n’hésite jamais à utiliser les réussites de ses étudiant.e.s pour dorer sa réputation […] Mais lorsqu’on on utilise le fait qu’on est diplomé.e dans un cadre qui ne leur convient pas idéologiquement, on est désavoué.e.»
« Je pense que l’hypocrisie se repère à différents niveaux, explique la candidate au doctorat en sémiologie. Premièrement, l’UQAM est reconnue pour ses programmes en études féministes et en sexologie, c’est paradoxal. Deuxièmement, l’UQAM enseigne et fait la promotion de textes comme ceux de Nelly Arcan ou de Vickie Gendreau, qui étaient elles-mêmes travailleuses du sexe. Il y a même une bourse de création au nom de Nelly Arcan. Je n’invente rien, l’UQAM se revendique d’un héritage en lien avec le travail du sexe mais réagit de cette manière-là vis-à-vis une travailleuse du sexe. » note l’autrice.
Selon elle, d’autres incohérences peuvent être notées. « L’UQAM n’hésite jamais à utiliser les réussites de ses étudiant.e.s pour dorer sa réputation et faire sa promotion, sans pour autant leur demander leur consentement. Mais lorsque nous, on utilise le fait qu’on est diplomé.e, mais dans un cadre qui ne leur convient pas idéologiquement, tout d’un coup, on est désavoué.e. », déplore Stéphanie Roussel, qui ajoute qu’elle trouve indécent que son université, qui s’inquiète pour sa fameuse réputation, ne pose pas plus d’actions pour contrer les violences sexuelles qui ont lieu en ses murs.
Check tes privilèges
Si elles souhaitaient appliquer concrètement la théorie qu’elles développent respectivement dans leurs travaux, Cato Fortin et Stéphanie Roussel sont bien conscientes de la responsabilité que représente la mise en place d’un tel mouvement. « Cato et moi sommes toutes les deux boursières, on a de bonnes notes et on a du soutien de la part du corps professoral. On a une reconnaissance au sein de l’institution. Ce n’est pas le cas de tout le monde. » reconnait la militante, qui a souhaité utiliser sa tribune pour donner une voix à ceux et celles qui en ont moins.
«Notre mouvement comporte une part de risque pour toutes les personnes qui y participent, mais il est amoindri ou augmenté selon la place qu’on occupe dans la société.»
Au-delà du privilège de la reconnaissance institutionnelle, les deux étudiantes ont souhaité créer un espace de parole au profit des personnes marginalisées et invisibilisées. « Il y a quelques personnes qui se définissent à la fois comme étudiante et comme travailleuse du sexe qui ont posé et qui se sont exprimées à visage découvert, et c’est fantastique, explique Stéphanie. Ceci dit, c’est sûr que beaucoup de travailleuses du sexe ne se sentent pas assez en sécurité pour le faire, que ce soit auprès de leur famille, de leurs ami.e.s ou de l’institution. »
Les instigatrices du mouvement, qui constatent toutefois que la majorité des personnes qui s’affichent sont des femmes blanches et minces, tiennent à souligner l’immense apport des personnes queers et racisées qui travaillent en coulisse. « Leur contribution au mouvement est inestimable et nous sommes très reconnaissantes de la confiance qu’elles nous accordent. » précise Stéphanie.
Elle et Cato Fortin reconnaissent aussi que pour s’impliquer, il faut avoir le privilège de maîtriser les technologies de l’information, posséder un ordinateur ou un téléphone intelligent et avoir la littératie nécessaire pour en comprendre les tenants et aboutissants. « Notre mouvement comporte une part de risque pour toutes les personnes qui y participent, mais il est amoindri ou augmenté selon la place qu’on occupe dans la société: qui on est, nos moyens financiers, notre métier, etc. » affirme la doctorante, qui considère qu’il est de son devoir d’utiliser ses privilèges pour agir et soutenir ceux qui ne sont pas en mesure de prendre ce risque-là.
Maintenant que l’UQAM semble revenir sur sa décision, Stéphanie Roussel lance un appel aux institutions et aux politicien.ne.s, pour qui le travail du sexe demeure un tabou. « Tout ça met en lumière le fait qu’on doit avoir une réflexion de société plus globale sur le travail du sexe, croit l’autrice, qui rappelle que la sécurité et même la vie de nombreuses personnes sont en jeu, en raison des nombreux stigmats qui sont encore reliés au travail du sexe.
Parce que même si tout cela part d’une photo de underboobs sur OnlyFans, qui se voulait d’ailleurs une exploration artistique, c’est beaucoup, beaucoup plus fondamental.