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Les derniers cadeaux d’Elvis Story

Ultime tour de piste pour le King québécois Martin Fontaine.

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
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« J’ai été plus longtemps Elvis qu’Elvis lui-même! »

Au bout du fil, le sympathique Martin Fontaine émet cet énoncé sans flagornerie aucune. Juste un constat, qui fesse un peu dans le dash de l’imaginaire.

À 58 ans, le plus célèbre personnificateur d’Elvis au Québec (au monde?) endosse les paillettes et les tenues flamboyantes du King depuis 27 ans, soit quelques années de métier de plus que la copie originale, dont la carrière s’est étalée sur une vingtaine d’années.

Il affiche aujourd’hui 16 ans de plus au compteur qu’Elvis à sa mort (42 ans). « Mon bonhomme avait 38 ans dans le show que j’imite à Las Vegas, l’illusion est réussie, mais c’est exigeant! », ne cache pas Martin Fontaine, néanmoins nettement plus en shape que l’Elvis de fin de carrière.

Tout de même, pour les prouesses physiques et les heures de maquillage que nécessite une telle transformation, Martin Fontaine accrochera son foulard au terme de cette dernière tournée qui s’ébranle jusqu’au 31 décembre au théâtre Le Capitole.

Photo Courtoisie
Photo Courtoisie
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En gros, cette version Blue Christmas du concert Elvis Experience recréant les concerts du King à Las Vegas au début des années 70 prend vie durant 19 jours entre les murs du Capitole, là où tout avait commencé le 22 juin 1995. « Je vais déguster chaque show. On boucle la boucle! », résume Fontaine, fébrile, au lendemain de la première, qui s’est selon lui très bien déroulée. « Mais moins que ce soir! C’est un work in progress, rétorque du tac au tac ce showman d’expérience, qui n’a néanmoins pas le choix de ralentir. « À mon âge, des 200 shows par année, je ne suis pas sûr de maintenir la cadence. Ça prend de la discipline, sans compter le maquillage (environ 2 h par soir). »

Martin Fontaine souhaite se concentrer sur son cabaret Le Memphis, qu’il a ouvert en 2018 sur le boulevard des Forges à Trois-Rivières. On y présente des revues musicales variées, surtout axées sur le blues, le soul et le rock and roll. Martin Fontaine y foule régulièrement les planches, sans maquillage ni flafla. « Quatre-vingt pour cent des productions sont de moi et j’adore ça! Comme un chef cuisinier dans son propre restaurant, je me sens comme un artiste dans son propre laboratoire de création », illustre-t-il.

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Affirmant avoir déjà fait son deuil d’Elvis après s’être lancé dans plusieurs tournées qu’il croyait finales, il part l’esprit en paix, malgré un pincement au cœur. « J’ai connu plusieurs belles étapes qui étaient des cadeaux. C’est m’est déjà arrivé, plus jeune dans la quarantaine, de trouver qu’Elvis prenait trop de place dans ma vie, mais je me suis réapproprié son œuvre. Je suis fier de ça et je suis toujours content d’être associé à lui », confie Fontaine.

Parmi ces « cadeaux » vécus durant son long parcours, il évoque ses belles années au Capitole, son concert symphonique donné au Centre Vidéotron devant 13 000 personnes et ses 2000 représentations attirant près de deux millions de spectateurs et spectatrices de partout dans le monde.

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Mais l’apogée demeure sans conteste sa rencontre avec Priscilla Presley, la femme du King, venue assister à l’une de ses prestations. « Elle refusait de voir des hommages à Elvis. Je pense qu’elle a été séduite par le mien et c’est elle qui nous a ouvert les portes à Las Vegas », se pince-t-il encore au sujet de cette série de spectacles donnée au Westgate Las Vegas Resort & Casino en 2015.

Pour l’heure, Martin Fontaine donne ses derniers coups de bassin avec le sentiment du devoir accompli. Quant à la relève, il pense que de nouvelles technologies vont sous peu complètement révolutionner l’univers des personnificateurs. « On va pouvoir faire revivre des personnages en hologramme, avec des synthétiseurs vocaux pour moduler la voix. La technologie va faire revivre nos légendes! », s’enthousiasme-t-il, avant de raccrocher pour aller commencer sa préparation pour le concert.

Gin tonic et moves d’Elvis

Autour d’une bouteille de pinot blanc, mon père et moi refaisons le monde en attendant le show, dans l’opulence du chic Ristaurante Il Teatro, qui jouxte la salle de concert.

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Mon père a déjà vu Martin Fontaine sur scène une fois, sans trop se souvenir quand. Il aime Elvis, sans capoter dessus. Comme Martin Fontaine d’ailleurs, qui m’a dit écouter le King juste dans le contexte de ses spectacles.

Il y a deux agents de la SQ en civil avec des oreillettes à la table voisine, sans compter tous les policiers et policières qui quadrillent le capitole.

Rien à voir avec Elvis (qui aurait d’ailleurs capoté tellement il était paranoïaque). Après enquête, nul autre que notre premier ministre François Legault se trouve dans les parages, et pas pour assister au concert d’Elvis.

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Après avoir ramassé un gin tonic au bar, on se dirige vers nos places au balcon. Comme les dernières rangées sont vides, on déménage aussitôt pour avoir la paix. J’ai en masse de place pour faire des moves d’Elvis si jamais.

Le rideau se lève sur la pièce Also sprach Zarathustra de Strauss, comme Elvis avait l’habitude de faire en ouverture de concerts à Vegas.

Magnifique dans son suit scintillant, Martin Fontaine se pointe sous les ovations pendant que l’orchestre joue déjà See See Rider.

Elvis n’a même pas fini d’enchaîner avec I Got a Woman que la salle s’enflamme. La foule – âgée – s’enthousiasme, frappe des mains, s’abandonne à ce bain nostalgique. C’est rare, mais j’ai plus de cheveux que la majorité des spectateurs. Entre les chansons, Martin Fontaine s’adresse à la foule en anglais.

Pas parce qu’il imite le PDG d’Air Canada, mais bien parce que le King et nous sommes à Vegas, souvenez-vous! « Je pense que nous avons plusieurs personnes du Canada ici, et n’oubliez pas que ce qui se passe à Vegas reste à Vegas », plaisante l’artiste, jouant le jeu à fond.

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Il nous transporte alors en 1969, avec Proud Mary, popularisé par CCR. En fait, Elvis était un interprète et n’hésitait pas à faire plusieurs covers dans ces concerts, particulièrement durant sa période « Vegas ». Ses reprises de La Quête de Brel ou de Fever de Peggy Lee valent vraiment le détour d’ailleurs. De retour en 1969, une année importante pour mon paternel aussi. « Je rentrais dans la police cette année-là! », lance-t-il, une pointe de mélancolie dans la voix.

« Il danse bien, bouge bien, je suis en amour! »

J’ai pas fait mes recherches, mais plusieurs interactions semblent fidèles à la réalité tellement elles sonnent crédibles et suintent l’authenticité.

Après quelques pièces plus gospel, Elvis propose un voyage dans le temps pour revisiter les classiques qui en ont fait une star planétaire. Teddy Bear, Love Me Tender, Heartbreak Hotel : Martin Fontaine descend même de scène pour se promener dans la salle conquise. Des gens se lèvent spontanément pour danser, Elvis lance des foulards à certaines spectatrices comblées, le party est pogné. « Même 45 ans après sa mort, ça marche encore! », analyse mon père, lui-même surpris par la qualité du spectacle. « C’est meilleur que la dernière fois. On dirait vraiment qu’il (Martin Fontaine) s’amuse. »

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C’est un euphémisme. Sur scène, l’artiste se déhanche, plaisante entre ses chansons, enfile les tubes et nous en donne pour notre argent.

À l’entracte, j’accroche quelques personnes pour voir s’il y en a d’autres qui trippent leur vie ou si c’est juste le gin tonic qui kick in.

Premier constat, l’engouement est généralisé. « J’ai raté ce show plusieurs fois à cause de mon travail, mais je suis contente d’être ici. Il danse bien, bouge bien, je suis en amour! », louange Raymonde, pendant qu’une zamboni fait des allers-retours sur la patinoire de la place D’Youville derrière.

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« C’est la troisième fois que je le vois. Il donne des bons shows. On a tellement écouté Elvis, on connait toutes les paroles », souligne pour sa part Roger en grillant une clope.

Pendant que Roger et mon père parlent du bon vieux temps, je vais me chercher un autre gin tonic. « Mon fils a été conçu l’année de sa mort! », entends-je de la bouche paternelle pendant que je m’éloigne, ce qui m’encourage à presser le pas vers le bar pour ne pas me laisser atteindre par d’autres détails plus explicites du miracle de ma naissance.

On passe aux choses sérieuses au retour de l’entracte avec les bombes Suspicious Mind (toune chouchou du public), Blue Suede Shoes et la magistrale My Way de Sinatra.

Seuls dans notre rangée vide au fond du balcon, mon père et moi dansons comme des hommes qui dansent pas super bien mais qui s’en crissent un peu. Deux rangées plus bas, une dame s’agite comme une possédée et donne tout un show, au grand dam de son conjoint qui se cale dans son siège.

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Le rideau tombe sur Falling in Love et sur une carrière d’imitateur d’Elvis époustouflante et unique, commandant le respect.

En me levant un brin éméché le lendemain dans notre chambre double du Concorde, la chanson Burning Love roule en boucle dans ma tête.

Ça et le souvenir d’un géant rencontré dans un bar de la rue St-Jean après le concert, qui nous a raconté avoir été pendant six ans un joueur de la NFL au sein des Raiders d’Oakland au tournant du millénaire.

« C’était quoi le nom du gars, don’? », que je demande à mon père.

« Luiz, Reeves ou Reese; quelque chose de même », répond-il, évasif.

Pas grave, au moins, on n’oubliera pas cette virée d’adieux au King des imitateurs du King.

Elvis has left the building.