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Les Cowboys Fringants: de la fiction à la réalité
Marcel Galarneau, Gaston Landry, le Motel Capri, Gina Pinard, Mario Dubé, Loulou Lapierre, Suzie Prud’homme, Barba’s pizza : une foule de personnages et d’endroits – réels ou fictifs – meublent l’univers des chansons des Cowboys Fringants.
C’est là le point de départ d’une idée loufoque pour un reportage: offrir une voix à ces personnes chantées par Karl Tremblay, en essayant de contacter des homonymes ou des gens en lien avec des endroits immortalisés dans leur volumineux catalogue.
La mission n’était pas simple.
J’ai dû écrire à une trentaine de personnages mentionnés dans les chansons des Cowboys, en vain. J’ai même écrit à une Gina Pinard du Wisconsin et une Denise Martinez de la Californie, ce qui témoigne d’une motivation commandant le respect pour l’humble journaliste que je suis.
Mais, rassurez-vous, tout n’était pas perdu!
Un Mario Dubé de Rimouski m’a répondu pour m’assurer qu’il n’était pas LE Mario Dubé de la toune, c’est-à-dire celui qui faisait le signe du devil (devil!) dans son Duster après avoir fumé un quatre papiers.
Même chose pour une Louise (Loulou) Lapierre de Montréal, qui m’assure ne pas être celle qui vit un « joyeux calvaire sous un ciel en stucco, entre les caisses de bière et les bébelles des flots. »
Après avoir été ghosté par une flopée de Gaston Landry et Marcel Galarneau (dont un arbore une photo des Cowboys Fringants en couverture de sa page Facebook), une Suzie Prud’homme m’a finalement donné signe de vie.
« Je présume que vous m’avez écrit au sujet de leurs chansons qui porte mon nom. Je ne sais pas d’où leur est venue l’idée de faire cette chanson, je ne connaissais pas vraiment les Cowboys Fringants. C’est un ami avec qui je travaillais qui m’en chantait un bout chaque fois que je passais à côté de lui et c’est de cette façon que j’ai découvert la chanson et que j’ai appris à les aimer », raconte la vraie de vraie Suzie Prud’homme.
Suzie, Suzie Prudhomme
Suzie, Suzie Prudhomme
Où que tu sois sur la Terre, je t’envoie dans l’univers
Des bons baisers d’l’avenue Papineau et de ton chat Méo.
J’ai quand même poussé le zèle jusqu’à écrire à un garage qui s’appelle (juré craché) Carrosserie Gary, situé à… Malemort-sur-Correze dans le sud-ouest de la France.
J’aurais aimé voir la face du staff en recevant mon courriel, resté à ce jour lettre morte.
« Au cours de leur carrière, le groupe a mis en scène plusieurs personnages et entreprises fictives et, par hasard, il est question d’une carrosserie Gary dans l’une de leurs chansons. Même si vous n’avez jamais entendu parler d’eux, est-ce possible de vous parler quelques minutes pour une entrevue? »
Salut mon Ron, mon vieux pirate
Avec toi on se dilate la rate
On est une gang à t’écouter
Chez Carrosserie Gary.
Bon, j’estime néanmoins mériter mon mirobolant salaire pour les deux témoignages ci-bas, dont un qui m’a particulièrement touché.
De la câlice de bonne
Le premier constitue probablement le plus bel hommage – mais aussi le plus frontal – à une pizzeria de l’univers.
Pizza Barbas, 589-0422
Hey, hey, viens-t’en mon homme
On va t’en faire de la câlice de bonne.
D’une durée de trente-deux secondes, la chanson Pizza Barbas s’est faufilée en catimini sur l’album Les nuits de Repentigny (2021).
Trente-deux secondes qui nous rappellent une bonne vieille pub chantée à la Barbie’s Resto Bar Grill.
Croûte mince ou ben pâte épaisse
Plain ou ben végétarienne
Extra pepperoni, bacon
On va t’en faire d’la câlice de bonne
Pas le choix de passer un coup de fil au resto de l’Assomption* pour essayer de répondre à la seule question qui s’impose: de quossé?
*J’ai appris durant cette enquête que le Barba’s est une mini-chaîne régionale, avec des succursales à Saint-Lin et Saint-Félix-de-Valois.
Au bout du fil, le proprio de la succursale de l’Assomption ne cache pas avoir été profondément touché par la mort de Karl Tremblay, le chanteur des Cowboys, mais aussi un inconditionnel du casse-croûte depuis belle lurette.
« Il aimait la pizza Barba’s avec des oignons et du bacon, mais aussi la poutine. C’était un bon client, mais aussi un bon employé, qui avait livré et travaillé en cuisine ici, dans sa jeunesse. Nous sommes ouverts depuis trente ans », raconte Onder Inceoglu, qui a repris la franchise il y a quelques années, suffisamment pour avoir rencontré le chanteur chouchou local.
« Je savais qu’il était malade, mais pas à ce point-là. Ça m’a beaucoup ému puisque nous avons à peu près le même âge et deux jeunes enfants », ajoute Onder.
Quant à la chanson-hommage sur l’album, il avoue en avoir eu la surprise comme tout le monde. Ce restaurateur d’origine Kurde rigole encore des paroles directes, dans l’argot de son pays d’adoption.
« De la câlice de bonne ». De loin le plus beau compliment.
L’impact de cette chansonnette-éclair s’est quand même fait sentir, bien au-delà des limites de l’Assomption. « Quand ils sont en concert dans le coin, les gens appellent sans arrêt. C’est même trop, parce qu’on est déjà débordés. On a même une dame de Québec qui vient deux fois par année pour se faire une “journée Barba’s”. C’est un bel hommage, avec le numéro de téléphone, même! », admet Onder.
Mon cousin Rémi
C’est grâce à ma collègue du 98,5 FM Catherine que j’ai entendu parler de Jean-Marc, mais surtout de l’impact énorme qu’a eu la chanson Mon chum Rémi dans sa vie.
« On dirait qu’elle était écrite pour lui », murmure-t-il la voix étranglée, au sujet de ce classique qui l’a aidé à traverser le deuil de son cousin, il y a trois ans.
Ajoutons à cela que le cousin en question s’appelait Rémi et vivait plusieurs des mêmes problèmes rapportés dans cette magnifique chanson triste et tendre à la fois, résumant un pep talk d’un gars à son grand chum en proie à des idées noires, donné dans le fond d’un bar, juste avant sa fermeture.
Comme le Rémi de la chanson, son cousin avait des problèmes de drogue et, comme lui, il avait un petit gars.
Mais rentre donc à’ maison
T’as un flot qui t’adore
Ça c’t’une vraie bonne raison
Pour ne pas passer d’laut’bord
« On pense jamais que ces choses-là peuvent arriver, on croit que c’est juste une mauvaise passe. Ça a été un choc quand il l’a fait, mais je me disais que si la chanson pouvait aider d’autre monde comme elle m’a aidé…», confie Jean-Marc, la jeune quarantaine, qui habite lui-même Repentigny et a grandi avec les Cowboys.
La chanson a déjà résonné très fort chez lui aussi. « Moi aussi, j’ai eu mes idées noires, mais j’ai réussi à surmonter mes démons. »
Jean-Marc apprécie particulièrement la manière accessible par laquelle les Cowboys abordent le suicide, à la fois rigolote, mais ô combien importante.
Eille, Rémi
Fais pas d’conneries
J’t’aime bin la face
Pis tu m’dois encore cinquante piasses
La mort de Karl Tremblay peine ce fan de la première heure, qui a transmis son amour du groupe à sa fille de onze ans. « C’est ma jeunesse. Je suis content d’avoir vu le dernier concert au Centre Bell avec ma fille. On écoute les Cowboys à la maison, au chalet, partout. »
J’aimerais conclure cet exercice périlleux en saluant bien bas tous les personnages du catalogue qui, comme nous, vivent des heures sombres.
Au moins, à l’instar de Karl Tremblay, eux non plus ne seront jamais oubliés et continueront d’être célébrés à travers la musique des Cowboys, pour le meilleur et pour le pire.
Comme pour Gina Pinard et Jay-Pee Labrosse.