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Les cosméticien.ne.s dans les pharmacies: cette première ligne qui n’avait rien demandé

Entre les pots de crème et les distributeurs de Purell, ils assurent notre sécurité.

Par
Laïma A. Gérald
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Mercredi soir, 20h30. J’ai travaillé de la maison toute la journée, je n’ai parlé à aucun humain depuis hier, je suis dans un mood paresseux mais je dois absolument aller à la pharmacie. Je rassemble tout ce qu’il me reste de motivation et je sors.

J’entre dans la pharmacie de mon quartier, avec mon masque et mes écouteurs. Je me désinfecte les mains comme il se doit. Dans ma vision périphérique, je perçois qu’on me parle.

– Quoi? Dis-je en enlevant un écouteur et en sortant de ma bulle.

– A-VEZ-VOUS-LA-CO-VID?, me répète le jeune cosméticien, derrière son poste de travail à quelques mètres de la porte.

– Euh non, j’ai pas la COVID, mais ça a le mérite d’être clair comme manière de poser la question, que je lui réponds en riant.

– Ah, ok tu es pas frue, t’avais juste pas entendu. Je suis tellement content que tu réagisses bien. J’ai toujours peur que le monde soit bête avec moi

Je m’approche lentement. Je vois sur son name tag qu’il s’appelle Victor. Il est particulièrement élégant, porte un masque et des lunettes, qui laissent entrevoir un maquillage des yeux vraiment très élaboré, digne d’une pub de maquillage de luxe.

Moi: Est-ce que ça va?

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Lui: Hey, merci de me poser la question. Pour vrai, ça va moyen. Je trouve ça vraiment difficile de devoir demander à tous les client.e.s « Avez-vous des symptômes avez-vous eu la COVID avez-vous voyagé récemment s’il vous plaît mettez votre masque lavez vos mains… » s’exclame Victor, d’un seul souffle. « Il y a tellement de gens impatients, qui m’obstinent en entrant dans la pharmacie, que quand quelqu’un me fait répéter, parce qu’il a ses écouteurs ou qu’il ne m’a juste pas entendu, j’ai toujours peur de me faire rentrer dedans. » me confie le cosméticien.

Ça doit être la déformation professionnelle de journaliste, son récit me touche vraiment et j’ai envie d’en savoir plus.

La réalité cosmético-pandémique

« Au début de la pandémie, des agent.e.s de sécurité accueillaient les clients à l’entrée des pharmacies. C’était eux qui demandaient aux gens s’ils avaient des symptômes, qui s’assuraient qu’ils portent leur masque et qu’ils se lavent les mains, m’explique Victor. Mais là, depuis quelques semaines, beaucoup de pharmacies sont short staff, et ce sont les cosméticien.ne.s, qui sont presque toujours placé.e.s près de la porte, qui doivent le faire. C’est lourd. »

«Des fois, quand j’en parle à mes amis, ils me disent de changer de job, mais j’ai 17 ans, j’ai pas 1000 options. Pis en plus, j’aime ça être cosméticien!»

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Victor me décrit certains client.e.s désagréables, impolis, d’autres qui l’ignorent, qui soupirent, quand il ne fait qu’appliquer les consignes de ses supérieurs. « Je comprends vraiment que les gens soient tannés de se faire poser les mêmes questions partout, mais je trouve ça plate que certaines personnes déversent leur stress sur nous, alors qu’on essaye juste de faire notre travail. Des fois, quand j’en parle à mes amis, ils me disent de changer de job, mais j’ai 17 ans, j’ai pas 1000 options. Pis en plus, j’aime ça être cosméticien! » affirme le jeune homme.

Victor, doux comme un chaton, m’assiste dans mes achats. Je le complimente sur son maquillage des yeux, absolument flawless «Merci! La seule affaire que j’aime de porter un masque, c’est que j’ai pas à me maquiller le bas du visage et que je peux être flamboyant du haut! » me dit-il, visiblement fier (avec raison!) de son talent de make-up artist.

Je rentre chez moi, un peu triste pour Victor. Le lendemain, je décide de contacter d’autres cosméticien.ne.s de la province, pour voir si c’est une réalité répandue.

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Aux premières lignes des pharmacies

« Oh mon dieu, merci tellement de parler de nous! », s’exclame Guillaume (nom fictif), le responsable du comptoir beauté d’une pharmacie du Village à Montréal, quand je lui explique mon projet d’article. Visiblement, lui aussi a besoin de parler de sa réalité. « Je confirme: comme les comptoirs cosmétiques sont souvent ce qui fait office d’accueil dans les pharmacies, c’est nous qui sommes mandatés pour interroger les client.s sur leurs symptômes. Selon mon expérience des derniers mois, la majorité des gens sont fins et coopèrent, mais quand quelqu’un est frustré de la situation, c’est nous qui sommes aux premières lignes pour recevoir son attitude négative. » me confie le cosméticien.

Comme Victor, Guillaume me confie qu’il adore son métier, mais que la responsabilité de l’accueil des clients en pleine pandémie, dans une pharmacie qui plus est, c’est une tâche plus lourde qu’elle n’en a l’air. « À la fin de mon quart de travail, quand on m’a ignoré, qu’on a soupiré très fort ou qu’on a été bête avec moi, je suis vidé. » m’ont-ils tous les deux confié.

«Pendant la première vague, j’ai demandé poliment à un client de se laver les mains avant d’entrer. Il a soupiré très, très fort. Il est allé se mettre du gel désinfectant, et avant même que je puisse réagir, il s’est approché de mon visage et a claqué des mains, pour que le gel m’éclabousse la face.»

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Même son de cloche dans une pharmacie du quartier Limoilou à Québec. Je tombe sur Christine (nom fictif). Elle tient un discours très similaire à ceux de Victor et Guillaume. « Moi aussi, je suis mandatée pour accueillir les gens et leur poser des questions sur leur état de santé, puisque je suis physiquement déjà placée à l’entrée du commerce. » m’explique Martine. Mais la cosméticienne va plus loin. « Pendant la première vague, j’ai demandé poliment à un client de se laver les mains avant d’entrer. Il a soupiré très, très fort. Il est allé se mettre du gel désinfectant, et avant même que je puisse réagir, il s’est approché de mon visage et a claqué des mains, pour que le gel m’éclabousse la face. » me raconte Martine, visiblement encore sous le choc. « C’est sûr que c’est un cas extrême, mais plus largement, c’est pas évident de recevoir le stress des gens. »

Comme m’a dit Victor mercredi soir, en m’offrant gentiment des échantillons de « crème apaisante » pour le visage, « Il ne faut pas oublier que les travailleur.euse.s essentiel.le.s, c’est pas juste les médecins, les infirmières et les préposé.e.s aux bénéficiaires. On est plein de monde dans les épiceries, les commerces, les cafés, les dépanneurs à essayer de faciliter le quotidien des gens, et on a tous besoin d’empathie et de compassion en ce moment. ».

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Les paroles de Victor sont aussi douces à mes oreilles que mon visage, depuis que j’ai essayé ma nouvelle crème pour peau sensible.