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Les broètes et la mort de l’alt lit

Par
Marie Darsigny
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La semaine dernière, j’ai appris un nouveau mot: broète. Mélangez testostérone et poésie, vous obtenez le broète: un mâle alpha à la sensibilité à fleur de peau, qui sympathise avec les causes féministes (même si pour lui les femmes sont des «filles»). En apparence, quelqu’un bourré des bonnes intentions.

C’était une dure semaine du côté de la littérature, plus particulièrement pour la communauté alt-lit. Deux de ses membres les plus populaires et influents, Tao Lin et Steven Tully Dierks, ont fait face à des accusations d’abus physiques et/ou sexuels au cours des derniers jours. On parle même de viol, ce qui prouve que la notion de consentement commence peut-être à rentrer dans la tête des gens. La communauté alt-lit étant tissée assez serrée, plusieurs éditeurs et collaborateurs se sont vus consternés d’apprendre la nouvelle. Leurs amis broètes s’avèrent soudainement être de potentiels criminels. Plusieurs publications ont annoncé vouloir prendre une pause, puisque le climat ne se prête présentement pas tellement à la poésie ou à l’auto-promotion littéraire.

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Des événements similaires se sont aussi récemment produits dans une communauté de vloggers YouTube. Vous avez peut-être aperçu dans votre newsfeed le vidéo d’un homme, Sam Pepper, pinçant les fesses de femmes dans la rue et trouvant ça ben ben ben drôle. Les victimes de ce gag même pas digne de Juste Pour Rire, elles, ont trouvé ça moins drôle. Puis, des accusations d’abus sexuels (hors caméra) on fait surface, prouvant que le gars semble être un all-around asshole. Puis, d’autres accusations ont tour à tour fait surface, concernant divers vloggers ayant généralement la réputation d’être des «bons gars»: sensibles, ouverts d’esprits, avec une image de quasi-nerds (comprendre: inoffensifs en apparence).

Il y a aussi eu une situation similaire dans le monde des jeux vidéos, le royaume des auto-proclamés geeks ou nerds. Le #gamergate, ayant eu lieu récemment, se résume à des gamers ayant utilisé des informations personnelles sur la vie sexuelle et romantique de figures féminines de la communauté du jeu vidéo, pour les slut-shamer et causer une grosse tempête dans un pas-pire-gros verre d’eau.

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On entend souvent dire que génie créatif va souvent de paire avec misogynie. On pardonne leurs fautes à Roman Polanski et autres Woody Allen. On se dit: «Mais leurs films/livres/oeuvres sont tellement bonnes!» Pour ma part, je pense que de balayer des accusations d’abus sexuels du revers de la main sous prétexte qu’on aime DONC un film, c’est de contribuer à excuser la culture du viol. Génie et trou d’cul ne vont certainement pas nécessairement ensemble, mais notre culture semble définitivement donner le feu vert à cette association.

Après les événements de la semaine dernière, c’est sans doute une bonne chose que certaines publications alt-lit prennent un petit break. Pendant ce temps, certaines victimes d’abus veulent mettent de l’avant un mouvement qu’elles appelleraient survivor lit. Un mouvement qui donnerait place à la voix des victimes: pas par vengeance, mais juste pour guérir et se faire entendre. Pour ne plus vivre dans l’oppression et le silence.

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Dans un des nombreux articles commentant le scandale, une journaliste se rappelle d’un avertissement donné par sa mère hippie: les hommes qui veulent s’allier à la cause féministe sont des profiteurs. Bien sûr, affirmer ça, c’est être parano, c’est parler sans avoir donné la chance au coureur. Mais voilà, les événements récents prouvent tout de même ce point. Dierks, lorsqu’il a été confronté cette semaine par sa victime, a écrit: «Je suis un homme hétéro blanc qui a clairement été affecté par la toxicité des structures patriarcales de notre société». Boohoo. Même acculé au pied du mur, il semble qu’il essaye de s’attirer la pitié en formulant des excuses basées sur des notions entendues dans la communauté féministe… Mais visiblement pas intégrées pantoute dans son comportement. À trop parler, la bouche fait juste bouger et le cerveau arrête de fonctionner.

C’est facile de dire: «Ha ouin, mais ce gars-là, c’est juste pas un bon gars! #notallmen». Évidemment, on aimerait toutes avoir les «bon gars» comme alliés. Sauf que, comme l’histoire des broètes nous le prouve, parfois, les bons gars s’avèrent être pas si bons que ça. Certains hommes semblent avoir compris que le discours ambiant semble mettre de l’avant des notions féministes, et ils veulent aussi leur part du gâteau. On dit de la littérature que c’est encore un boys’ club. En fait, on dit ça de bien des domaines. C’est certain que ce serait très cool de souhaiter que tout devienne un jour un everyone’s club. Sauf que, il serait peut-être temps d’écouter ce que les femmes ont à dire. Pas les upstager en jouant au bon gars défenseur de causes féministes: pour l’instant, juste écouter. Les hommes aussi peuvent avoir leur part du gâteau: c’est juste qu’en ce moment, ils en savourent un assez gros morceau. Tout le monde sait qu’on ne parle pas la bouche pleine.

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