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Les auteurs de demain présentent leur réflexion au sujet de la création

On vous présente les deux gagnants du Marathon d'écriture intercollégial.

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Le Marathon d’écriture intercollégial et URBANIA s’unissent afin de vous faire découvrir de nouvelles plumes.

Écrire à tue-tête

Par Florence Chagnon

On dirait que les touches de mon clavier d’ordinateur sont des petits couteaux qui me traversent les doigts. Je n’aime pas écrire, mais j’aime l’écriture. Écrire, c’est ce qu’on m’a appris à faire au primaire. Puis, au secondaire, c’est ce qu’on m’a reproché de mal faire.

J’ai remarqué que les professeurs regardaient mes fautes et non mes mots. Les mots que j’avais judicieusement choisis, mais mal écrits. Je ne faisais pas encore la différence entre écrire et l’écriture. Je sentais que tout ce que je pouvais produire était mauvais, car c’était bourré de fautes. Je ne voyais que le contenant jamais le contenu, car c’est ce qu’on m’avait montré à regarder.

Arrivée au Cégep, j’enviai les personnes qui étaient capables de mettre de beaux mots, difficiles à écrire, dans leur texte. Je me souviens d’avoir eu honte de mes écrits contenant des mots qui ne se méritent aucun point au Scrabble. J’étais déçue de moi. Je ne me sentais pas intelligente.

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Ma vision a changé le jour où nous avons eu à lire nos créations à voix haute pour un cours. C’est alors que j’ai compris qu’il y avait une différence entre ce que j’avais écrit et ce que j’avais lu.

Ce que j’avais lu c’était mon écriture. Pas mes fautes, mais mes mots. Depuis, je ne veux plus faire lire mes écrits par peur qu’ils ne soient pas compris. Depuis, lorsque j’écris, c’est un mélange entre douleurs et plaisir. C’est ma main, ce petit animal à cinq pattes qui me rappelle que je ne sais comment écrire. C’est un invertébré osseux qui me sert de support à crayon.

Je ne puis changer de main, de mentalité oui, mais ma peur de me faire lire se ressent dans ma main. Comme si elle m’empêchait d’écrire pour me protéger. J’ai écrit ce texte, je ne sais pas si j’en suis fière, car il sera lu par d’autres yeux que les miens. J’ai écrit ce texte, mes doigts sont troués à force d’avoir trop tapé sur ces petits couteaux de clavier.

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Chers lecteurs d’URBANIA,

Les langues consistent en ce qui me fait lever le matin. Mon témoignage pourrait s’arrêter ici et tout de même vous résumer ma pensée. Toutefois, par besoin éditorial, je vais développer davantage, mais pas trop car je vous garderais jusqu’à Noël ! Les langues sont ce qui me donne envie de rencontrer des gens. Je suis autrement introverti, mais ce grand spectre de tous les êtres humains donne des notes de pureté à mon approche avec les rencontres diverses que je suis amené à faire. Par exemple, l’autre jour j’ai abordé une femme au teint hâlé qui attendait l’autobus au même arrêt que moi. Je lui ai simplement demandé si elle était latino-américaine. À ne pas m’être empressé de dire que j’apprends l’espagnol et me cherche des interlocuteurs, j’aurais pu passer soit pour le pire bigot, soit pour un cochon épris de la fièvre latine. Comme par hasard, en l’espace de dix minutes d’attente, j’ai en appris beaucoup sur son immigration en tant qu’Égyptienne. Elle s’est même offerte pour m’enseigner gratuitement l’arabe littéraire en échange de petites leçons d’espagnol ! Les langues font tomber en amour. Elles nous font revêtir toutes sortes de nouveaux masques culturels. À force de parler espagnol, je me remets en question comme Québécois. Avec les langues, la beauté de la chose, c’est que la visée ultime et la manière de l’atteindre sont une seule et même chose : communiquer.

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Écrire, du moins l’éventail de sentiments que font ressentir les écrits, a quelque chose d’indéniablement artistique. Par contre, l’art est quelque chose de volage, aérien, déconnecté, voire vide dans les pires cas. Pourquoi la vision collective des écrivants et écrivains est-elle aussi dénuée de sens ? Pourquoi n’en voit-on que la dimension artistique ? C’est simple : on oublie souvent tout le travail cartésien qui peut être investi dans un livre ou une nouvelle, mais on en oublie surtout la dimension humaine, le besoin de communiquer, faire refléter et éclaircir les concepts que ressentent les linguistes. « Venez manger, les enfants !» et « Venez manger les enfants !» sont deux phrases a priori semblables pour l’œil sensible à la simple beauté. Toutefois, le retrait d’une idiote petite virgule vient de changer un souvenir de jeunesse en récit cannibal. Suis-je trop cérébral dans ma démarche d’écriture ? À vous de me le dire.

Parler des fausses conceptions que l’on se fait des arts m’amène naturellement à parler d’un homme qui m’est cher : Miguel de Cervantes. Il a créé le célèbre personnage de Don Quichotte, grand porte-étendard de la littérature absurde et père de la langue espagnole. Don Quichotte a des fantasmes de grand chevalier, mais ne fait que combattre des moulins à vent. Aussi intéressante soit la métaphore, l’auteur l’est encore davantage. Cervantes est le Molière des hispanophones. Son œuvre a engendré une grande évolution grammaticale et il a même vu son nom attribué à l’institut de sa langue. Toutefois, la rumeur dit qu’il n’aurait même pas écrit le récit qui lui a valu tout son succès. Le Cid, un arabe qu’il aurait rencontré en voyage en serait l’auteur original. Ça nous oblige à nous demander si l’artiste est un interprète ou un créateur. Peu importe. C’est l’œuvre qui vaut de l’or, pas son vaisseau. Ce sont les langues qui nous permettent de faire cette nuance.

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Merci URBANIA de me permettre de renaître en tant que linguiste-créateur,

Sid Amourache

À l’occasion du Marathon d’écriture intercollégial 2018, les participants devaient écrire un texte dont le thème était : Et mourir de peur de vivre peu. On peut lire les textes gagnants ici.