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Les anges de Monique

Une histoire d'amour et de miracles au cœur du sud-ouest de Montréal.

Par
Benoît Lelièvre
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URBANIA et le MEM – Centre des mémoires montréalaises collaborent dans la création de l’exposition Détours – Rencontres urbaines, présentée au MEM (1210 St-Laurent). Cette expérience immersive dévoile la richesse humaine qui compose Montréal, à travers la rencontre de 25 personnes extraordinaires qui l’habitent.

Dans le même esprit, nous vous présentons aujourd’hui Monique Therrien, une citoyenme qui, à sa manière, incarne l’unicité de Montréal.

Si vous aimez son histoire, vous adorerez les portraits singuliers présentés dans l’exposition Détours – Rencontres urbaines.

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La nuit du 7 au 8 mars 1982, aussi connue sous le nom de la Nuit rouge de Verdun, la famille Therrien s’en est rappelée plus longtemps que les autres. Une vingtaine de familles se sont alors retrouvées à la rue, dont plusieurs membres de la leur.

« Mon père était dans le plâtre jusqu’au genou, le soir des incendies. Si le voisin était pas rentré dans son logement en feu pour aller le chercher, il ne serait jamais sorti de là », m’explique la cadette Monique, assise à la table de sa cuisine ensoleillée.

Ses parents sont loin d’être les seuls à avoir regardé les flammes dévorer leur logement, ce soir-là. Sa sœur Hélène, son frère Jean-Paul et trois autres voisins ont aussi tout perdu dans un des quatre incendies majeurs qui ont ravagé le quartier. Celui qui a mis la moitié de la famille de Monique à la rue a pris naissance dans l’épicerie du coin. Elle ignore si les cinq étaient d’origine criminelle, mais des traces d’accélérant ont été retrouvées par les enquêteurs dans le petit commerce. « Les pompiers ne savaient plus où donner de la tête », ajoute-t-elle.

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Monique Therrien a des yeux bleus pétillants et un sourire mélancolique. Quand elle parle de Verdun, elle trace la carte des rues avec ses majeurs sur la table devant elle. Elle se rappelle des noms, des adresses et même parfois des dates d’occupation de différents propriétaires.

« J’ai déménagé plus bas, sur Bannantyne en 1981, mais j’aurais pu passer au feu, ce soir-là, moi aussi. J’ai regardé mon ancien logement brûler. Ça m’a donné un coup. »

Si Monique se rappelle aussi bien des événements d’il y a 40 ans aujourd’hui, c’est parce qu’elle est retournée vivre sur la rue où l’incendie s’est produit. Elle demeure à Verdun depuis l’âge de 7 ans. Les époques, changements et tragédies du quartier sont aussi les siennes.

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La réputation de Verdun comme étant un quartier de battants avec le cœur plus fort que les épreuves, c’est dû à des gens comme Monique. La Nuit rouge n’était pas le premier coup dur de la vie de Monique. L’événement a changé le visage du quartier à tout jamais, mais ne l’aura rendu que plus fort.

La providence sur le balcon

L’histoire de Monique ne débute pas dans Verdun, mais plutôt dans le quartier Saint-Henri, un peu plus au nord. Avant même sa naissance, une conversation de balcons comme celles qu’on lit dans les romans de Michel Tremblay allait décider de son sort.

Une jeune femme du voisinage était tombée enceinte hors des liens du mariage et son copain refusait de l’épouser si elle ne donnait pas l’enfant en adoption. « La commère du coin, Madame Rivière, en avait parlé à la sage-femme Mémère Lemaire et c’est elle qui a approché Pit pour l’adoption », m’explique Monique.

Pit, de son nom de baptême René Therrien, c’est l’homme qui allait devenir le père de Monique. Un ouvrier dans une usine de bombes pendant la Deuxième Guerre mondiale, comme beaucoup d’hommes dans le quartier, déjà père de cinq enfants alors tous entre 10 et 20 ans plus vieux que Monique. Un homme droit, intègre et surtout, un père de famille expérimenté. Les règles de l’adoption étaient moins serrées en 1951. C’était possible de s’assurer du genre de futur qu’on souhaitait pour un enfant et tout le quartier Saint-Henri veillait sur Monique.

La famille Therrien.
La famille Therrien.
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« Cette famille-là m’a donné un nom et j’ai toujours voulu lui faire honneur », me dit Monique avec une étincelle de fierté dans l’œil.

« Je suis née le 25, j’ai été baptisée le 26 et le 27 ou le 28, mes parents adoptifs étaient chez le notaire pour signer les papiers. Ils avaient très peur que ma mère biologique revienne me chercher. »

Monique a passé les sept premières années de sa vie dans Saint-Henri dans un minuscule logement avec trois de ses frères et sœurs. « On dormait sur le divan du salon, ma sœur et moi. Quand il y avait de la visite, on devait attendre qu’elle parte avant de pouvoir aller se coucher », se rappelle-t-elle en riant. « Ma mère était tannée de geler dans Saint-Henri alors on est partis vivre dans Verdun. »

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Partir de Saint-Henri pour aller s’établir à Verdun, c’était lourd de sens. Plus qu’un changement de quartier, c’était un pas vers le haut dans la hiérarchie sociale des quartiers montréalais. Même si, à ses dires, la solidarité et l’entraide étaient moins présentes chez les mieux nantis, les anges de Saint-Henri ont quand même accompagné Monique dans sa nouvelle vie.

Un ange gardien nommé Hélène

Verdun a toujours eu la réputation d’être dur et criminalisé.

Monique comprend à un très jeune âge qu’elle doit se méfier des étrangers dans la rue, mais sa plus grosse blessure à vie lui sera assénée quelques années plus tard par l’homme qu’elle aimait. Un autre gars de shop qui cumule les emplois pour subvenir aux besoins de sa famille, qui boit beaucoup et qui « couraille » parfois au lieu d’aller travailler. Follement amoureuse, elle se marie à 16 ans, devient mère de trois enfants et se fait ligaturer les trompes avant d’avoir 20 ans. La violence s’installe insidieusement dans son couple.

« Je savais que c’était pas normal, ce que je vivais. Mon père et mes frères ont jamais été violents avec leurs femmes. Je les avais jamais vus tripoter les femmes de leurs amis. Mais j’avais quand même l’impression d’avoir manqué à mon devoir d’épouse et de mère. »

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C’est sa grande sœur Hélène, que Monique appelle « mon ange gardien», qui la convainc de le quitter. Elle prend alors la fuite et se réfugie chez ses parents pendant que son mari est au travail. Il la retrouve cependant et l’agresse avec un couteau. « Il m’a dit que ma tombe était déjà creusée. J’ai eu peur. Je me suis défendue. Pendant des années, je me suis demandé où il avait bien pu creuser ce trou », raconte-t-elle avec un craquement dans la voix.

Elle porte d’ailleurs encore les marques de ce sombre événement.

Monique portera toujours les cicatrices de ce moment.
Monique portera toujours les cicatrices de ce moment.
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Même à son plus bas, Monique n’a jamais abandonné l’idée de trouver l’équilibre et le bonheur et ses proches ne l’abandonnent pas, eux non plus. Hélène et son mari prennent soin de ses enfants pendant qu’elle cherche de l’aide. Elle retourne éventuellement sur le marché du travail pour subvenir aux besoins de sa famille. Elle travaille dans des manufactures, fait du ménage, etc. « J’ai fait ce que j’avais à faire », me dit-elle

« Tu vas trouver ça drôle, mais la série de Janette Bertrand Avec un grand A m’a beaucoup fait évoluer dans cette situation-là. Ça m’a fait comprendre que mon mari avait essayé de m’isoler et qu’il avait été violent de plusieurs façons. C’était important, pour moi, de comprendre ce qui m’était arrivé. Je ne voulais pas revivre une situation comme ça », m’explique-t-elle.

Verdun, à la vie, à la mort

L’histoire de Monique se déroule presque entièrement à l’intérieur d’un quadrilatère de quelques rues qu’elle connaît par cœur. Elle n’en sortira que pour travailler, sans jamais trop s’éloigner.

« C’était très important, pour mes parents, d’avoir leurs enfants proches », me confie Monique.

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Cette proximité est au cœur du tissu social de Verdun. C’est un endroit où tout le monde connaît tout le monde. Un endroit que peu de gens cherchent à quitter. La mémoire encyclopédique pour les noms de Monique en témoigne. Sa famille, mais aussi ses amis, voisins, collègues et connaissances vivent encore dans les souvenirs de Monique, et ce, bien au-delà de la mort.

Monique a passé les dernières années de sa vie professionnelle à travailler dans les écoles, notamment comme brigadière à L’Île-des-Sœurs. Lorsque je lui demande si elle croit que la proximité et l’entraide qui ont fait l’histoire de l’arrondissement du Sud-Ouest perdurent chez les nouvelles générations, elle affirme : « Maintenant, c’est chacun pour soi. Aujourd’hui, je connais mes deux voisins immédiats, mais pas plus. »

« Dans le temps, c’était mal vu de parler de ses problèmes. On vivait tous ensemble, on s’entraidait quand il y avait quelque chose, mais jamais on n’aurait partagé nos états d’âme avec quelqu’un. On a élevé nos enfants comme ça et nos enfants ont élevé leurs enfants comme ça. Ça a donné le monde dans lequel on vit », ajoute-t-elle avec sagesse.

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L’histoire ne dit pas encore si l’esprit de Verdun mourra avec Monique et sa génération, mais celle-ci donne envie qu’il perdure. Et si un feu n’en est pas venu à bout, le temps et les générations en auront aussi plein les mains.

Le portrait de Monique Therrien vous a donné le goût de plonger dans le Montréal insolite? Rendez-vous au MEM – Centre des mémoires montréalaises (1210 St-Laurent) pour visiter l’exposition immersive Détours – Rencontres urbaines (billets disponibles en ligne). Vous y découvrirez 25 personnes extraordinaires qui contribuent à donner une âme toute particulière à leur ville.

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Lisa Grushcow, première rabbine ouvertement lesbienne du Canada, Lazylegz, danseur de breakdance à béquilles, Junko, artiste multidisciplinaire qui fait naître des œuvres d’art d’un tas de ferraille, Ramzy Kassouf, maraîcher urbain, Clifford Schwartz, propriétaire du bar country le Wheel Club… nos protagonistes ont des parcours de vie uniques, et de belles histoires à vous raconter.