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Il ne serait pas exagéré d’avancer qu’il y a 25 ans, l’arrivée d’une nouvelle console allait bouleverser l’existence de toute une jeunesse dorée. C’est qu’en 1996, la Nintendo 64 était déballée pour la première fois à Noël. Avec ma sœur, j’ai fait partie de ces privilégié.e.s ayant reçu ce cadeau qui n’arrive qu’une seule fois dans la vie. Je m’en souviens comme si c’était hier : la grosseur de la boîte sous le sapin, mon pyjama, le feu de foyer, la scène bien orchestrée pour accueillir dans ma petite main d’enfant cette drôle de manette.
La prochaine Saint-Nicolas célèbrera donc le quart de siècle d’une console légendaire qui incarne encore à ce jour un riche imaginaire nostalgique. Survol d’un statut cultissime.
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Lancée à l’automne 1996 en Amérique du Nord afin d’investir un marché où règne en maître la première PlayStation, la 64 s’est vite révélée, surtout auprès des plus jeunes, bien plus qu’une console empotée aux grosses cartouches grises. Elle est devenue un état d’esprit.
La 64 s’est vite révélée bien plus qu’une console empotée aux grosses cartouches grises. Elle est devenue un état d’esprit.
Pour l’enfant que j’étais, la Nintendo 64 offrait une palette d’émotions infinies. De la furie explosive au lançage de manettes, la tension débordait souvent de la chicane aux pleurs. Mais parfois, l’anxiété se transformait en soulagement indescriptible lorsqu’on réussissait après de multiples tentatives à vaincre un boss. Les cris, l’euphorie, la folie.
C’est aussi une mémoire sensible, encore vivante avec les sens. Le bruit particulier du stick analogique en mouvement. La petite poussée nécessaire pour bien insérer la cartouche. Le son efficace lorsqu’on soufflait son intérieur. La petite poudre blanche qui se développait sur les parois. Les extensions pour se rendre jusqu’au divan.
C’était le potentiel infini du multijoueur grâce aux quatre ports destinés à accueillir les fameuses manettes multicolores. Il y en avait toujours une qui marchait mieux que les autres. Et avouons-le, personne de sensé n’utilisait les flèches de gauche, les petits pitons jaunes ou le bouton reset. Quand il y avait un pépin, on slamait sans faire attention au levier d’alimentation. C’était à l’épreuve de tout.
La 64 se conjuguait avec des visites-fleuves au club vidéo pour louer des jeux le temps d’une fin de semaine convulsionnaire. S’échanger des cassettes entre ami.e.s après y avoir écrit son nom au Sharpie. Mettre l’action sur pause, fermer la télévision le temps d’aller souper pour mieux y revenir. Les parents pouvaient l’utiliser comme levier de négociation ou retirer son accès à titre punitif. Un cauchemar mérité dont j’ai fait les frais.
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C’est aussi un monde hautement codifié, comme la règle universelle de ne pas prendre Oddjob à GoldenEye 007, ni de camper avec un golden gold dans les toilettes. La console offrait quelques excellents défouloirs de tir à la première personne comme Turok: Dinosaur Hunter, Duke Nukem 64 et Perfect Dark.
On pouvait compétitionner – et tricher – grâce à un riche univers sportif; NFL Blitz, WCW vs. nWo: World Tour, Mario Golf/Tennis, Excitebike 64, 1080 Snowboarding, Wayne Gretzky’s 3D Hockey.
Tout semblait possible malgré un catalogue limité. Starfox et son Rumble Pak ouvraient un monde de sensation. L’orgiaque Mario Party ou les courses électrisantes de Diddy Kong Racing et F-Zero X. Super Smash Bros et Mario Kart 64, dont on ne compte plus les nouvelles itérations, sont devenus des pièces de spéculation convoitées et sont encore célébrés lors de tournois internationaux.
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L’entrée révolutionnaire de la trois dimensions a généré des environnements immersifs insoupçonnés comme Donkey Kong 64, Banjo-Kazooie, l’ovni Majora’s Mask et l’inévitable Super Mario 64. On traversait leurs récits dans une sorte de fièvre. Sans oublier une passion nommée Pokémon. Tout un univers d’aventures arc-en-ciel et d’excitation promis à un auditoire en extase.
Malgré une machine plus puissante et sans temps d’attente – un argument que l’on aimait bien répéter –, la Nintendo 64 a amèrement perdu son pari contre sa grande opposante japonaise. Il s’est vendu plus de 32 millions d’unités contre 102 millions de PlayStation, principalement à cause du manque d’éditeurs tiers, frileux devant une technologie moins avant-gardiste que le CD-ROM.
Je me rappelle l’intense rivalité avec la PlayStation de mon grand cousin : Crash Bandicoot, Spyro, Tomb Raider Final Fantasy, Gran Turismo. Deux camps, deux visions du monde. Notre guerre froide.
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«Ceux qui ont grandi en jouant avec ces consoles désirent retrouver leur enfance. Ils veulent jouer avec leurs amis d’époque ou faire découvrir une parcelle de leur vie à leurs propres enfants.»
Depuis le début des années 2010, on note toutefois un regain d’intérêt pour l’intuable Nintendo 64. À travers l’engouement rétroludique, la console connaît une véritable seconde vie. Depuis quelques semaines, les jeux sont d’ailleurs disponibles sur la Switch avec l’abonnement en ligne.
Pour mieux saisir le legs de la N64, je suis allé à la rencontre de Dominic Bourret, copropriétaire de la boutique Retro MTL dans Hochelaga-Maisonneuve. « “L’engouement du rétro va s’éteindre”, on dit ça depuis quinze ans et ça ne fait que grimper, justifie-t-il d’emblée. Ce qui la rend populaire est la nostalgie. La NES et la Super NES d’hier sont la 64 et la GameCube d’aujourd’hui. Ceux qui ont grandi en jouant avec ces consoles désirent retrouver leur enfance. Ils veulent jouer avec leurs amis d’époque ou faire découvrir une parcelle de leur vie à leurs propres enfants. »
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« Les graphiques sont très polygones par rapport aux technologies actuelles, poursuit-il. Je crois qu’il faut avoir grandi à ses côtés pour l’apprécier pleinement. Mais il y a des classiques indéniables, de grandes séries qui ont influencé les sorties actuelles. »
« La Nintendo 64 demeure l’un de nos gros vendeurs, sinon le plus important. On en manque! », dit le collectionneur et homme d’affaires, prouvant une demande bien plus forte que l’offre. « Quand on voit quelqu’un franchir la porte avec une console et des jeux, on est heureux. C’est super solide et plusieurs titres sont difficiles à trouver. Le marché est rendu à des centaines de dollars pour certaines pièces. »
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Curieux de connaître d’autres souvenirs du fameux Noël 1996, j’ai déniché deux trentenaires de ma génération ayant également reçu la console le 25 décembre.
L’épopée de Kevin cristallise merveilleusement bien l’excitation de cette période. « En décembre 1996, j’avais 13 ans et mes parents ont jugé la console trop chère pour l’avoir en cadeau, même si on la combinait avec ma fête », se remémore-t-il. L’accord était que si je payais la moitié, mes parents mettraient le reste. J’ai donc passé le journal pendant 2-3 mois, me levant à 5 h 15 le matin pour faire ma run avant l’école. »
« J’ai finalement réussi à amasser le montant désigné à temps. Le soir de Noël, il y avait un gros cadeau sous le sapin. J’avais tellement hâte de l’ouvrir. Le moment magique arrive enfin. Elle est là, la Nintendo 64 tant attendue. Mon père, pour souligner ma vaillance, m’avait même acheté Super Mario 64. L’émotion fut sans doute trop forte, car mon cœur ne l’a pas pris et j’ai vomi ma vie. »
« Affaibli, on m’a amené au lit. Au loin, j’ai entendu quelqu’un dire : “Bon ben, on essaie-tu ça?” et c’est en entendant les sons de la télé et les éclats de rire que j’ai apprécié en premier mon cadeau. »
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Un emballement partagé par Andrée-Anne, architecte dans la région de Québec : « Dans mon enfance rurale, il fallait réserver sa copie des mois à l’avance à la quincaillerie du village, et je me souviens que les Walmart les plus proches étaient tout autant à sec. Mes parents avaient joué d’astuce au téléphone pour trouver une copie oubliée dans l’arrière-boutique du Zellers d’une ville lointaine. J’ai pleuré en ouvrant le cadeau. J’avais 7 ans. »
«Après près de deux ans à faire le tour de Super Mario et à s’entre-tuer avec mon frère devant Mario Kart, j’ai finalement mis la main sur The Legend of Zelda: Ocarina of Time.»
« Après près de deux ans à faire le tour de Super Mario et à s’entre-tuer avec mon frère devant Mario Kart, j’ai finalement mis la main sur The Legend of Zelda: Ocarina of Time. Cet opus demeure à ce jour la plus grande expérience de jeu vidéo de ma vie. J’ai tenté en vain de réitérer la sensation, sans jamais retrouver le même niveau d’excitation, d’émerveillement et d’accomplissement ressenti au moment de tuer Ganon. Ce jeu n’était pas toujours évident pour un enfant. J’avais un guide sous la forme de magazine qui m’a beaucoup aidée à passer le niveau de glace. Je fus la première de mon école primaire à finir le jeu », conclut-elle avec fierté.
Les souvenirs d’une console révolue nous renvoient aux luxes de l’enfance, à sa naïveté et au simple plaisir de jouer. La cassette en or de Zelda, la bande sonore de Tony Hawks, l’épigraphe « EA Sports – it’s in the game » au départ de NHL 99. Des petits détails qui, avec les années, sculptent le sourire. La Nintendo 64 tissait des liens, enflammait salons et sous-sols, mais cette console offrait, d’abord et avant tout, une façon de découvrir le monde.