Un état de transe. C’est ce qui m’est resté après l’écoute de Laini Tani, la plus récente offrande musicale de Nadah El Shazly, une chanteuse et artiste sonore originaire du Caire.
Cette nouvelle proposition fait suite à Ahwar, un premier album caractérisé par une atmosphère hypnotisante, oscillant entre l’ivresse et l’angoisse, un son distinct qui a permis à Nadah El Shazly de s’imposer comme un des nouveaux visages incontournables de la scène underground égyptienne, une pépinière de talents qui attire beaucoup l’attention des critiques à l’international. On peut penser, entre autres, à Muhammed Felfel ou à Assem. Mais là où Nadah El Shazly se distingue de ses homologues masculins, c’est dans l’ajout de sa voix ronde et feutrée à ses beats bidouillés sur ordinateur.
Dans Laini Tani, Nadah El Shazly, qui a fait de Montréal sa nouvelle maison, renoue avec cette ambiance à la fois théâtrale et entêtante pour provoquer le genre d’abdication seulement possible sous la chaleur étouffante d’un rave ou des dunes du Sahara. C’est selon.
Plus sérieusement, la musique de Nadah El Shazly, qui incarne tous les espoirs et tous les défis de la jeunesse cairote, est un appel à l’abandon teinté de mélancolie. Là où Ahwar triomphait grâce à un son plus expérimental, aux frontières de l’oppression, Laini Tani s’oriente vers la lumière avec des sonorités pop plus assumées, un terrain pouvant s’avérer miné entre des mains inexpérimentées.
Mais Nadah El Shazly, qui roule sa bosse depuis quelques années déjà, notamment au sein du duo électro Pollution Opera, a su éviter de tomber dans le piège de l’hybridation artistique conçue pour satisfaire aux exigences du « western gaze », c’est-à-dire le regard occidental qui se gargarise d’expériences exotiques de manière transactionnelle et fétichisante.
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Sur papier, sa musique peut sembler prendre des allures de compromis, mais à l’écoute, Nadah paraît entière dans son travail, même si ce dernier peut parfois demeurer plus énigmatique qu’intriguant pour les personnes habituées d’être bercées par l’anglais tonitruant du American Top 40 (coupable!).
L’œuvre singulière de Nadah El Shazly, qui gagne à être découverte au-delà de la diaspora arabe, pourrait être résumée comme une ode à l’amour et à la nuit. « Ma route est longue et je la protégerai », martèle-t-elle dans un refrain éthéré sur la pièce Banit (ma préférée de l’album).
Il serait tentant, en écoutant sa voix mature, riche et envoûtante d’évoquer les mirages de l’Orient et la fleur qui triomphe du désert, mais Nadah, sans doute un peu clairvoyante, fait le pari d’échapper à la case dans laquelle on voudrait la circonscrire; l’extase dans son œuvre naissant de la rencontre entre le chant traditionnel lyrique qui élève l’âme et la musique électro pulsée tel un battement de cœur. C’est une autre façon de chanter l’amour, dans une langue qui n’a besoin que d’une seule interprète.
Nadah El Shazly est connue pour offrir des prestations immersives presque suspendues dans le temps, sa musique se vivant tout en s’écoutant.
Laini Taini signifie « retrouve-moi » en français, alors disons simplement que vous seriez bête de refuser l’invitation.
Nadah El Shazly sera en concert le 19 juillet prochain au Festif! de Baie-Saint-Paul.
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