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Dure dure semaine.
À peine remis de l’élection d’un macaque funeste, on apprenait la mort d’un barde lumineux. La laideur qui nous arrive à grand renfort de clairons. La beauté qui disparaît dans les notes graves d’un magnifique album testament. Il est parti avant de savoir. Lui qui avait chanté « I’ve seen the future, brother, it is murder. »
Tant de choses ont été dites déjà sur la mort de Cohen, dont ce très beau texte chez URBANIA. Je ne m’étendrai donc pas trop longtemps.
Je suis allée faire mes adieux à Leonard au parc du Portugal. J’y ai été touchée par la présence de quelques jeunes filles, à peine ou pas encore sorties de l’adolescence, qui se serraient les unes contre les autres, émues. Non, il n’aura pas été l’icône d’une seule génération. Loin de là. Il savait toucher, encore et encore, par sa poésie noire et lumineuse à la fois, sa profonde mélancolie teintée d’humour, son incroyable lucidité.
Au parc, chacun dans son monde, avec son Leonard. Parce qu’il nous touchait dans notre intimité. Par son ton grave, son quasi-murmure, on avait le sentiment qu’il nous parlait, chacun, à l’oreille. Dans une grande intimité mêlée de sacré. N’est-ce pas de cela que sont tissées les plus belles histoires d’amour?
Je l’ai vu quelques fois en concert. Dont une fois, quand je n’avais pas encore ramassé les miettes d’une grosse peine d’amour. Je pense que c’est à ce moment-là, dans une ville que je ne connaissais pas, que j’ai commencé à en guérir. Pendant le spectacle, moi, la juive athée, j’étais assise sur le bout de ma chaise, les mains en prière, toutes fenêtres ouvertes. Je me souviens, le lendemain du spectacle, d’avoir marché pendant des heures dans les rues, portée par la poésie d’un rabbin bouddhiste, par la communion vécue la veille et le sentiment qu’il y a plus grand que ma douleur personnelle. C’était douloureux et tendre, vif et doux.
J’ai eu quelques discussions sur le sens de certaines de ses chansons. Chaque fois, la surprise de voir à quel point les visions divergeaient. Les plus grands textes ne sont-ils pas ceux qui ne se dévoilent pas totalement, qui gardent une part de mystère. Mais chez Leonard, même Famous Blue Raincoat, une de ses pièces les plus narratives, dont j’avais toujours cru la compréhension évidente, s’est avérée ouvrir la porte à de nombreuses interprétations.
Je ne suis pas du tout une groupie dans l’âme. J’ai eu peu de grandes idoles. Je pense que j’aurais suivi Leonard Cohen jusqu’au bout du monde.
Je suis retournée une deuxième fois au parc du Portugal, avec les petits, cette fois. Moi qui ne les ai jamais emmenés à l’église, j’ai senti que, à la lumière des lampions et dans le silence recueilli, je leur avais fait toucher à un peu de sacré. Et dieu sait qu’on en a besoin, ces temps-ci.
So long, Leonard.
Sincerely,
J. Gruda.