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L’entrepreneur activiste, vous connaissez?

Changer les codes sociaux pour rendre l'imaginaire possible.

Par
Sonia Kwemi
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URBANIA et l’ESG UQAM s’unissent pour ouvrir la conversation sur le racisme systémique en entrepreneuriat.

D’un côté, l’entrepreneuriat est une sphère que l’on connaît bien (ou que l’on croit bien connaître), et de l’autre côté, l’activisme est un concept que nous maîtrisons aussi… Mais le mélange des deux soulevait en moi bien des questions…

J’ai donc saisi l’occasion de m’entretenir à ce sujet avec Olivier Germain, professeur à l’ESG UQAM, qui s’intéresse principalement à l’entrepreneuriat et aux transformations sociales (il travaille actuellement au développement de la Chaire Entrepreneuriat, Altérité et Société), ainsi qu’avec Xavier Jourson, athlète et entrepreneur, qui s’apprête à être la première personne noire à faire le triathlon extrême Norseman. Je savais que la discussion serait très intéressante.

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Le projet de Xavier, appelé la transition, est très ambitieux. Il y a un peu plus d’un an, Xavier a décidé qu’il briserait plusieurs stéréotypes sur les Noirs en pratiquant un sport qui l’est très peu par sa communauté. En ayant comme objectif de passer de joueur de rugby professionnel à triathlète de haut niveau, il souhaite montrer à sa communauté (et au reste du monde) qu’il est possible de faire ce qui n’a jamais été fait avant, et ce, peu importe la couleur de sa peau.

Y a-t-il du racisme systémique en entrepreneuriat?

Je vous vends le punch — oui, il y en a.

Le racisme est présent au Canada, comme partout dans le monde, et se décline malheureusement dans toutes les sphères de la société. Ce qui est particulier de celle de l’entrepreneuriat, c’est qu’elle donne théoriquement la possibilité à tous de monter un projet de petite, moyenne ou grande envergure qui aura un impact et de belles retombées, financières ou pas, dans la société. Normalement, avec les bonnes ressources, de la résilience, un bon concept et l’entourage adéquat, les entrepreneurs, peu importe leurs origines, devraient avoir les mêmes chances de réussite.

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Mais en pratique, selon Olivier Germain, il y a un (grand) bémol. « L’entrepreneuriat s’est construit essentiellement, autant théoriquement que dans les pratiques et politiques publiques, sur des figures d’entrepreneurs hommes blancs. Dans nos environnements, ça passe par la construction d’un mythe porté par des figures que l’on voit dans nos environnements. Lorsque l’on parle de grands entrepreneurs, comme dans mes cours, on évoque Steve Jobs, Elon Musk », explique le professeur. « Plus tard viennent les femmes, et encore plus tard, beaucoup plus tard, une personne racisée. »

si une personne tente de faire ce que personne n’a encore fait dans un domaine dans lequel il n’y a aucun référent, comment fait-elle pour être crédible et surtout avoir du financement?

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Effectivement, si nos référents d’entrepreneurs représentent toujours les mêmes figures, notre prépondérance à adhérer aux projets venant de ce type de personne sera forcément plus grande. C’est logique!

Alors si une personne tente de faire ce que personne n’a encore fait dans un domaine dans lequel il n’y a aucun référent, comment fait-elle pour être crédible et surtout avoir du financement?

« Éprouvant, très éprouvant », me dit Xavier Jourson.

Il m’explique qu’une personne blanche et une noire qui ont le même projet rencontrent des obstacles complètement différents. La personne noire doit envisager, en plus des problématiques de son projet, les enjeux ou freins que sa couleur de peau créera potentiellement.

«mon but : qu’après la réalisation de mon projet, les gens ne soient plus choqués de rencontrer un Noir, un Bleu, un Blanc, un Gris ou un Maghrébin»

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Xavier poursuit en décrivant la première réaction qu’il a trop souvent lorsqu’il cherche à avoir du financement et des commandites : « Comme tu l’entends bien, au téléphone, j’ai une voix française, soutenue, donc pas de souci. En personne, c’est là où je vois tiquer! », raconte-t-il. « Je vois que les gens ne s’attendaient pas nécessairement à voir une personne noire. Et c’est ça, mon but : qu’après la réalisation de mon projet, les gens ne soient plus choqués de rencontrer un Noir, un Bleu, un Blanc, un Gris ou un Maghrébin, et que tout le monde soit logé à la même enseigne! »

Xavier ajoute que son projet, comparativement à d’autres projets entrepreneuriaux similaires et malgré son aspect assez exceptionnel, ne soulève pas toujours l’engouement souhaité. L’interprétation très intéressante que fait le professeur Germain de ce phénomène nous donne certainement une piste de solution : « C’est complexe, mais cela pourrait s’expliquer en partie par le fait que Xavier incarne une figure nouvelle. Une figure de l’activisme entrepreneurial. Son projet ne se résume pas à faire des affaires, c’est un projet de transformation de la société. Aujourd’hui, en entrepreneuriat, on se restreint beaucoup au fait de dire qu’on va créer une business ou pas. Qu’on va faire de l’argent ou pas. »

«changer les codes sociaux pour se dire que c’est possible. Rendre les imaginaires possibles.»

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Le professeur poursuit avec sa définition de l’activisme social : « Ce serait comme dire “je veux permettre et créer de nouveaux imaginaires, je veux rendre les choses possibles”. Un jour, un gamin racisé qui verra Xavier va se dire “je peux faire ça”. Il veut changer les codes sociaux pour se dire que c’est possible. Rendre les imaginaires possibles. »

Et s’il y avait des solutions?

C’est très beau et puissant, mais comment fait-on pour changer les choses, pour faire évoluer les façons de penser?

Une partie de la réponse semble résider d’une part dans l’éducation, et d’autre part dans l’accroissement de la présence de « héros ordinaires ».

Si l’on souhaite que le banquier de demain soit sensible aux enjeux actuels, il doit être sensibilisé aux conséquences de la discrimination et de l’exclusion durant son parcours scolaire. Il faut faire tomber ses préjugés inconscients et conscients et poursuivre la sensibilisation dans les environnements de travail.

«L’entrepreneuriat ne peut pas être fait que de réussites extraordinaires»

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À ce chapitre, l’ESG UQAM montre l’exemple sur trois plans. « Le premier axe, c’est que pour nous, il faut “sortir du cadre”. Je pense qu’on travaille beaucoup plus la relation entre l’entreprise et la société. Ensuite, nos recherches en entrepreneuriat sont orientées sur les questions de minorisation et d’inclusion. Même si je déteste ce mot, c’est celui qu’on utilise présentement. Rendre l’entrepreneuriat démocratique et représentatif des sociétés et surtout le rendre ordinaire, c’est central. L’entrepreneuriat ne peut pas être fait que de réussites extraordinaires », ajoute l’expert. « Et puis, dans nos cours, on parle des valeurs entrepreneuriales : la persévérance, l’effort. Pas uniquement du goût du risque et des retombées financières », conclut Olivier.

Xavier poursuit la description de son projet : « Moi, ce n’est pas la notion de blé, d’argent, qui m’intéresse. Moi, quand je vois les étudiants, je veux qu’ils sachent que faire ce que je fais est possible. Je cherche à impacter et à mobiliser les gens. »

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En ce qui a trait aux héros ordinaires, il faut revoir l’image que nous projetons des entrepreneurs à succès et encore et toujours de l’impératif de la représentativité. Pas besoin d’être en TI, pas nécessaire de faire des millions ni d’avoir un impact sur les cinq continents. C’est là où le projet de Xavier est encore plus intéressant! En accomplissant ce triathlon complètement fou, il démontre à toute la société que c’est possible d’être une personne ordinaire et de faire des choses extraordinaires sans viser un rendement à faire saliver des actionnaires. Il démontre par sa persévérance, son travail et son implication sociale que tous ont le droit de rêver et de réussir, peu importe leur domaine. Une femme qui a ouvert un restaurant et offre de bons repas abordables afin de propager du bonheur dans un quartier particulièrement défavorisé est entrepreneure, au même titre qu’un homme qui lance une petite entreprise de tutorat gratuit dans son quartier afin de contribuer à la réussite scolaire des jeunes.

Comme le résume magnifiquement bien le professeur Olivier Germain : « Chaque personne est responsable de la collectivité, chaque personne est capable, à sa manière, même à une échelle micro, de transformer le système. »

Alors : quel projet avez-vous en tête?

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Visitez le site de l’ESG UQAM pour en apprendre plus sur la recherche en entrepreneuriat, altérité et société.