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L’entrepôt Van Horne et la mort du Mile End

Revitalisation et mémoires imparfaites d’un quartier.

Par
Jean Bourbeau
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« Selon les plans du promoteur, l’espace devrait laisser place à des commerces au rez-de-chaussée, à des espaces de travail et à un hôtel avec un restaurant. »

C’était prévisible, qu’une question de temps. Mais en lisant hier dans Le Devoir que l’entrepôt Van Horne allait changer de vocation, j’ai été pris d’un soupçon de répulsion.

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Je n’ai jamais caché à quiconque que j’habite le Mile End, car au-delà du théâtre de ses clichés, j’aime ce quartier à l’identité confuse, souvent égaré dans ses propres contradictions.

L’adresse du 1, Van Horne incarne l’héritage de cet ancien faubourg à l’enclave post-alternative que l’on connaît aujourd’hui. L’incongruité frappante d’un vestige monumental coincé dans le Montréal de mon grand-père, une saveur désuète et ouvrière qui berce nos emplettes, alors que tout autour bourgeonne dans l’impuissance spéculative. On voit nos rues changer, nos lieux fétiches, secrets, être dévorés par le « potentiel de dynamisation », grand synonyme de croissance économique.

Cette friche industrielle flanquée de voitures poquées est d’ailleurs devenue au fil des années le sujet de plusieurs de mes photographies sans vraiment que je m’en rende compte. Peut-être une volonté inconsciente d’archiver le vulnérable.

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Le bâtiment érigé en 1924 et coiffé d’une des dernières tours d’eau de la métropole est utilisé pour entreposer des documents. Un rôle, avouons-le, parfaitement inutile au développement du capital. Situé à l’angle de la Main et de Van Horne, l’entrepôt rayonne davantage comme une vieille statue de briques au charme suranné.

La félicité que l’on reconnaît au dépaysement n’est pas calculable sur Excel.

N’empêche, la transition annoncée entre en continuation avec l’idée d’une époque révolue, souvenir d’un Montréal éclopé qui, bientôt, ne sera plus. L’entrepôt Van Horne est ce qu’il reste du Mile End, comme jadis il y a eu des punks dans le Vieux-Port et la syphilis dans le Quartier des spectacles.

« Ils transforment radicalement le bâtiment en nous donnant quelque chose qui, d’une certaine façon, est plus utile que ce qu’on a actuellement, même si on perd beaucoup en authenticité », précise dans l’article Justin Bur, membre du conseil d’administration de Mémoire du Mile End.

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Derrière tous les discours dont on nous rebat les oreilles à propos de la revitalisation des espaces délaissés, telle une chasse à la différence, ce sont nous, citoyens et citoyennes, qui voyons, petit à petit, l’âme d’une ville disparaître.

« Notre objectif, c’est de rendre ça au public, de rendre ça vivant », vante le roi du design montréalais Zébulon Perron. Une proposition louangeant les mérites d’un programme de type Griffintown avec des boutiques pour une classe moyenne aisée, des bureaux probablement épurés pour startup de tech et un hôtel design annexé d’une terrasse sur le toit. Donner les épaves d’aujourd’hui au luxe de demain.

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Imaginer des yuppies se partager des petits plats en trinquant au vin nature sur le toit de l’entrepôt annonce bel et bien la fin du quartier. Du moins, son imaginaire contre-culturel. La prophétie des affiches « Mile End is Dead » collées aux vitrines abandonnées aura finalement eu raison.

Évidemment, je concède que ses attributs, autre que visuel et symbolique, ne sont pas accessibles au public. Une grande majorité du quartier n’a jamais vraiment su ce qui se tramait à l’intérieur, mais ce monolithe de briques dévoré par les graffitis apporte un patrimoine romantique qui fait de Montréal une ville plus cool que Brossard, invitant à l’errance, aux dérives et à la découverte de lieux atypiques à l’intérieur d’un réseau d’expériences et de textures différentes.

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« Ce bout de l’avenue Van Horne est mort. Le soir, c’est même parfois un peu épeurant. », déclare le designer architectural born and raised dans le quartier. Ce bout de Montréal n’est épeurant que parce que le marché ne s’y est pas encore imposé.

Pourquoi ne pas en faire un lieu à vocation artistique, communautaire, au volet plus coopératif ou muséal, voire des logements sociaux, dont aucun cri ne semble assez fort pour justifier leur nécessité? Mais un hôtel-boutique, vraiment? Est-ce supposé répondre à un besoin du quartier? Les Airbnb hors de prix ne logent-ils pas déjà les line-up des bagels?

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L’acceptabilité sociale sera au départ réticente, s’installeront ensuite la résilience puis l’indifférence, en témoin docile d’une autre ruine tombée dans les mains ambitieuses de la promotion. Un gain de plus pour l’investissement et cette grande métamorphose de la métropole en centre d’achat aseptisé.

Qui veut réellement squatter ou militer pour sauver l’entrepôt de son destin? Le Mile End n’est pas Hochelaga et la nouvelle vocation n’est pas sans rappeler la longue et pénible lutte pour l’autogestion du Bâtiment 7 dans Pointe-Saint-Charles.

L’entrepôt Van Horne restera en mémoire comme ce bâtiment qui déployait toute sa grâce dans mon quotidien comme dans celui de mes voisin.e.s par sa fonction, au risque de me répéter, parfaitement inutile et archaïque.

Quoi qu’il en soit, une consultation publique et ce billet d’opinion ne changeront rien au sablier du changement.

Je prendrai des photos ailleurs.