.png)
L’enquête ouvrière de la série « Telemarketers »
Si j’avais eu un seul conseil à me donner en sortant de l’école en 2006, c’est : « Fais attention à ce que tu vas choisir de faire comme profession. Oui, ça te prend une job pour payer les factures, mais c’est important de savoir où tu veux te rendre parce que la société s’en crisse de ce que tu veux. Tout ce qu’elle souhaite, c’est que tu remplisses une fonction. Peu importe laquelle ».
N’ayant pas eu accès à cette précieuse information à l’époque, je me suis ramassé à travailler dans un centre d’appel pendant quatre ans. Vous me direz qu’il n’y a pas de honte à y travailler et vous aurez raison, mais je vous répondrai qu’il n’y a pas de plaisir non plus.
La série documentaire HBO Telemarketers m’a ramené à une époque de ma vie que j’ai partagé avec des personnages louches, des membres de l’équipe canadienne olympique de la paresse et d’autres jeunes gens mêlés et sans direction comme moi. À travers les épisodes de stress post-traumatique et le découragement face à cette plaie sociale qu’est le télémarketing, j’y ai découvert un nouveau héros populaire. Un gars aussi coloré et imprévisible que Joe Exotic, mais infiniment plus aimable : Patrick J. Pespas, légende vivante du télémarketing.
La revanche des paumés
Telemarketers, c’est l’histoire de deux paumés qui travaillent dans un centre d’appel : Sam Lipman-Stern et Patrick J. Pespas. Le premier est un étudiant rebelle et mal dans sa peau, le deuxième est un héroïnomane fonctionnel dans la trentaine avec un don divin pour la vente. L’entreprise pour laquelle les deux hommes travaillent, Civics Development Group (CDG pour les intimes), appelle les gens à la maison pour leur demander de l’argent au profit de plusieurs causes caritatives impliquant des organisations policières.
Vous vous en doutez déjà peut-être, mais il n’y a pas une personne dans le besoin qui touche un rond de leurs « ventes » : c’est de la fraude.
Ce qui est bien (et touchant) à propos de cette série, c’est qu’elle est racontée par deux dudes qui n’ont aucune idée de la manière de tourner un film ou même de raconter une histoire. Ça commence avec quelques séquences YouTube mal filmées du chaos qui règne chez CDG, ça tourne en une série de conversations informelles entre collègues autour du caractère illicite et sans vergogne des activités de leur employeur pour finalement évoluer en une quête journalistique maladroite, bien que sincère et dévouée, menée par deux gars qui ne savent pas pantoute comment ça marche.
Leurs efforts sont louables et ils cognent ultimement à toutes les bonnes portes afin d’exposer le problème du télémarketing frauduleux aux États-Unis, mais le succès ou non de leur démarche n’est pas l’intérêt premier de Telemarketers. L’épopée de deux gars qui refusent d’occuper une fonction ingrate et malhonnête, et qui décident de prendre leur destin en main devient plus importante que ladite quête.
Telemarketers, c’est une série sur le documentaire comme outil de transformation personnelle.
.png)
Patrick J. Pespas, justicier extraordinaire
Tel que mentionné plus haut, le grande vedette de Telemarketers est Patrick J. Pespas, l’héroïnomane vendeur de mauvais rêves devenu chevalier dans la croisade contre la fraude téléphonique.
C’est à travers lui qu’on comprend la réalité d’une personne qui échoue dans un centre d’appel. Intelligent, charmant, mais criminalisé et aux prises avec un problème de santé grave, Pespas a saisi chez CDG la seule opportunité que le destin lui offrait de soutenir sa femme malade. Malgré sa dépendance et son caractère imprévisible, il s’est assuré d’y exceller. C’était pour lui une question de survie. De dignité humaine, même.
Sans le soutien et la vision de Sam, Pespas serait peut-être encore aujourd’hui fraudeur au téléphone.
La beauté de la série, c’est de voir cet homme qui n’a plus rien à perdre se voir offrir une nouvelle opportunité par le destin et l’accueillir avec un enthousiasme contagieux. L’idée de Sam a propulsé Patrick et l’enthousiasme de Patrick a propulsé Sam à travers les années, les menant jusqu’aux ressources nécessaires pour compléter leur série et la vendre à HBO
Parce que non, vous vous imaginez bien que les boys ont pas fait ça tout seul. Ils avaient un petit enjeu de crédibilité :
.png)
Cet enjeu, qui se fait sentir chaque fois que Patrick passe un intervenant ou une intervenante en entrevue, fait aussi le charme du projet. La présence de ce dernier est parfois tellement étrange et décalée (il garde, entre autres, constamment ses lunettes fumées) qu’on croit parfois à un sketch ou même à un épisode perdu de The Office, mais ce contraste entre l’excentricité pure et la présence professionnelle aguerrie des personnes interrogées met l’emphase sur le triomphe des deux documentaristes : deux membres de la classe ouvrière venus demander des comptes aux instances dirigeantes de leur gouvernement.
Au-delà de son propos (dont la série fait pas mal le tour en un épisode), si Telemarketers est aussi agréable à regarder, c’est parce qu’elle célèbre la transformation sociale et personnelle de cas qu’on aurait jugés comme déjà perdus.
Si ça vous tente en fin de semaine, c’est disponible sur Crave et ça ne dure que trois épisodes, soit à peu près la même longueur que le dernier Gardiens de la Galaxie. Ça se regarde très bien en une seule soirée.