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L’énigmatique « Château de la 40 »
Chaque patelin est habité de ces lieux mystérieux, ces constructions uniques aux géométries inhabituelles qui aimantent les regards sans justifier leurs différences. Sur la voie de service de la Métropolitaine, autoroute dantesque et cauchemar montréalais, loge l’un de ces monuments improbables qui nous a tous déjà fait tourner la tête. Le Ivan & Co, mieux connu sous le nom populaire du « Château de la 40 ». L’abondance d’informations affichées laisse deviner qu’il s’agit d’une boutique de location d’équipement de scène. Mais quelle histoire se dissimule sous ces airs de forteresse gothique? Aux grands sujets les grandes enquêtes.
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«J’y vais au flair, si je vois quelque chose d’intéressant, j’achète et après je lui trouve un recoin.»
Je roule sur le trottoir de Crémazie Ouest en contournant tant bien que mal la foule piétonne. Longeant un cortège de bâtisses empoussiérées, j’arrive enfin à l’adresse où un homme vêtu d’un Tie Dye, perceuse à la main, s’affaire à quelques réparations. Je me présente au propriétaire-bricoleur, Ivan Dow. Affable et d’une grande douceur, il descend de son échelle pour m’introduire à l’intrigante devanture : « J’ai déniché ça et ça dans un marché aux puces, me dit-il en pointant différents ornements dans toutes les déclinaisons de gris. Cette statue, je l’ai repérée dans une ruelle après Halloween. Bref, ça provient d’un peu partout. J’y vais au flair, si je vois quelque chose d’intéressant, j’achète et après je lui trouve un recoin. »
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Sur la structure de bois cohabitent des dizaines de gargouilles en plâtre, des diablotins, des dragons, des vitraux multicolores, du visuel tournoyant et hallucinogène. Une mise en scène d’épouvante entre château médiéval et cathédrale hantée. Une locomotive transperce même la devanture. La nuit, un arc-en-ciel de lumière éclaire les remparts du projet fantasque. Au sujet de l’iconique façade : « Je n’ai aucune idée du montant total investi. Si j’ai un concept, je le fais. J’essaie, je teste, je laisse aller ma créativité. »
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Il m’exhibe avec excitation le nouveau système d’illumination DEL qu’il compte installer un peu plus tard dans la journée. « J’étais l’un des premiers immeubles à Montréal illuminé par des DEL. Je les avais rapportées d’un voyage en Chine en 2004. Ça m’avait choqué à quel point ils étaient en avance sur nous. » Nous nous entendons à peine à travers le tintamarre des poids lourds défilant à toute allure. La proximité avec l’autoroute rend d’ailleurs la façade presque impossible à photographier sans mettre sa vie en danger. Ivan m’apprend qu’il y a quelques années, un véhicule s’est engouffré dans le sous-sol du commerce à la suite d’une fausse manœuvre hivernale.
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«Je suis de nature bricoleur. C’est un peu toujours Halloween pour moi.»
Nous entrons dans le magasin dont l’intérieur, morcelé en petites pièces, rappelle la demeure qu’elle fut autrefois. On retrouve tout un bric-à-brac de lumières, d’enceintes, de mixers et des kilomètres de câble. « Je crois que tu es le premier membre des médias à visiter ma boutique », dit-il avant d’allumer sa plus récente acquisition, une machine à fumée dernier cri. En un instant, l’étage entier est aveuglé par l’épais brouillard.
Natif de Manchester en Angleterre, Ivan est aujourd’hui âgé de 67 ans. Très jeune, il traverse l’Atlantique avec ses parents « en quête d’une vie meilleure, plus prospère ». Il commence le métier en 1969, dès l’âge de 15 ans, avec des danses dans les sous-sols d’église et des jeunes groupes rock’n’roll de taverne : « Partout, j’observais les systèmes d’éclairage en me disant, il y a du business à faire ici! Quelques années plus tard, j’étais en tournée avec Offenbach! Quand je suis devenu père, j’ai décidé de me réorienter vers la location, et depuis, j’offre les meilleurs prix en ville! »
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Mon hôte revient sur la genèse des modifications cosmétiques : « J’ai acquis la propriété en 1994, Crémazie était assez triste à l’époque. Et elle l’est encore à ce jour [rires], alors j’ai entamé tout simplement une conversion qui, au fil du temps, ne s’est jamais arrêtée. Nous voilà presque 30 ans plus tard. Un work in progress, un peu comme la vie, philosophe-t-il en me tendant une mini-palette de chocolat. J’ai créé cette devanture pour le plaisir, mais je ne cacherai pas que ça attire la curiosité des clients, le château de la 40! »
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Il me montre l’ambitieux travail développé dans sa cour arrière à Dorval, où il a bâti un immense paysage de ruines qui s’apparentent au tableau L’Île des morts de Böcklin. « Je suis de nature bricoleur. C’est un peu toujours Halloween pour moi. » Le soir du 31 octobre, lui et sa femme invitent chaque année les enfants du quartier les plus téméraires à s’aventurer dans son inquiétant domaine.
Pour le futur, Ivan me confie son désir de rester en affaires encore longtemps et de continuer à entretenir cette belle relation qu’il a construite avec sa clientèle. Et l’avenir du château, lui?
« Il lui faut encore et toujours plus de lumières! »