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L’enfer c’est les vacances
« C’est complètement fou le nombre d’appels qu’on a. Ça fait 20 ans que je fais ça et je n’ai jamais vu ça! », lance le propriétaire de chaletsboisrond.ca Yann Berthelette, qui ne sait plus où donner de la tête depuis que le gouvernement a donné le feu vert à la location à des fins récréatives.
Et comme les vacances risquent de se passer au Québec cet été, le téléphone ne dérougit pas pour poser ses valises à un des 200 chalets en bois rond offerts sur le site de de M. Berthelette, principalement éparpillés dans le secteur du Mont-Tremblant. « J’ai habituellement 300 appels par jour et là c’est plus de 1000. Hier, mes deux réceptionnistes ont envoyé 1458 courriels en 24h, c’est non-stop! », calcule M. Berthelette, qui semblait avoir besoin de ventiler avec le bordel logistique qui fait rage depuis que les autorités ont autorisé le retour des chalets, campings et pourvoiries le 1er juin.
«J’ai habituellement 300 appels par jour et là c’est plus de 1000. Hier, mes deux réceptionnistes ont envoyé 1458 courriels en 24h, c’est non-stop!»
La ministre du Tourisme Caroline Proulx n’avait même pas fini d’expliquer son plan de réouverture en conférence de presse quelques jours plus tôt que le téléphone s’est mis à retentir à la Pourvoirie du Lac Berval, raconte une employée. « Notre nombre d’appels a aussitôt triplé, c’est la folie! », résume Claudia Racine, dont la pourvoirie dispose de six chalets autour du lac Berval. « En fait, le téléphone sonne depuis la permission de pêcher à la journée. Si ça continue comme ça, on devrait rattraper nos retards », explique Mme Racine, qui accuse quand même de lourdes pertes en raison de l’arrêt des activités en avril et mai.
Si les affaires ont redémarré sur des chapeaux de roues, la réalité semble cependant moins rose qu’on pourrait le croire à entendre les intervenants interrogés, aux prises avec une gestion périlleuse de cette reprise soudaine de leurs activités. « Depuis le feu vert, ce qu’on fait, c’est tricoter, détricoter et retricoter », illustre de son côté la co-propriétaire du site maisonsetchaletsàlouer.com Patricia Gauthier, dont la majorité des 150 établissements à louer sont concentrés en Estrie et dans les Cantons de l’Est.
Comme les chalets étaient au départ autorisés pour les clients d’une même adresse, les locateurs ont été forcés d’annuler plusieurs réservations faites d’avance pour se conformer aux règles sanitaires imposées par Québec. Mais voilà que la permission accordée une semaine plus tard à des groupes de 10 personnes provenant de trois adresses différentes a à nouveau provoqué un intense branle-bas de combat chez les locateurs, qui ont dû reprendre contact avec leurs clients pour réajuster le tir.
Ajoutez à cela l’obligation de laisser le logement vacant 24h après une location (pour certains types d’hébergements) pour des raisons sanitaires et vous obtenez un joyeux bordel.
C’est sans compter la PCU, qui complique diablement l’embauche de personnel au salaire minimum pour nettoyer les chalets et installations.
Bref, les chalets sont peut-être tous loués, mais les locateurs sondés s’ennuient de la quiétude d’avant. D’autant plus que la plupart n’ont jamais de mal à louer leur installation, plusieurs mois en avance même.
Yann Berthelette ne cache pas son exaspération. « La règle du 24h entre les locations, le nombre restreint de gens et Arruda qui ajoute une couche de niaiserie par jour », peste-t-il, ajoutant consacrer trop d’énergie à dealer avec des clients impatients qui posent 1000 questions allant dans toutes les directions. « On nous dit: j’ai vu ça à TVA, j’ai entendu ça à Radio-Canada. On se fait engueuler, les gens veulent des «rabais COVID», nous prennent pour la ligne info-coronavirus du gouvernement. Bref ça crée beaucoup de problèmes », résume, excédé, M. Berthelette, ajoutant avoir « zéro appui » du gouvernement pour dépatouiller tout ça.
«On se fait engueuler, les gens veulent des «rabais COVID», nous prennent pour la ligne info-coronavirus du gouvernement. Bref ça crée beaucoup de problèmes.»
Patricia Gauthier aussi témoigne de ce climat de travail difficile. « Les gens n’ont pas peur de la maladie, ils ont peur de perdre une journée à cause de la règle du 24h. Ils deviennent alors émotifs, stressés et sont impatients. C’est normal, ils ont besoin de vacances », résume Mme Gauthier, dont les 150 chalets affichent presque tous complet jusqu’à l’automne.
Et même si l’argent entre à nouveau (pour des chalets qui sont généralement loués annuellement durant l’été de toute manière, rappelons-le), les revenus des locations perdues des derniers mois ne reviendront jamais. « Une paire de jeans, tu l’achètes, tu la retournes au magasin et elle va se vendre. La fin de semaine du 10 avril 2020, elle, elle ne reviendra jamais », illustre Yann Berthelette, qui calcule avoir perdu environ 100 000$ à cause de la COVID, sur un chiffre d’affaires annuel oscillant autour de 750 000$.
« J’ai augmenté mes prix »
Comme la demande l’emporte largement sur l’offre, la surenchère est tentante, mais difficile avoue Yann Berthelette. « J’ai même pas eu le temps tellement ça a repris vite », admet avec franchise le locateur, qui aurait aimé monter ses prix un peu pour éponger les pertes des derniers mois.
Pire, il perd plus d’argent pour acheter du Purell, augmenter le salaire des employés à l’entretien ménager et louer des chalets de 16 places à un maximum de 10 personnes pour se conformer à la Loi. « À cause de la PCU, j’ai plus d’employés qui veulent venir travailler », soupire-t-il.
Comme la demande l’emporte largement sur l’offre, la surenchère est tentante, mais difficile avoue Yann Berthelette. «J’ai même pas eu le temps tellement ça a repris vite.»
Patricia Gauthier abonde dans le même sens. « Je n’ai aucun CV, les gens ne sont pas intéressés à venir travailler. Par chance, j’ai pu rapatrier quatre anciens employés », souligne-t-elle, ajoutant aussi ne pas avoir eu le temps d’augmenter ses tarifs tellement les chalets se sont loués vite. « J’ai majoré un peu les frais de nettoyage pour aider les proprios, parce que le nettoyage est plus cher qu’avant. Il faut désinfecter les kayaks, etc. Mais on ne veut pas que les gens paient trop cher non plus », nuance Mme Gauthier.
Propriétaire d’un seul chalet à Sainte-Émélie-de-l’Énergie, dans Lanaudière, Maryse Gagnon a pour sa part refusé d’augmenter ses prix pour profiter de la manne. « Je suis sur un groupe Facebook de propriétaires de chalet et ça se discute beaucoup, il y a de l’abus même, mais j’ai pas voulu aller dans cette direction », explique Mme Gagnon, qui reçoit une centaine d’appels par jour pour mettre la main sur son chalet au bord de l’eau, au lieu des 10 habituels. Son chalet est réservé des mois en avance, mais si des dates se libèrent, il est à nouveau réservé dans l’heure, mentionne-t-elle. « J’ai l’impression que les gens auront peur de voyager à cause d’une deuxième vague, donc ça devrait continuer comme ça jusqu’à Noël », croit Mme Gagnon, qui estime avoir perdu 10 000$ en location ce dernier mois.
« J’ai l’impression que les gens auront peur de voyager à cause d’une deuxième vague, donc ça devrait continuer comme ça jusqu’à Noël », croit Mme Gagnon.
La présidente de l’Association des résidences de tourisme du Québec (ARTQC) Mélanie Robichaud affirme pour pour sa part avoir augmenté les prix de ses hébergements, à l’instar de plusieurs de ses membres. « Effectivement, les prix sont plus élevés que l’an passé, mais je ne pense pas que ça soit abusif », nuance Mme Robichaud, dont la nouvelle association a pour but de représenter les intérêts des entrepreneurs de ce secteur d’activité, qui a souvent mauvaise presse ou est un peu oublié des autorités, selon elle. « On avait créé une page Facebook l’an dernier pour réunir quelques collègues, mais avec la COVID, plusieurs propriétaires se sont tournés vers nous pour nous demander de les représenter », raconte Mme Robichaud, qui observe la recrudescence de Québécois parmi sa clientèle, à l’heure où les Européens et Américains n’ont pas encore la permission de venir se reposer ici. « J’espère que toute cette situation va encourager les gens à visiter notre Québec durant les vacances », souligne-t-elle.
La ruée vers la SEPAQ
Le réseau de la SEPAQ aussi était aux premières loges pour témoigner de cette ruée vers les vacances spontanées. « Le 27 mai, quand on a su que les familles pouvaient louer, on a eu 90 000 visites sur notre site web en fin d’après-midi », calcule le porte-parole Simon Boivin, ajoutant que ce buzz locatif aura permis à la SEPAQ de rattraper du retard accumulé ces derniers mois.
Boivin ajoute que les chalets s’envolent toutefois assez vite et d’avance, à commencer par ceux au bord du lac et durant les longs congés ou les vacances de la construction. « Il faut quand même faire preuve d’une certaine souplesse et baisser nos standards. Ton chalet au bord de l’eau dans tel parc, ça se pourrait que quelqu’un soit passé avant », souligne Simon Boivin.
Ce dernier m’a néanmoins guidé dans mes recherches sur le site de la SEPAQ, où j’ai découvert la force de l’expression « quand on veut, on peut ».