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L’élevage éthique : Je veux pas être lourd mais…
J’ai fait un rêve étrange. J’ouvrais les yeux dans une pouponnière, en compagnie d’une centaine d’autres bébés comme moi, couchés pêle-mêle dans un gigantesque bac en plastique. Pas de ciel, une ampoule blanche à la place du soleil. Je me retrouve sur un tapis roulant d’usine, certains poupons sont attrapés au passage par d’énormes mains de caoutchouc blanc, je ne sais pas où ils vont.
J’ouvre les yeux une fois de plus, je suis un adolescent de 15-16 ans en compagnie d’une centaine de jeunes de mon âge dans une cafétéria d’école secondaire. On y sert bel et bien à manger, mais entre temps on ne va jamais en cours, on reste là, à vivre nos vies d’adolescents dans une cafétéria. On dort sur les tables, on se réveille pour déjeuner, on peut sortir dans la cour se délier les jambes, mais tout est clôturé, impossible d’aller plus loin. Finalement, juste avant les vacances d’été, un homme en sarrau blanc vient me chercher, m’emmène de l’autre côté, m’étend le cou sur un tronc d’arbre, ma tête roule dans la poussière.
C’est un truc qui revient souvent dans la conversation avec le consommateur 2017 ça «l’élevage éthique».
J’ouvre les yeux une troisième fois, je suis couché au centre d’une table, ma peau brûlée est assaisonnée BBQ, mononc Fernand se prend une cuisse en riant: «Au moins il aura eu une bonne vie hein!» Noir. Générique de fin.
OK, j’ai pas véritablement rêvé une analogie aussi chouettement cinématographique, mais ça synthétise néanmoins pas mal mon point de vue sur «l’élevage éthique». C’est un truc qui revient souvent dans la conversation avec le consommateur 2017 ça «l’élevage éthique». Celui dans lequel les animaux sont «bien traités», «libres», on dit même «heureux» parfois.
C’est donc acceptable d’éventuellement les manger… right?
Les animaux qui vivent au grand air
Ah ça, c’est des poules élevées au grand air! Moi je consomme juste des animaux élevés humainement!
Notez bien que je ne veux pas faire la morale à qui que ce soit, je consomme de la viande moi aussi. Mais c’est étrange comme phénomène non? Le besoin de savoir que les animaux qu’on consomme ont préalablement «eu une belle vie».
PFK sort des publicités ayant pour unique but de nous rassurer en mentionnant que leur poulet est «élevé à la ferme».
J’ai l’impression qu’il n’y a pas si longtemps, on sacrait tous les personnages de la ferme dans le broyeur sans le moindre remord et soudainement, hors du vide interstellaire, PFK sort des publicités ayant pour unique but de nous rassurer en mentionnant que leur poulet est «élevé à la ferme».
Qu’est-ce qui se passe PFK? Qu’est-ce qui vous pousse soudainement à switcher le focus de votre campagne publicitaire de «notre poulet assaisonné selon la recette originale du colonel» à «notre poulet court dans les champs avant d’être assaisonné selon la recette originale du colonel»?
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Serait-il possible que l’horreur de l’élevage animal soit tranquillement en train de nous rattraper? Que monsieur et madame tout le monde soient, malgré eux, exposés à la réalité des abattoirs, du poulet à viande mutant sans plume et des vaches avec des hublots pour voir à l’intérieur (allez sur Google c’est badtrippant!), au point de commencer à… *sursaut* feeler cheap? (Éclairs et musique dramatique)
Des poulets-marionnettes
Ces temps-ci, je tombe souvent sur une publicité des éleveurs de volaille du Québec que je trouve particulièrement malaisante.
Décor de poulailler, deux marionnettes de poules fluffy à la «Fragle Rocks» ont l’échange suivant:
– Poule 1: J’vais te dire une affaire, c’est qu’icitte on est ben! Pis on est ben nourris hein! Pis ben traités hein! Pis on est libres aussi…
La seconde poule referme le bec de la première pour l’empêcher de parler.
– Poule 2: LÀ on est ben!
Riff de banjo upbeat et voix off: Le poulet du Québec, on l’élève avec soin!
Snare drum, retour à District 31, mononc Fernand se tape la cuisse en se trouvant soudainement un peu plus bienveillant de manger du poulet aussi bien traité.
Si ce genre de pub existe, c’est qu’il y a quelqu’un à rassurer…
Bon… Allons-y dans l’ordre si vous le voulez bien…
1- Une annonce sur le degré de bonheur des animaux où l’on ne montre ni animaux, ni conditions d’élevage, uniquement des marionnettes interprétées par des humains scriptés… Si j’étais une poule, il serait possible que ce soit le moment où je regrette de n’avoir arraché d’oeil à personne avant de mourir.
2- «On est libres!» Non. Non. Juste non. Si votre poulet était libre vous ne seriez pas de “l’élevage” vous seriez «les gars qui attrapent super bien du poulet sauvage».
3- Chers producteurs de poulet, vos poulets sont tués, peu importe. Tous vos satanés poulets vont mourir de votre main, peu importe le scénario «Truman Show» que vous décidez de leur faire vivre avant.
Si ce genre de pub existe, c’est qu’il y a quelqu’un à rassurer… Maladroitement, avec toutes les contradictions que ça implique. Je ne blâme pas les éleveurs du Québec, ils ne font qu’essayer de vivre d’une profession vieille comme le monde. Reste que veux, veux pas, l’élevage c’est de l’exploitation. Le problème c’est qu’on en est venu à accepter que tout ce qui n’est pas “humain” est acceptable à exploiter.
Est-ce qu’on est des monstres?
Qu’est-ce qui se passe? On choke? On veut consommer des produits animaux ET se convaincre qu’on les aime? Que leur bonheur est important? Qu’on a raison de les manger parce qu’on en a pris soin avant de les tuer? La vérité c’est que si on avait le bien-être des animaux à coeur, on ne les mangerait pas… Je suis plate hein?
Est-ce que la vérité c’est pas qu’on est tous un peu des monstres? Comme je l’ai dit, je consomme de la viande moi aussi, et des oeufs le dimanche… Je n’éprouve pas nécessairement de remords à le faire. Je devrais, je crois. Mais je me sens conditionné à accepter comme une évidence qu’être un humain m’octroie à la naissance le droit de vie ou de mort sur ce qui m’est «inférieur», parce que ça ne porte pas de pantalons. J’essaie vraiment très fort de ne pas vous «point Godwin» tout ça depuis le début du paragraphe.
Peut-on considérer que l’élevage, la branche la plus «ouverte» de l’exploitation animale est «une bonne chose»?
J’en reviens aux publicités de poulet. Déclarer que les animaux d’élevage sont mieux traités ne sous-entend-il pas qu’ils étaient mal traités à la base?
Maintenant tout ça revient à notre perception personnelle de ce qui est bien ou mal. Peut-on considérer que l’élevage, la branche la plus «ouverte» de l’exploitation animale est «une bonne chose»?
Je ne sais pas, je me pose des questions. Votre réponse sera la bonne pour vous. Moi ça me travaille par contre. Je ne connais pas personnellement de poulet, mais à mon avis ils méritent un peu mieux que des explications en marionnettes.
*(Notez que pour les besoins de l’article je me suis concentré sur le poulet, mais l’argumentaire pourrait s’appliquer à n’importe quel animal victime de notre besoin de consommation.)
Pour lire un autre texte de Charles Beauchesne: «J’ai des cheveux, les gens veulent maintenant coucher avec moi».