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Il y a des grosses manifs dans la rue. T’es pas d’accord avec les revendications et t’es directeur d’un festival qui se tient dans la rue dans quelques jours.
Tu prends la parole dans les médias pour dire que les gens dans la rue sont des bébés gâtés et, après ça, tu affirmes le plus sérieusement du monde que tu ne cherches pas la confrontation? C’est un peu comme se tirer dans le pied et ensuite accuser le fusil.
Alain Simard l’a bien compris. Ce n’est pas une question de liberté d’expression. C’est plutôt une question du devoir de réserve que requiert la fonction de directeur d’un festival qui se produit dans une rue qui doit maintenant être partagée avec les manifestants.
Gilbert Rozon n’est pas un simple citoyen (le juge Béliveau de la Cour supérieure l’a déjà souligné). Il a tout de même droit à son opinion. Mais il devrait penser à son festival et à son public avant de penser à lui-même. Pour l’instant, ça ressemble à un «trip d’égo»: j’ai le droit à ma liberté d’expression et j’ai le droit de minimiser la position des manifestants dans les médias, mais vous devez me laisser organiser sans trop me déranger mon festival dans cette même rue qui est la vôtre depuis quatre mois. Si on constate une diminution de la fréquentation de «son» festival, il pourra ensuite accuser les étudiants de tous les maux, comme s’il ne l’avait pas cherché.
D’ailleurs, sur son compte Twitter, outre le fait qu’il est très divertissant, on remarque qu’il emploie les sophismes qu’il reproche aux autres.
En fait, Gilbert Rozon illustre bien la déconnection du politicien actuel. Il recourt à outrance au paternalisme, cet appel à la «raison» auprès des leaders étudiants n’en étant qu’un exemple. Pourquoi un donneur d’opinion détiendrait-il le monopole du raisonnable? Ses propos insultent et provoquent les centaines de milliers de Québécois et Québécoises qui ont manifesté pacifiquement depuis quatre mois.
Gilbert Rozon s’inquiète de la «violence». Mais de quelle violence? De la dizaine de vitrines brisées, d’un certain feu un soir après l’adoption de la loi 78 ou des milliers de gens qui ont nécessité des premiers soins parce qu’ils voulaient affirmer leur liberté d’expression ailleurs que sur Twitter?
«En tant que Syrien, je suis venu dans ce pays avec l’idée que c’était le paradis de la démocratie. Voir ce qui s’y passe, spécialement à Montréal, c’est très décevant.»
– M. Al Moussa, militant syrien et Montréalais
Ce type de commentaire est beaucoup plus inquiétant pour l’image de Montréal à l’étranger que ce que pourraient faire des milliers de manifestants à un Grand Prix. Au Bahreïn, on a vite oublié les manifestations. L’atteinte aux droits fondamentaux dans ce petit royaume, par contre, plusieurs organismes sont là pour nous le rappeler année après année.
Abus de pouvoir
Le ministre de l’éducation du Québec peut désormais, par décret, supplanter toute loi votée par l’Assemblée nationale. Des peines excessives et le renversement du fardeau de la preuve pour les associations étudiantes et syndicats constituent des atteintes graves aux droits et libertés fondamentaux. Et c’est le très conservateur Barreau du Québec qui l’affirme. Il a aussi taillé en pièce le règlement anti-masque du maire de Montréal. Partout sur la planète, comme plusieurs ici à Port-au-Prince, les militants pour les droits humains sont inquiets, ceux qui pendant longtemps ont porté notre démocratie en exemple. Cette image est en voie de changer à cause le la loi 78 et de ce règlement municipal. Mais ne touchez pas à nos festivals.
La tactique de la peur
L’intimidation n’est pas seulement présente dans la loi: son application suscite aussi la peur, comme toute tactique autoritaire.
«Je suis sorti manifester l’autre jour. […] J’arrêtais pas de penser une chose: Je m’en vais dans à une manifestation et je ne sais pas si je vais finir la soirée à l’hôpital ou en prison. À mon sens, c’est révélateur. Ce n’est pas le type de pensée qui devrait me traverser la tête dans ce pays. C’est le type de pensée qui devrait me traverser la tête quand je suis au Maroc ou dans un autre État arabe.»
– M. Alaoui, Montréalais qui a grandi au Maroc
Le gouvernement a préféré museler la contestation en arrêtant des milliers de manifestants plutôt que de trouver une solution négociée à ce conflit qui s’éternise. C’est triste de voir nos politiciens n’accorder que si peu d’importance à la position des jeunes. Ceux-ci ne semblent même pas valoir, aux yeux du gouvernement actuel, un maigre dollar ajouté au cadre budgétaire. Pendant ce temps, des promoteurs d’évènements qui rapportent des millions de dollars à l’économie locale, comme Gilbert Rozon, sont pris de panique.
Négocier, non merci
Ce refus de la négociation et de la médiation laisse beaucoup de questions en suspens. Les membres de ce gouvernement auraient-ils tous recalé leur cours de gestion de crise à l’université?
Tous devront mettre de l’eau dans leur vin, les étudiants aussi. Mais en fermant la porte aux négociations, rien ne peut avancer.
Les élections, ce n’est pas tout. Entre les élections, il faut aussi apprendre à gouverner. Où se trouve l’humilité dont Jean Charest avait lui-même fait preuve l’année dernière?
«Ce n’est pas vrai qu’on se fait élire et qu’on fait ce qu’on veut. Pas en démocratie. Ne pas tenir compte de l’avis des autres, même de ceux qui sont dans l’opposition, c’est une chose qui met en péril un gouvernement.»
Monsieur le Premier ministre, responsable de la jeunesse du Québec, si ce n’est pour celle-ci, faites-le au moins pour Gilbert et son festival. Il a l’air apeuré.