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Legault, Duplessis et la petite noirceur
Pour François Legault, Duplessis avait ses défauts, mais « au moins, c’était pas un woke, comme Gabriel Nadeau-Dubois ».
On a vu au lendemain de sa déclaration que Legault n’avait aucune idée de ce qu’était un woke, se contentant de régurgiter l’homme de paille dessiné par Bock-Côté, au moment d’en donner la définition. En bref, les wokes attaqueraient le Québec et les « valeurs québécoises » en disant, tenez-vous bien, que la Loi sur la laïcité de l’État serait discriminatoire.
Et, si on comprend bien, être woke serait pire que d’avoir les défauts de Duplessis. En entendant ça, on serait porté de se demander quels étaient les défauts de Duplessis. Est-ce qu’il était de mauvaise humeur avant d’avoir pris son café? Ou est-ce que le « cheuf » manquait de ponctualité?
Avant d’en parler, je crois qu’il convient de replacer le personnage dans son époque et de lui reconnaître les qualités qui étaient les siennes. Duplessis a construit plus d’écoles que n’importe quel autre Premier ministre du Québec, en plus de mettre en place le crédit agricole, d’électrifier nos campagnes et de défendre farouchement les prérogatives de l’État du Québec. C’était un incroyable animal politique doté d’un sens de la formule inégalé qui a géré les finances du Québec avec rigueur. Duplessis était animé d’un sincère désir d’améliorer la condition des Canadiens français et l’a accompli à plusieurs égards.
Mais…
Mais, ses défauts le placent dans une catégorie où il est seul, dans l’histoire du Canada. D’abord, le gars avait une tentation totalitaire, cumulant les postes de ministre des Finances, ministre de la Justice et procureur général, puis premier ministre (ce qui est inusité dans l’histoire du Canada). Il était allergique à tout contre-pouvoir, que ce soit celui des tribunaux, des intellectuels ou des syndicats.
En tant que ministre de la Justice, il institua pas moins de 1665 poursuites pénales contre les Témoins de Jéhovah, menant une véritable persécution religieuse commanditée par l’État. Quand un restaurateur du nom de Roncarelli, lui-même témoin de Jéhovah, prit l’habitude de payer les cautions pour faire libérer ses coreligionnaires, Duplessis contacta le président de la Régie des alcools pour lui demander de lui retirer sa licence, afin qu’il perde ses moyens financiers.
parmi les défauts du chef, il y avait l’intolérance religieuse, le mépris pour la liberté d’expression, de conscience et de religion, sans compter les tentations totalitaires
Il a aussi promulgué la Loi « du cadenas » qui permettait à n’importe quel officier de police de perquisitionner une résidence privée afin d’y débusquer de la « propagande communiste » (sans même que le terme « communiste » ne soit décrit dans la loi) et d’y apposer un cadenas pour une durée d’un an. Quiconque était déclaré coupable d’avoir coupé le cadenas empêchant l’accès à sa résidence pouvait être condamné à un an de prison.
Sous son règne, nos ancêtres vivaient dans un régime de censure véritable, avec le concert de l’Église catholique dont les prérogatives se mélangeaient à celles de l’État dans les domaines de l’éducation et de la santé. Des livres et des auteurs brillants étaient mis à l’index, des journalistes étaient menacés personnellement de perdre leur emploi par le « cheuf » et les ouvriers qui tentaient de faire respecter leurs droits humains les plus élémentaires étaient violemment réprimés.
Bref, parmi les défauts du chef, il y avait l’intolérance religieuse, le mépris pour la liberté d’expression, de conscience et de religion, sans compter les tentations totalitaires, heureusement mises en échec par la Cour suprême du Canada au bout de quelques années, suite au travail remarquable de certaines juristes d’exception, dont F.R. Scott.
Et pour François Legault, ces défauts-là sont moins pires qu’être un « woke », comme Gab Nadeau-Dubois.
Voir la désinvolture avec laquelle François Legault s’accommode des « défauts » de Duplessis a de quoi inquiéter tous ceux qui ont à cœur les valeurs de liberté et d’égalité.
Pourtant, même si le « mouvement woke » (ou du moins la caricature qu’on en fait) a donné lieu à certaines dérives, celles-ci sont banales si on les compare à la négation organisée en haut lieu de pouvoir des libertés civiles et religieuses des Québécois pendant les décennies du règne de Duplessis.
Voir la désinvolture avec laquelle François Legault s’accommode des « défauts » de Duplessis a de quoi inquiéter tous ceux qui ont à cœur les valeurs de liberté et d’égalité.
En terminant, pensez-vous que la Loi du cadenas, la croisade de persécution des témoins de Jéhovah et les défaites subséquentes du « cheuf » en Cour suprême ont nui à Duplessis? Au contraire, il s’en est servi pour se faire réélire! Malgré une discrimination flagrante contre les minorités civiles et religieuses, Duplessis a réussi à se positionner en bon père de famille défendant la nation canadienne-française contre les assauts d’une religion hostile à ses valeurs, des avocats juifs et des juges anglophones… Ça vous rappelle quelqu’un?
Si les violations des libertés religieuses contenues dans la Loi sur la laïcité de l’État ne peuvent être comparées aux persécutions idéologiques et religieuses menées par Duplessis, force est d’admettre que, sur le plan de la forme, la méthode populiste de Legault et compagnie est en tout point identique à celle de Duplessis. C’est pas moi qui le dis, mais Legault qui l’admet fièrement d’un air de mononcle satisfait, à l’Assemblée nationale.