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Une fourrière et des chiens

L'égaré errant: Épisode #4

Par
Gabriel Deschambault
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(Pour relire le troisième épisode, c’est ICI.)

Et voilà que je vagabonde encore, complètement épuisé et seul au milieu de nulle part. Sous la pluie cette fois. J’ai vraiment un don spécial pour la déchéance. Ma mère qui me répète sans cesse que « rien n’arrive pour rien ». Elle va devoir me l’expliquer celle-là.

Je ne suis pas sorti du bois et en plus, la saleté de contravention qui s’imbibe dans ma poche arrière m’indispose tout en me rappelant que j’ai encore réussi à m’appauvrir. Et de beaucoup.

Je vous raconte:

Hier soir, j’ai fini par retrouver un semblant de civilisation à l’intersection de la 117 et du Chemin de la Montagne. La cabine téléphonique qui s’y trouvait ne m’a été d’aucune aide, mon 25 cennes ne suffisant pas à la montée de l’inflation! 50 cennes maintenant!? Hélas, personne n’a daigné s’arrêter pour faire monter un pouceux un peu fané. J’ai donc parcouru les six kilomètres restants à pied pour finir par aboutir à la maison aux petites heures. Arrivé sur le pas de ma porte, une pluie diluvienne se mit de la partie. J’avais au moins évité ça. Enfin un peu de bonne fortune.

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J’étais défait, épuisé, vanné et encore et toujours perdant. Mes pieds souffraient le martyr et Caroline, ma soi-disant blonde, avait ramassé l’essentiel de ses choses et, sans note, elle avait quitté notre nid.

C’est peut-être une bonne chose, puisque le béguin renouvelé pour mon ex ainsi que le réveil fortuit dans le lit d’une inconnue démontraient de façon éloquente le caractère vulnérable de notre couple. De toute façon, cette relation sclérosée devait s’éteindre de sa mort préméditée. Je lui souhaitai intérieurement de rencontrer meilleur homme (tâche plutôt facile) et je passai à autre chose de plus important : Retrouver mon auto. Et peut-être un jour, dormir…

Il y avait un message sur mon répondeur m’informant que ma Toyota avait été remorquée dans une fourrière à Mille-Isles. Pourquoi si loin? Je retournai l’appel et un commis m’informa qu’on l’avait retrouvée stationnée dans un endroit interdit à Prévost. Pourquoi l’avoir remorquée alors? Curieusement, il me demanda de me pointer que plus tard en avant-midi, à 9h précises. J’appelai mon père pour qu’il accompagne son bon à rien de fils unique.

À peine quelques minutes après notre départ, mon père stationnait sa Malibu sur le bord de la route pour reprendre son souffle tellement il s’esclaffait de mes mésaventures. Son sens de l’humour n’a pas vraiment de limite. Le pire : je ne lui avais pas tout raconté. Ce que cet homme est prêt à faire pour se payer la gueule de quelqu’un… Mais là, il n’avait qu’à profiter du récit et il s’en abreuvait, fils ou pas.

– T’es mon héros ptit gars.

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– Je sais. Enwèye, on repart. Pis j’en reviens pas que tu sois crampé. J’ai failli mourir dans ce char-là.

– Ben, t’es encore en vie mon homme.

Et il repartit de plus bel dans une autre crise de rire. Entre deux sanglots, il réussit tout de même à en remettre :

– Ah ben ciboire. J’pense que ta mère a fait exprès pour commencer tout ça. Elle l’avait prévu!

– Papa, si tu t’étouffes en riant, j’vais juste pousser ta vieille carcasse sur le bord du chemin, pis j’vais repartir avec ton char de vieux à calotte.

– Une criss de belle mort, rajouta-t-il avec grand peine.

Je l’aime aussi, malgré tout. Comme ma mère, il est exaspérant. La combinaison de leur génétique a fait des merveilles. Merci beaucoup. Au moins, il sait comment désamorcer une situation dramatique.

– Caroline serait pas contente de ton histoire avec la femme du gars qui ressemble à Hulk Hogan.

– Elle le saura pas. Elle est partie à matin… ou hier, je sais plus.

Il s’arrêta. Le silence. Il semblait ému, presque triste. Il avait un cœur après tout. Une conscience peut-être.

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Fausse alerte, il s’esclaffa encore. Tellement qu’il en pleurait. Je dû l’ignorer jusqu’à Mille-Isles. Des années de pratique m’avaient rendu assez efficace à cet exercice.

Arrivés là-bas, il me laissa en me souhaitant bonne chance, refoulant son rire dans un effort pathétique. Je dus débourser 30$ pour mettre la main sur mon véhicule et 85$ pour le remorquage et j’allais devoir me départir d’un autre 56$ pour la contravention. Merveilleux, 171 beaux biftons en moins. La valse du déficit avait débuté.

Furieux, je retrouvai le contrôle de ma Toyota et je pris la route 329 pour retourner chez-moi. J’avais un plan : J’allais remettre ma vie sur les rails. Mes finances étaient à sec, mon honneur à zéro et mon allure, désastreuse.

Mais qu’il était bon de retrouver l’autonomie de mouvement à plus de 100 km/h sans petit vieux à calotte pour rire de moi et sans redneck à la dent malpropre pour me contraindre à défier la mort.

J’avais dépassé le petit village de Gore de quelques kilomètres lorsque j’aperçus dans mon rétroviseur une voiture de police qui me signalait à grand coup de gyrophares de m’immobiliser. Ce que je fis. Un policier descendit et vint à ma rencontre et m’annonça que j’avais un feu arrière brûlé. Je lui avouai que je l’ignorais et c’était vrai. Peut-être était-ce arrivé à Prévost. Un petit voyou probablement. Je m’attendais à un simple avertissement de 48 heures, mais non. Ce qu’il m’annonça fit beaucoup plus mal.

– Monsieur Légaré, vous roulez sans permis, ni immatriculation.

– Quoi?!

Mon incrédulité devait avoir l’air sincère puisque elle l’était.

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– C’est écrit dans votre dossier que vous n’avez pas payé les deux depuis presque deux mois.

Il me revint à l’esprit les bribes d’une discussion soporifique entre ma mère et une partie un peu lâche de ma conscience:

«…suis tannée de m’occuper de tes affaires… assez grand pour t’organiser… ton renouvellement de… t’en charger toi-même… trop vieux pour… faut être autonome… à ton âge…»

Manifestement, elle avait eu tort de vouloir me responsabiliser. Je demandai au policier :

– Qu’est-ce que ça va me coûter?

– Cher monsieur. Au Québec, il faut un permis pour conduire et des plaques aussi. C’est la base.

Je devais bien accepter un peu de condescendance, après tout, je le méritais d’autant qu’il avait bien raison. J’espérais seulement qu’il bluffait pour me donner la chienne. D’une politesse mielleuse, je lui promis :

– Ben j’vais aller les payer tout de suite monsieur l’agent.

– Non, non, non! Vous repartez pas avec votre auto monsieur. C’est une saisie de véhicule immédiate. Pis en plus, ça va vous coûter 300$ d’amende, plus 137$ de frais et 14$ de contribution. On s’en sauve pas, j’ai pas le choix de vous charger.

– Ça fait pas loin de 400$!

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– 451 monsieur… fois deux. Une fois pour le permis et une autre pour les immatriculations.

Ma mâchoire se disloqua et tomba entre mes jambes. Impossible que ça coûte si cher. 14$ de contribution? Contribuer à quoi ? À ma propre chute? J’y contribuais à chaque instant de ma vie!

J’étais fini. Vidé. Lessivé. Il retourna à son véhicule quelques minutes. En revenant, il me fit descendre de mon auto et prit mes clés et debout dans la pluie froide, mal habillé, je reçus mon châtiment de papier.

La bienséance suggérait qu’il me reconduise dans un village non loin, mais le policier m’annonça qu’il devait « malheureusement » quitter pour un appel urgent et que je devais me débrouiller, qu’il était désolé. Sans en rajouter, il remonta dans son véhicule sous mon regard perplexe. Alors qu’il se mettait tranquillement en route, la fenêtre du passager s’ouvrit et un agent plutôt discret sortit le bras et me tendit quelque chose. C’était un téléphone cellulaire.

– Tu pourrais en avoir besoin, Étienne Légaré.

Quelle attention.

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J’aurais voulu le remercier, mais je fus drôlement saisi en reconnaissant mon propre téléphone et encore plus en reconnaissant la moustache et la gueule équarrie de l’agent Hulk Hogan. Il me fit un clin d’œil et un sourire énorme alors qu’il s’éloignait dans sa voiture, au sec, vengé.

Si, au moins, il avait pris le temps de recharger les batteries de mon cell.

Le sale.

À suivre…

Illustration par Grégoire Mabit

Le cinquième épisode est ICI.