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J’ai 26 ans et j’ai jamais mis les pieds dans une université. Mon dernier diplôme date en fait d’avant ma vingtaine; avec un préuniversitaire en poche, j’étais à l’époque bien en route vers des études supérieures, mais j’ai vite passé à autre chose.
J’ai deux excuses pour avoir quitté l’école.
Ma première est mauvaise : je suis plutôt nul comme étudiant. J’ai l’attention d’un écureuil dans un parc public et l’organisation d’une manif de nuit sur Saint-Denis.
Ma deuxième est un peu meilleure : je sais depuis que je suis haut de même que je veux faire des jeux vidéo et, comme beaucoup de médiums artistiques, quand tu veux créer, ben… tu peux étudier un an ou deux là-dedans pour te familiariser avec les outils, mais… tu peux surtout en faire, tout court.
J’ai appris la quasi-totalité de mon métier actuel de concepteur de jeux en le pratiquant et non en écoutant quelqu’un d’autre m’en parler. Je suis allé à l’école sur le tas.
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J’ai par contre longtemps été ambivalent sur mon parcours. Pendant mes premières années de vie professionnelle, je suis resté complexé de ne pas avoir fait d’études supérieures. Je percevais le chemin universitaire comme une validation; une genre de preuve tangible qu’on avait accompli quelque chose. C’est quelque chose de vraiment frustrant et mélangeant d’avoir le sentiment d’être un décrocheur alors que t’es exactement dans le domaine dans lequel t’as toujours voulu être.
Aussi, et par-dessus tout, la voie de l’éducation sans école est encore très taboue; tu verras jamais un orienteur scolaire te suggérer de lâcher l’école pour mieux grandir.
J’ai pataugé un bon bout dans ce questionnement jusqu’à ce que je rencontre ma copine. Son parcours était opposé au mien : 6 ans d’université derrière la ceinture. Elle était le genre d’archétype que j’enviais et j’étais tout autant l’exemple qu’elle enviait. C’est là qu’on s’est rendu compte que bien qu’on ait grandi de manière complètement contrastée, notre cheminement était équivalent.
Ce respect mutuel m’a aidé à mettre des mots sur les différences de nos itinéraires.
À l’école, le parcours est de prime abord intellectuel. On apprend à réfléchir pour ensuite se mettre à courir. Quand t’apprends sur le tas, c’est habituellement l’inverse : je me lance en premier et j’en parle ensuite. Sans cadre scolaire, l’erreur est moins diabolisée, mais beaucoup plus fréquente. J’avance donc en me cassant la gueule, j’itère sur mon cassage de gueule et j’en tire mes leçons après coup.
L’apprentissage sur le tas, c’est aussi un constant challenge d’initiative. Hors des institutions éducatives, les choses n’avancent plus à notre place. Sans évaluation ou activité ponctuelle, je suis continuellement poussé à aller de l’avant pour y trouver mes réponses, plutôt que d’attendre qu’elles viennent vers moi.
Cette alternative incite à trouver la confiance de penser différemment et donne surtout le courage de devenir un individu autonome de corps et d’esprit.
J’ai été en mesure d’expérimenter sur ce que je voulais, quand je le voulais, sans jamais me sentir contraint par une discipline.
J’ai eu la chance de trouver, à travers mon vécu, ma propre définition de ce qu’est la créativité.
J’ai pu me trouver du travail en essayant, à l’inverse d’étudier pour.
J’ai eu le luxe de pouvoir prendre le temps de voyager sans attaches à travers le monde.
J’me suis surtout senti libre à travers tout ça.
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Je pourrais finir en te citant une demi-douzaine d’exemples de personnes célèbres sans diplôme ou en mettant le lien de la vidéo du speech de Steve Jobs Stanford en 2005, mais j’ai pas tant envie de te prouver que ce chemin est meilleur, ou même bon. Je veux simplement te montrer qu’il existe.
Ma copine et moi avons toutefois un dénominateur commun qui donne un sens à tout ça, qui fait qu’on soit rendus au même endroit dans notre expérience de vie : on est deux personnes curieuses.
La curiosité, c’est le vrai moteur. C’est ce qui t’amène à vouloir comprendre ce qui t’entoure; c’est le désir d’apprendre, et non pas le devoir d’apprendre.
Aujourd’hui, j’ai pas plus de diplôme, on me considère encore comme un étrange, mais c’est devenu mon fer de lance; mon besoin de validation était finalement un peu niaiseux, je sais… J’ai aussi récemment fait la paix avec l’école en y retournant. La différence maintenant est que j’y enseigne.
C’est dommage qu’on considère encore trop souvent que lâcher l’école est synonyme de lâcher son éducation, alors que la curiosité est une qualité qu’on cultive soi-même, indépendamment des établissements scolaires. Sérieusement : quand la curiosité va, tout va.
C’est Foglia qui disait que l’éducation vise à former des citoyens pas trop tatas, et non pas à envoyer le plus de tatas possible à l’université. Que ton chemin soit académique ou sur le tas, y’a pas personne qui prendra le choix de grandir à ta place.
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Pour lire un autre texte de Simon-Albert Boudreault : “Arrête de chercher à être original”