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Léa Castor : une BD pour briser le tabou de l’avortement
« Dans l’imaginaire collectif, l’avortement, c’est juste prendre une pilule et puis s’en va », résume à grands traits Léa Castor, autrice, graphiste et illustratrice, qui vient de publier une bande dessinée à ce sujet, Cher Blopblop – Lettre à mon embryon. « En pratique, cela peut s’avérer bien plus compliqué que ça », décrit-elle. C’est d’ailleurs tout l’objet de son nouvel ouvrage publié aux Éditions Leduc : briser le tabou.
Le pitch de sa BD : à 28 ans, Violette apprend qu’elle est enceinte alors qu’elle est sous stérilet (dispositif intra-utérin). Terrifiée par cette nouvelle – elle qui avait confiance en son moyen de contraception – elle décide d’avorter. S’ensuit un véritable parcours du combattant entre souffrances psychologiques, solitude, peur, incompréhensions, prises de sang, consultations, échographies et autres procédures à rallonge…
Comment est née cette bande dessinée?
Cette bande dessinée est le résultat de plusieurs éléments. D’abord, de mon expérience personnelle. Si l’histoire est fictive et que Violette est un personnage inventé, elle est néanmoins inspirée de mon vécu. J’ai moi-même avorté à deux reprises. En parler, l’écrire, le dessiner, c’était donc cathartique.
« J’ai moi-même avorté à deux reprises. En parler, l’écrire, le dessiner, c’était donc cathartique. »
Aussi, quand j’ai commencé à faire des recherches sur le sujet avant d’écrire, je me suis rendu compte qu’il n’existait quasi rien côté témoignage dans la littérature. J’ai trouvé seulement deux BD qui retraçaient le vécu de femmes. Le livre que l’on me suggérait le plus sinon, c’était L’Événement, d’Annie Ernaux, qui dépeint l’avortement clandestin d’une étudiante avant la loi Veil. Sauf qu’il s’en est passé des choses depuis! Le reste des ouvrages étaient soit historiques soit scientifiques.
À qui vous adressez-vous?
À beaucoup de monde (rires). Déjà, à tous ceux qui pensent que l’avortement c’est juste prendre une pilule et puis s’en va. Je ne dis pas : ça peut être un acte simple, sans complication majeure. Mais ça peut aussi être un parcours lent et compliqué, comme ça a été le cas pour la première IVG [interruption volontaire de grossesse] de Violette.
Je ne dis pas que c’est forcément un drame, je dis que ça peut l’être. Je dis pas que c’est forcément un deuil, je dis que ça peut l’être. Tout cela va dépendre de tellement de facteurs. De la personne concernée, de son entourage, du personnel médical à qui elle a affaire, de la méthode suggérée… Mais en tout cas, ce qu’il faut bien intégrer, c’est que même si certaines femmes vivent mal cet événement, ce n’est pas pour cela qu’elles ne feront pas ce choix-là.
Quelles sont ces épreuves difficiles? Qu’est-ce qu’a vécu Violette?
Déjà, le choc de l’annonce. Apprendre qu’on est enceinte, voir son corps changer, alors qu’on ne le désire pas, ce sont des premiers bouleversements. Ensuite, les changements hormonaux, la souffrance physique. La fatigue, les nausées et j’en passe. La souffrance psychologique, aussi. Le choix (encore une fois ce n’est pas parce que le choix est consenti qu’il n’est pas douloureux pour certaines), la culpabilité, parfois la honte…
Et ce n’est pas tout. Dans le cas de Violette, les procédures administratives et les examens de santé ont également été compliqués à gérer. Plusieurs semaines se sont écoulées entre son premier rendez-vous et le jour de son intervention. Plusieurs semaines ponctuées de prises de sang, de consultations et d’échographies. Une attente qui a accentué sa souffrance psychologique.
Vous évoquez également la sensation de solitude…
Pour avoir échangé avec pas mal de femmes ayant vécu un avortement dans le cadre de l’écriture de cette BD, j’ai pu constater que beaucoup d’entre elles décrivaient avoir ressenti de la solitude. Solitude face au conjoint (s’il y en a un), qui peut parfois agir de façon maladroite (comme c’est le cas ici). Solitude face aux autres. Amis, famille, à qui se confier? Vont-ils nous juger? Et parfois, solitude même devant le corps médical. Pour son premier avortement, Violette se retrouve en face de médecins qui ne la comprennent pas.
« Paradoxalement, cette solitude est souvent accompagnée d’une sensation très particulière : celle de ne plus avoir d’intimité. »
Paradoxalement, cette solitude est souvent accompagnée d’une sensation très particulière : celle de ne plus avoir d’intimité. « Mais enfin, Violette, tu ne sais pas que ce qui se passe dans notre utérus appartient au monde entier? », lancera ironiquement une amie de l’héroïne principale, lorsque celle-ci lui confiera ce ressenti. Ce à quoi Violette lui répondra très justement : « Si je consultais pour ma constipation, aurais-je eu autant d’avis? »
Vous reliez ces deux points au manque d’information et d’éducation à ce sujet. Que reprochez-vous et à qui?
Dans la tête de certaines personnes, si tu tombes enceinte alors que la contraception existe, c’est que tu as mal fait les choses! Alors que non, ça peut juste arriver! En plus, beaucoup de femmes tombent enceintes sous contraception, donc c’est dire! Il faut impérativement éduquer là-dessus, s’informer mieux. Expliquer aux femmes qui désirent avorter ce qui va se passer, à qui s’adresser et comment s’entourer. On est toujours mieux préparé en connaissance de cause.
Il faut impérativement éduquer les hommes hétéros aussi – à qui je reproche d’être trop souvent à côté de la plaque. Puisque dans leurs couples, ce sont les femmes qui assument la plupart du temps la charge de la contraception, ils ne s’y intéressent pas. Pour certains, c’est comme s’ils n’étaient même pas concernés. Alors que si! Messieurs, si votre compagne tombe enceinte, vous êtes aussi responsable! Idem si avortement il y a.
À ce sujet, je suis contente, car j’ai eu plusieurs retours positifs de la part d’hommes qui ont lu la BD et qui ont compris certaines choses.
L’idéal, ce serait quoi?
Je rêve d’un monde où chacun devrait gérer sa contraception comme une personne responsable et adulte. Homme et femme, 50-50. Mais quand on voit le nombre de méthodes qui existent pour les femmes et le nombre de méthodes qui existent pour les hommes… Ce n’est pas pour tout de suite. En attendant, je milite donc pour une éducation et une prise de responsabilité 50-50.
Un mot sur ce qui se passe aux États-Unis?
Bond en arrière. C’est dramatique que des pays puissent revenir sur ces droits-là. Plus les féministes avancent dans leurs combats et plus en face, les détracteurs des droits des femmes sont coriaces. Et le pire, c’est qu’ils arrivent à leurs fins… J’espère vraiment que le projet d’inscrire le droit à l’avortement dans la constitution française aboutira.
Pour trouver la bande dessinée, rendez-vous ici.
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Ce texte a d’abord été publié sur urbania.fr
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