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Ça faisait pas trois jours que j’étais en Europe que déjà, mon ordi a décidé de caller quit pis de me crever dans les mains. Mon ordi, comme dans “unique moyen de communication avec ma famille”. Pogné à l’autre bout du monde, tout seul, en fauteuil roulant, avec un ordi scrap. Ça pouvait-tu aller plus mal?

Oui.

Du temps que j’étais encore sans domicile fixe, à courir les auberges ici et là, il arrivait que tous les endroits de Namur affichaient no vacancy. Dans ce temps-là, j’en profitais pour aller découvrir d’autres villes de Belgique.

C’était le cas le samedi 7 septembre. Je dépose donc la dépouille électronique chez le réparateur, et je pars avec mon baluchon d’accroché sur les poignées arrières, en quête d’aventure mais surtout d’une hostie de place où dormir.

En chemin, je réalise que je connais un impressionnant total de fuck all au sujet de Bruges, ma destination. J’étais même pas au courant que ça parlait flamand, là-bas. M’a être franc : je pensais que le flamand, c’était juste une teinte de rose.

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Mais une fois sur place, j’oublie tous mes problèmes, émerveillé par les trésors architecturaux de Bruges. Ses rues étroites, divisées par de larges canaux, en font une ville magnifique, à un point tel que j’outrepasse presque le fait qu’elle est pas pantoute accessible.

«Je m’en fous, de pas pouvoir entrer dans ton bistro man! Y fait 20° dehors pis y’a une jolie terrasse juste-là!». Comble du bonheur, je repère une auberge rapidement, avec une chambre au rez-de-chaussée. Ça y est : la chance est en train de tourner. Shiiit! Ils ont même le WiFi, une denrée rare en Europe. Mon laptop est peut-être décédé, mais mon iPhone et mon petit côté exhibitionniste sont, eux, encore bien vivants.

Fait que je me connecte en me demandant quel statut Facebook cool j’allais écrire. Une pastille rouge au coin de l’écran attire mon attention : j’ai un nouveau message de quelqu’un que je ne connais pas et mon cœur s’emplit instantanément d’espoir. C’est que j’avais envoyé, la veille, une vingtaine de messages à des inconnus namurois, leur quémandant une place où rester. C’était peut-être une première réponse positive!

J’ouvre le message hâtivement et je lis en diagonal en espérant identifier les mots : «trois et demi», «chauffé», «rez-de-chaussée». Mon cerveau détecte plutôt «Désolé», «Benoit», «décédé», «hier».

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Apprendre la mort d’un proche, c’est toujours déstabilisant. Mais l’apprendre d’une façon aussi inhumaine que via Facebook, dans un décor digne d’un film en plus, ça rend l’expérience encore plus surréaliste.

Je lâche mon pack-sac sur mon lit de camp, pendant que des ados me parlent dans le vide en néerlandais. Je fixe l’écran un moment, tentant de décrypter un message codé ou une mauvaise blague. J’espère que mon cerveau a buggué, que c’était pas mon Benoit, mais un autre.

Je réalise, mais j’ai comme l’impression qu’il y a eu un méga gros bug dans la matrice de ma vie. Sorry no compute. C’est là que j’ai pris un peu de recul pis que je me suis posé la grosse question:

«Qu’essé je crisse icitte, barnak?»

Déjà, c’était ma première expérience avec la mort d’un proche. Je sais qu’il n’existe pas de façon parfaite pour vivre un premier deuil, mais j’aurais imaginé le faire autrement. Dans le style : pas pogné tout seul dans cette espèce de trappe à touristes médiévale qui grouille d’Américains s’empiffrant de chocolat.

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Difficile de faire face à une nouvelle aussi crue quand t’es plongé dans un environnement aussi prenant que celui de Bruges. Difficile de croire en la réalité quand tu pensais l’avoir mise sur pause, quelques mois. L’annonce paraissait tellement invraisemblable que j’avais l’impression qu’elle faisait juste fitter avec l’impossible pétrin dans lequel je m’étais volontairement mis les roues.

Je trouvais soudainement la ville pas mal moins charmante. Je me suis assis sur une pierre pis j’ai regardé les touristes passer, se suivant à la queue leu leu, avec une guide qui tenait bien haut un numéro, pour éviter que quiconque ne se perdre dans cet abysse aux multiples dangers qui les guettaient sûrement. Je me suis moqué d’eux. Je me suis dit que t’aurais aussi trouvé ça pathétique. Tu me disais que des voyages organisés, c’étaient pas des vrais voyages.

J’ai bu, en me rappelant comment t’étais toujours heureux, malgré tes malchances. Comme la fois où on a échappé un café sur ton Mac. Ou la fois que le ministère t’a retiré ton stage, à la dernière seconde, parce qu’il existait un criminel avec le même nom que toi. Ou la fois qu’un arbre est littéralement tombé sur ton auto alors que tu faisais simplement ton stop. J’ai trouvé que ça faisait pas mal «Destination ultime», ton affaire.

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Mais toi, ça te dérangeait pas. T’étais toujours souriant. Tu me racontais ton voyage au BC, à dormir à belle étoile. J’me suis dit que je devrais arrêter de chialer pour rien. Tu m’as donné une bonne leçon.

Je suis revenu à l’auberge tôt, pis j’ai vomi à terre, dans la salle de bain. Ça allait pas pantoute. Je voulais parler à quelqu’un mais mes seules interactions relevaient du domaine de la politesse ou de la commande de bière, en flamand. Fait que, je me suis reconnecté sur le WiFi.

J’ai vécu mon deuil sur Internet. Facebook était un lieu de recueillement. J’y allais pour trouver une présence, toujours déphasée par les caprices de Greenwich. J’étais à la recherche de paroles réconfortes, mais le problème était précisément là : dans des situations comme celle-là, il n’existe pas vraiment de mots magiques. Y’a rien à dire. La présence des autres suffit naturellement à mettre un peu de baume. Mais le témoin lumineux vert du chat Facebook procure aucune chaleur humaine. On s’obligeait donc à mettre des petits mots sur ces grands silences. Ça donnait lieu à des discussions creuses et pathétiques genre «Shit, ça fesse hein?», «Ouin…»

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Mon amie m’a fait un play-by-play des funérailles. À défaut de pouvoir me recueillir devant tes cendres, Benoit, je me retrouvais sur ton profil, comme devant une pierre tombale, à regarder les bands que t’avais liké.

Lorsqu’on part en voyage pour longtemps, au moment de faire ses au revoir, on a un peu l’impression de prendre une photo. Une image de nos amis, notre famille, de ce qu’ils sont, pis de ce qu’ils devraient normalement ressembler, à notre retour. Des fois, la photo vieillit mal. Elle prend du grain, les couleurs s’instagramment pis les coins jaunissent. Pis d’autres fois, elle devient souvenir périmé. Elle devient carte mortuaire. Elle devient la dernière image mentale de ce que les choses étaient.

La dernière image que j’ai de toi, c’est à un party, quelques semaines avant mon départ : y restait pu grand monde, pis tu m’as aidé à descendre les marches. Tu m’as amené un oreiller, tu m’as dit bonne nuit pis le lendemain j’suis parti sans te dire bye.

Bye, man.

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*Benoit est mort dans la nuit du 6 au 7 septembre, d’un problème cardiaque rare pour quelqu’un de son âge. Il avait 27 ans pis c’tait un king.