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J’essaie de t’écrire, mais j’ai chaud, mais je ne m’en plains pas. J’ai encore le souvenir de mon corps replié sur lui-même par les frissons de l’hiver qui ne finissait plus de ne pas finir. Les p’tits qui pleuraient lors des dernières tempêtes, écoeurés qu’ils étaient de la neige, du froid. Ils avaient des envies de parc, de shorts, de piscine. Je partageais leurs souhaits et attendais avec impatience ce moment où je n’aurais plus à les emballer pour sortir dehors. J’pense que ça nous donne un dix minutes de plus pour jouer, le matin, ne pas avoir à les mettre dans leur suit d’hiver. C’est tout un gain dans la vie pressée, un dix minutes pour rire avant de partir. Mais je m’égare, là. J’ai chaud, je disais. Et il semble que ça me mou le processus réflexif. Et je n’ai plus de café. Et je suis aussi un peu triste et absorbée par le fait que c’est un drôle d’été.
Il y a beaucoup de gens autour de moi qui vivent du pas facile. D’habitude, je te parle de mes p’tits ou de ce qui m’habite, je sais. C’est rare que je parle de ce que vivent des autrui. Mais là, y’a comme un pattern qui se répète. Et que je connais bien. Celui du « j’ai-du-beau-en-avant-de-moi-peut-être-la-vie-que-je-devrais-et-voudrais-avoir-mais-je-n’ose-pas-je-reste-où-je-suis-avec-un-fort-sentiment-d’horreur. ».
Je ne crois pas me tromper si je dis que, pour plusieurs, il y a cette zone dans le cerveau qui est occupée à songer à tout ce qu’on changerait de notre existence si on le pouvait, si l’occasion se présentait, si on avait les moyens de. Emploi, lieu de résidence, relations amoureuses, apparence physique, éducation. On se dit : « Le jour où, le jour où. ». Et on se voit gambadant le pré du « yeah! » parce que ledit « jour où », sans hésitation, on s’y garrochera avec joie.
On se répète aussi qu’il faut se contenter de ce que l’on a, accepter notre situation. Y trouver son ou du bonheur. Mais parfois, c’est cela : tu étouffes. La vie choisie jusque là n’a été qu’une suite de semi-réfléchis, de c’est « de même » et il se peut que ça finisse par user, par laisser une impression de perte à quelque part. Une perte de soi.
Des occasions peuvent alors se présenter, se créer. Des occasions qui ressembleront à ce qui tourne dans la tête, depuis un moment. Et tu peux te rendre à la toute frontière de ta vie autre, de ta vie rêvée, fantasmée, juste avoir à sauter, à faire un petit pas. Mais figer, voire reculer. Avoir la chienne de ton grand bonheur. En douter, même. Le remettre en question. Y trouver des défauts. Te dire que tu te trompes, peut-être, en fait, sur ce que tu pensais vouloir. Préférer le mou de ta vie même si tu le détestes presque tout le temps. Faire tout cela en sachant très bien que tu t’inventes des raisons, que tu te défiles.
Ça se comprend.
L’inconnu, c’est flou longtemps. La peur de se tromper, pour la couleur d’un mur de cuisine, c’est une chose, pour un grand pan de ton existence, certes, c’en est une autre. Mais j’me dis. Se donner les conditions de son bonheur, ce n’est pas aussi facile qu’on peut le penser. Entre le moment où on se crisse de son vertige pour faire le saut et celui où on peut gambader dans le pré du « yeah », il y a un instant pendant lequel le souffle te coupe, les yeux te ferment et cette conviction t’habite que tu vas éclater. Mais tes pieds finissent par toucher le sol et tu y es debout. L’horizon est autre, l’air te passe mieux dans les poumons. C’est juste à ce moment que tu peux mesurer que tes yeux à la hauteur du sol pendant que tu rampais, ils avaient un peu raison d’en avoir assez de la poussière et des roches qui leur bouchaient la vue. Ils entrevoyaient le ciel, au travers, et avaient le goût de s’y perdre. Ils avaient raison. Mais tu peux pas le savoir avant d’être pleinement sur tes pieds. C’est ça qui est difficile. Et qui fait que, souvent, quand la vie rêvée, ou un bout, vient varger dans ta porte, tu restes où ce que t’es à préférer ton petit malheur, son ronron réconfortant. Y te fait chier, mais tu le connais si bien. Y t’arsenic, même, parfois, mais c’est moins épeurant la mort à la goutte que les efforts à fournir pour redéfinir ce que tu as toujours très concrètement su, habité, existé.
Un jour, la pensée que chaque seconde qui passe ne reviendra jamais-jamais m’a effleuré l’esprit. Ça a donné le ton à ce que je devais être. Pas tant pour le classique, mais un peu simpliste, « veux-je des remords ou des regrets? », plus parce que je crois que j’ai le goût de pouvoir me dire que les choses n’ont pas à être figées, que mes choix peuvent avoir été de marde dans le passé parce que je ne savais pas ce que je choisissais ou parce que depuis, j’ai changé. Et que j’ai le goût de bien habiter le temps qui m’est alloué. Même si ça implique des choix et des moves difficiles.
Sauf que c’est cela, c’est tellement pas évident, bien vivre, justement. Je regarde ceux que je connais, là, et qui peinent à ne pas savoir, je me regarde là, peiner à ne pas savoir, aussi, et je nous suis pleine de sympathie. Mais c’est l’été et y’a des pops et du melon d’eau et des piscines et du vent chaud. Un baume, une pause momentanée qu’on peut bien se donner. Avant de voir ce qu’il y a à faire avec le vertige.
#yolo