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Le verre de jus
La journée se passe bien. Tu vis ton tranquille. Soudainement, tu vas entendre un ton lancinant s’élever du salon. “Pareeeeeeeeent, je veux du juuuuuuuuus.” Le petit nerveux va alors délicatement s’installer dans le creux de ton ventre. Parce que tu sais qu’un verre de jus, aussi simple que ça puisse paraître, ne sera jamais, jamais pas compliqué.
1. Le mot magique
Tu vas lui demander de dire le mot magique en te demandant how the fuck qu’il peut l’oublier. Avec de la chance, le mot magique sera dit. Avec pas de chance, il y aura soit un silence, soit un “non”. Dans le premier cas, le bénéfice du doute pourra être accordé quant à savoir si l’enfant a bien entendu l’exigence. Ce sera un semi-doute, en fait, parce que tu le sais qu’il sait qu’il a entendu. Mais tu vas gérer ça comme un détail, lui demander de te regarder dans les yeux et redemander le mot magique. Là il pourra le dire ou dire “non”. S’il le dit, tu lui diras “Merci, c’est gentil d’être poli” [renforcement positif] et tu pourras alors te rendre à la cuisine. S’il dit non, tu prendras une inspiration, lui diras qu’il n’aura son jus que s’il dit le [crisse] de mot magique. Là, il pourra le dire ou te regarder sans rien dire ou dire “non”. Dans le premier cas, tu lui diras “Merci, c’est gentil d’être poli” [renforcement positif] et tu pourras alors te rendre à la cuisine. Dans le second, tu feras d’abord un regard plat devant l’arrogance exprimée, puis tu le gèreras ça comme un deuxième “non”, c’est-à-dire : “Ben tu n’auras pas de jus, d’abord”. Dans la seconde qui suivra, une longue et forte plainte décorée de larmes se fera entendre. Ce sera le moment où ça t’emmerdera de considérer la politesse comme un nécessaire humain beaucoup trop important et d’être un peu psycho-rigide à son sujet. Une alternance de “je veux du juuuuuuuus” et de “t’as qu’à dire s’il-te-plaît” se produira alors. Tu tiendras ton bout en ayant le goût de le pitcher, ledit bout, parce que t’ossetiner pour un “s’il-te-plaît”, ça t’épuise, mais tu finiras par l’entendre parce qu’ils finissent toujours par le dire : “S’IL-TE-PLAÎT-E”. Parfois, le goût te prendra de dire “Dis-le sur un autre ton”, mais ça te passera vite.
2. Le choix
Tu lui demanderas s’il préfère du jus x ou du jus y [parce qu’il doit apprendre à faire des choix dans la vie]. L’enfant fera le choix de x. Après de longues minutes de réflexion. Tu répèteras son choix à voix haute en demandant une confirmation. L’enfant te donnera une confirmation.
3. L’assumation
Tu prendras un verre, y mettras de l’eau au ¾, puis du jus [tu te feras peut-être la réflexion que le jus, c’est pas bon, que tu devrais juste lui offrir de l’eau, en fait, tu auras une pensée pour ses dents, le sucre, tu diras à ta tête de se la fermer]. Tu apporteras le verre à l’enfant. L’enfant prendra une gorgée. Un wookie hurlera alors : “JE VOULAIS LE JUS Y”. Toi, parent, tu lui diras “Mais non, tu as bien dit que tu voulais le jus x et je t’ai apporté le jus x”. Les réponses seront alors multiples du “C’EST MÊME PAS VRAI” au “NOOOOOOOON-E”, en passant par le “PFFFFF”. Là, tu auras le choix, soit d’entamer une discussion sur la question de la vérité, soit d’y aller pour l’importance de la cohérence de ses choix. Mais tu te diras que ça se peut changer d’idée et que ça aussi ça doit être respecter et qu’il faut que ton enfant sache qu’il a le droit de changer d’idée. Mais tu te diras aussi que l’enfant doit apprendre à assumer ses décisions même si elles ne lui plaisent plus. Là, tu sera fatigué. T’auras peut-être en tête la crise du « s’il-te-plait » et tu devras dire : « Dis-le doucement, s’il-te-plaît. ». L’enfant pourra alors le dire doucement ou entamer un second cycle du non qui sera à gérer comme l’autre. Mais t’auras des sueurs, ce coup-là. Tu finiras donc par lui dire : «D’accord pour le jus y, la prochaine fois, on essaiera d’être plus certain avant que je ne le prépare, le jus. Je vais mettre le jus x au frigo, parce que le gaspillage, c’est pas bien. Tu le boiras plus tard. ».
4. La plage intérieure
Tu prépareras le jus y comme le jus x. Tu reviendras lui porter. Il en prendra une gorgée. Ça se pourrait que ce soit parfait. Ça se pourrait aussi que le wookie y aille d’un “JE VOULAIS DU LAAAAAIIIIIIIT”. Cette dernière réplique te donnera envie de pleurer. Mais tu vas te trouver idiot d’avoir envie de pleurer pour un verre de lait. Pour un s’il-vous-plait. Pour un choix. Pour des cris. Pour du jus. Tu vas avoir en tête l’image du verre garroché à terre. Par toi. Celle de toi courant dans la rue. En fuite. Mais tu prendras juste une grande inspiration, chercheras ta plage intérieure une nano-seconde, puis tu diras le “Non, là. Tu as demandé du jus, tu vas boire le jus. Tu pourras boire du lait plus tard”. Pendant la tempête, il y aura au fond de ton être des vagues qui feront “floush, floush”, des drinks servis dans des noix de coco. Tu te diras que jamais t’aurais pensé que le verre de jus puisse être un objet pédagogique aussi riche. Tu penseras au deux-trois autres qui seront demandés, avant la fin de la journée et ton cœur sera rempli de la joie de savoir que d’autres occasions d’enseignement se présenteront. Ou tu te diras juste “tout passe”, puis compteras les dodos qui restent avant que l’enfant ait cinq ans. Dans tous les cas, tu éviteras de penser que “yolo” et tu trouveras du réconfort en te disant que “l’affirmation, c’est bien”, “le fucking four a joué un rôle sur le plan de l’évolution humaine, c’est donc utile”, “savoir argumenter, c’est aussi un outil pour la vie”, “vive les wookies”. Ou tu prendras un moment dans ta salle de bain, la porte fermée à juste respirer.
La prochaine partie : “Je suis au restaurant et veux aller aux toilettes seul à toutes les dix minutes parce que j’aime mon autonomie et surtout flusher la toilette”.
*Tous les enfants de quatre ans ne sont pas nécessairement ainsi, certes.