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Quand Justin Trudeau nous a offert de passer la Saint-Jean-Baptiste avec lui, on a tout de suite donné cette mission à Yes Mccan, des Dead Obies. On imaginait un compte-rendu d’échanges enflammés sur le franglais, le multiculturalisme et le hip-hop… On a plutôt eu droit à un cuisant récit en quatre actes. On ne s’attendait pas à ça. Et probablement que l’équipe de Justin non plus.
Acte 1
“La vertu du catch, c’est d’être un spectacle excessif.“
– Roland Barthes, Mythologies
Le soleil brillait sur la rue Saint-Denis, fermée à la circulation automobile cet après-midi-là entre les rues Boucher et Sherbrooke. L’air était calme. Quoiqu’encore jeune, le journaliste avait appris au fil des ans à se méfier de l’affect qu’avait son imagination sur une mémoire particulière; ce qui était pour lui une sensation de brûlure intense pouvait n’être en rétrospective qu’un picotement bénin, voire un sentiment de bien-être, et vice-versa. Ainsi, il ne pouvait se résoudre à savoir si la rue bondée était, au moment de son arrivée sur les lieux, harmonieusement silencieuse ou parfaitement assourdissante. Peut-être la vérité vacille-t-elle toujours entre deux mensonges.
En tête de file, CB à la main, l’organisation s’assurait d’avoir tout le monde en poste avant de mettre les chars en marche. C’est que, pour l’occasion, la Société Saint-Jean-Baptiste avait conjuré tout le bestiaire des créatures fantastiques issues du lointain Passé québécois : golems de tous gabarits aux tricornes de feutrine et à la ceinture fléchée blanche et bleue; flottantes figures fantomatiques sourdant du sous-bois de l’imaginaire collectif; revenants d’autrefois mettant en scène à la fois la permanence des choses et leur vanité inhérente. À la droite du journaliste, en attente du signal de départ, une troupe de majorettes pratiquait une dernière fois ses acrobaties aériennes sur des airs de power pop FM. À sa gauche, une famille de Vietnamiens, emmitouflée dans l’épaisseur des couvertures de sauvetage malgré la chaleur de juin, s’accrochait à un char allégorique devenu bateau de fortune pour l’occasion : voiles en lambeaux sur lesquelles on avait peint les lettres “S.O.S.” et musique apocalyptique crachée en boucle par les enceintes géantes posées sur le pont. Le plus jeune brandissait une pancarte où on pouvait lire, en français : “Merci le Québec.”
De part et d’autre, des fourgonnettes noires aux vitres teintées roulaient lentement en sens inverse de la parade, flanquées ici et là de quelques agents Smith en veston-cravate, icônes complets avec l’index sur l’oreillette, veillant au bon déroulement de l’évènement. C’était à se demander ce qui faisait partie de la mise en scène et ce qui n’en était pas.
Non loin de là, en retrait de la scène, perché sur les balcons, évaché sur les perrons, certains touchant fébrilement de la pointe des pieds les trottoirs bordant la rue, on était venu observer le défilé de la Saint-Jean-Baptiste à Montréal, une tradition vieille de plus de 150 ans. D’abord destiné à célébrer le solstice d’été, ensuite fait célébration religieuse, le défilé est officiellement devenu celui de la Fête nationale du Québec peu de temps après les évènements ayant bouleversé la parade de 1968 – année où une partie de la fronde nationaliste avait tenté de garnotter un Pierre Elliott Trudeau impassible, avant de se faire taper dessus, disperser et foutre en taule par la police montée puis démontée. Les jeux de billes à 15 cennes répandues sur le sol, la cavalerie les quatre fers en l’air.
Trudeau serait nommé premier ministre du Canada le jour suivant, alors que les images de la veille traverseraient le pays comme jadis les chemins de fer de la Canadian Pacific, faisant de l’homme la figure antagoniste du mouvement souverainiste québécois pour les années à venir.
Le Destin (commandité en partie par le Gros bon sens) voudrait qu’il n’y ait pas de représentant du Parti libéral du Canada au défilé de la Saint-Jean-Baptiste, désormais défilé de la Fête nationale des Québécois, à compter de ce jour fatidique de 1968.
That is jusqu’aujourd’hui, le 24 juin 2015 – jour où le journaliste devrait parader au côté du nouveau chef du PLC, Justin Trudeau.
Acte 2
“[Au catch] le public se moque complètement de savoir si le combat est truqué ou non, et il a raison; il se confie à la première vertu du spectacle, qui est d’abolir tout mobile et toute conséquence : ce qui lui importe, ce n’est pas ce qu’il croit, c’est ce qu’il voit.”
– Roland Barthes, Mythologies
