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Le trip est fini…

Par
Sarah Labarre
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“Trip”. C’est le mot que je mettrais sur mes quelques brèves années de transition entre l’adolescence et l’âge adulte.

Au début, tu trouves ça le fun. T’es jeune, t’es cute, t’as de l’énergie à revendre et tu découvres le monde merveilleux du clubbing. Tes jupes pis tes heures de sommeil sont de plus en plus courtes pis tu t’en fous d’avoir la tête dans le cul une, puis deux, puis trois-quatre matinées par semaine. Tu ris, pis tu bois trop, pis tu danses, tu aimes provoquer et tu aimes l’alcool qui te monte à la tête même si tu te retrouves plus souvent qu’autrement avec celle-ci penchée au-dessus d’une cuvette dans les toilettes des filles, à gauche de la cabine de Karine qui prend sa coke pis à droite de celle de Mélissa qui suce le gars qui fait l’éclairage. Mais maudit que t’as du fun.

Tout est dans le jeu. Le jeu du “c’est-pas-grave” pis du “je-dealerai-avec-ça-plus-tard”. Les belles promesses de ne pas rentrer trop tard – oh, je travaille demain matin – deviennent des soirées qui se terminent aux petites heures, à la lumière du fond d’une bouteille de Jack’ dans le soleil naissant. Les repas équilibrés se transforment en Kraft Dinner avec du brocoli dedans pis le Kraft Dinner, lui, devient une sandwich au beurre de pinottes. Pas forcément parce que t’as pas les moyens d’acheter de la viande pis des légumes, mais surtout parce que t’es pas assez organisée pour sortir de ton lendemain de brosse, te rendre au magasin, acheter des patates, rentrer à la maison, laver le poêlon partagé entre toi pis tes 5 colocs, laver un couteau qui a servi à faire des plombs pis préparer tes goddamn patates. C’est jamais grave, parce que tu peux toujours tout remettre au lendemain. Pratiquement. Mais maudit que t’as du fun.

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Ça te fait rire que la faune nightlcubesque de ta p’tite ville s’étonne que tu ne sois pas sur la dope. Primo, parce que t’as aucune idée de comment la dope te transforme quelqu’un, et deuxio, parce qu’avec quatre ou cinq forts dans le nez, t’as autant d’énergie et de laisser-aller que Gregory Charles sur la MDMA. Tu rigoles que t’en auras jamais besoin parce que t’es déjà assez fuckée de même. Pis à un moment donné, tu te trouves ta première job de bar pis tu tombes dedans à pleines narines.

Ça commence par les pilules. Juste une p’tite moitié de temps en temps. Pis en plus, juste pour tes beaux yeux, ça te coûte gratis! C’est la première qui fait peur, puis, tu y prends goût. Tu te dis que ta consommation est légère, qu’y’a rien là, c’est récréatif. Tu te sens en contrôle, tu bouges mieux, tu te fais un show de lumières, de lasers pis de boucane. Sauf que le contrôle, tu l’as de moins en moins. Une moitié devient deux. Puis trois. Tu varies tes consommations. Tu te tues le contact d’avec le réel à coups de pilules et d’inhalations. Tes meilleurs amis portent les noms de speed, cocaïne et MDMA, et c’est le genre d’amis qui font bien des coups bas. Des amis manipulateurs qui te demandent de plus en plus de ton temps et qui pètent une coche si tu réponds pas à leurs textos. Qui te gardent debout et pétante d’énergie à condition que cette énergie leur soit entièrement dévouée. Ce sont tes meilleurs ennemis. Mais maudit que t’as du fun.

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Tes meilleurs amis s’excitent quand tu te prépares, le soir. Tu quittes tes habits de jour pour te glisser dans ton costume nocturne. Ta vie devient un drag show. Plus de paillettes. Plus de volume. Plus de noir autour des yeux, plus de vin dans la gueule, moins de linge, et moins de fatigue. Tes meilleurs ennemis te tiennent par la main alors que tu t’en vas faire ton shift et dansent dans ta face, dans ton corps, du plancher au plafond. Tu te sens tellement en contrôle, même quand t’as la face au-dessus du vide, et qu’eux rigolent alors que tu ne rattrapes plus ce qui reste de tes journées. Eux autres deviennent toi-même et vous vous mélangez tellement qu’on n’arrive plus à vous distinguer les uns des autres; on te préfère high, créative, trippante, plutôt que fonctionnelle mais tellement “normale”. Mais maudit que t’as du fun.

Anyway, la normalité, c’est quoi, ça? Une dimension de la banalité qui se situe quelque part entre “se lever et se coucher à des heures décentes” et “avoir un mode de vie équilibré”. De quoi, dormir? Tes dimensions, à toi, elles explosent en hauteurs et en indécences. The sky is the limit mais toi t’es retenu au sol par tes meilleurs amis speed, coke et MDMA. Tu deviens soucoupe, mais le genre de soucoupe qui vole pas haut. Adieu vol plané, veau, vache, cochon, couvée. Tu penses que t’as un feu en toi, un volcan, Dante lui-même, mais c’est un feu de Bengale. Ça sparkle, ça fait pschitt, mais ça brûle pas super longtemps.

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T’as fait le tour de ta boîte de feux de Bengale assez vite. Tu meurs à petit feu. Au bout de quelques années, brèves mais tellement intenses, il ne te reste plus rien à brûler. Tu as tout épuisé de toi-même et de ce qui t’entoure. Tu sens que c’est le moment pour toi de t’éclipser, de lâcher tout ça, pour être remplacée par d’autres feux de Bengale. Tu le sais que t’as rien inventé et que personne n’inventera rien, dans tout ça. Alors, tu t’éclipses.

Si tu as de la chance, tu y parviendras toute seule. L’envie de se battre contre toi-même et contre la Terre entière s’effacera doucement pour laisser place à un vide impressionnant. Un vide que tes meilleurs ennemis ont fait semblant de combler durant tout ce temps où tu hurlais à la gloire devant un auditoire d’une demi-personne, et que tu devras dorénavant remplir avec du vécu. Les liens d’amitié, d’amour. Le quotidien. La banalité. Ça remplit, la banalité. C’est une conserve de vie. Ça rassure.

Si tu n’as pas de chance, il te faudra de l’aide. Surtout, n’aie pas honte de demander de l’aide.

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Ça a fait 5 ans cette semaine que je me suis éclipsée. Je ne regrette pas d’avoir arrêté, mais maudit que c’était le fun.

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Je milite pour la justice sociale, l’égalité et le féminisme – des synonymes à mes yeux. Ayant suivi une formation en arts visuels, je poursuis mes démarches en recherche sociologique et j’écris présentement un livre sur l’itinérance qui sera publié prochainement chez VLB.

J’anime le tumblr LES ANTIFÉMINISTES – http://lesantifeministes.tumblr.com/

Pour me suivre : c’est Sarah Labarre sur Facebook et @leKiwiDelamour sur Twitter.