Le triomphe de Jean-Thomas Jobin : entre stratégie et compassion

*L’auteur est professeur de sociologie*

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« Faut que ça finisse ce jeu-là un moment donné ». Après des heures d’empilage de bines sur un bouchon de liège, François Lambert doit effectivement se sentir soulagé. Jean-Thomas Jobin sort grand gagnant de la 1^re mouture québécoise de Big Brother Célébrités. Il a su remporter le challenge ultime pour sécuriser sa place en finale. D’ailleurs, plusieurs questions du quiz portaient sur l’histoire entre Kevin et Cam-Cam. La production cherche sûrement à tempérer la haine que la jeune actrice reçoit sur les réseaux sociaux. Mieux vaut calmer le jeu, en invitant Camille à admettre que sa plus grande erreur, c’était de « parler dans le dos de Kevin ». Le challenge social, c’est aussi celui de la prod qui fait du damage control.

Kim Clavel pense qu’elle avait des chances de battre JT, mais une partie d’elle en doute : « Y a peut-être des affaires que j’ai dit (sic) dans Big Brother […] que je regrette. Je sais pas si ça va avoir un mauvais effet sur moi ». Le montage pointe les failles de sa game sociale. « Je veux être honnête, je veux être authentique, je veux être vraie » dit-elle. « Mais dans la vraie vie. Pas ici ». Le problème c’est que pour gagner Big Brother, il faut rallier les exclus qui votent après avoir vu les épisodes. Kim a brisé des pactes avec deux alliances qui englobent près de la moitié des célébrités. Elle a souvent pleuré par contre, comme si elle sentait que l’argument « c’est juste un jeu » avait ses limites. Cela aurait pu lui attirer de la sympathie dans une finale contre Lambert.

Lorsqu’il remporte le tout dernier véto de la saison, François Lambert affirme qu’il ne doit son succès qu’à lui-même : « C’est toute une fierté parce que y a personne qui m’a donné de freepass ici. J’ai gagné chacun des morceaux ». Par contre, dans sa dernière prise de parole, il reconnaît sa dette envers ses alliés : « On avait un trio […] On a travaillé fort pour combattre toutes les attaques. On était trois qui s’auto-protégeaient pis faut être fiers de ça ». Ça prenait peut-être 92 jours d’internement pour que l’entrepreneur développe une pensée collective. Il faut rappeler qu’en 2014, un fan de François Lambert l’avait mis en garde contre ses croyances individualistes, dans un cri du cœur publié dans La Presse. Grâce à Big Brother, le Dragon comprend (enfin) que sa réussite dépend du travail des autres. #marxisme

Quel triomphe de Jean-Thomas Jobin. S’il a un « cerveau weird », ce dernier semble fait sur mesure pour gagner Big Brother. JT a joué une game à la fois stratégique et pleine de compassion. Pour Kim « c’est dur d’essayer de rentrer dans la tête des gens » (en s’imaginant ce qu’ils pensent). Or, le mastermind se regardait couramment à travers les yeux des célébrités sortantes. Lors d’un discours d’élimination contre Camille, il courtise déjà le jury à distance : « C’est un privilège d’avoir vécu tout ça avec [les gens qui restent à Big Brother] et avec les 10 autres qui sont maintenant à la maison ». Lambert s’attendait à finir bon 2^e. Dans une discussion de balcon, il confie à Jean-Thomas : « J’aimerais ça que tu sois un peu plus… moins parfait ».

En acceptant de se faire enfermer dans le Manoir de L’Île Bizard, les participants de Big Brother ont tous gagné en visibilité, grosse carte pour la suite de leur carrière. Marie-Mai s’en réjouit : « C’est une des belles choses […] que Big Brother Célébrités apporte aux personnalités qui participent. C’est l’opportunité de voler de ses propres ailes ». La célébrité procure des avantages indéniables : de l’attention, du prestige, de l’argent. Cela dit, des études montrent que le succès médiatique provoque une addiction comparable à la drogue. Dans la quotidienne animée par Rita, lors de sa marche vers le plateau d’entrevue, Camille se fait applaudir par la régie. Puis, lors de la scène d’après, elle pleure devant le miroir de la salle de maquillage… Le trac de l’exposition affecte la santé mentale des célébrités, nombreuses à souffrir d’un sentiment de solitude.

La fast track pour devenir célèbre, c’est l’exposition publique de sa vie privée. Durant Big Brother, les patron.ne.s de la maison pouvaient parler pendant 5 minutes avec une personne de leur choix en utilisant leur privilège Bell. Doux réconfort. Mais ce faisant, ils laissaient entrer pas loin de 500 000 téléspectateurs dans leur intimité. De plus, les candidats évincés passaient tous par La semaine des 4 Julie où (avertissement : moment touchant) ils retrouvaient leurs proches sans s’y attendre. De quoi pister des sites à potins qui peuvent devenir envahissants… La semaine dernière, pressée par les questions intrusives de Julie Snyder, la conjointe de François Lambert a révélé certains dessous de leur vie amoureuse. C’est le prix à payer pour faire mousser les ventes de popcorn à l’érable, ainsi que les paires de bas François Lambert.

Les études sociologiques qui portent sur le vedettariat sont souvent très critiques. Plusieurs penseurs estiment que pour prouver son excellence comme être humain, il faut se montrer discret, en évitant de se définir par le regard des autres. Or, pour l’auteur de ce texte, la célébrité ce n’est pas « bien » ou « mal ». C’est un sujet qui mérite qu’on s’y intéresse en variant les angles d’attaque. Quant aux téléréalités at large, nul besoin de les mépriser ou de les regarder comme un plaisir coupable.

C’est tout à fait normal d’avoir des frissons en regardant la bande-annonce d’OD dans l’Ouest.

Un sociologue détraqué le confirme.