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La fille du café où je vais souvent travailler est un peu weird. Un ti peu à côté. Son regard est juste une coche trop intense, pis le temps qu’elle prend pour répondre est une tite affaire trop long.
L’autre jour, je m’apprête à aller payer. Elle me voit, se lève de la table où elle était assise à faire ses comptes et se dirige doucement, un peu maladroitement, vers la caisse enregistreuse. Elle a des talons hauts. Auxquels elle n’est visiblement pas habituée. D’où la démarche un peu hachurée. D’ailleurs, elle est plus maquillée que d’habitude. Je la soupçonne d’avoir un nouvel amoureux, ou un kick…
Et me voilà toute attendrie. Pas de l’imaginer amoureuse, non, ce sont les talons trop hauts qui la font chalouper qui m’ont eue. C’est rien, c’est banal, mais c’est en plein le genre de tout-croche qui m’émeut.
Ça me fait penser à cette chanson de Bénabar dans laquelle il fait un genre d’énumération des imperfections qu’il aime :
Les cheveux blancs des vieux
Les enfants dépeignés
Les rides au coin des yeux
Les doigts dans le nez
Le bordel le désordre et le bruit
Le pas bien rangé…
Dans l’auto, je chante la chanson à tue-tête. Ça me défoule. Ça me renvoie à notre humanité vulnérable dont on ne peut s’extraire, personne. Et j’appuie toujours un peu plus sur le “pas bien rangé”, va savoir pourquoi…
Quand je suis rentrée chez moi, après mon matin au café, au lieu de me remettre comme il se serait dû au boulot, je me suis lancée dans l’écriture d’une liste des tout-croches qui me font un petit mou dans le ventre. Je trouve que dans notre ère d’hyperfection et d’hyperefficacité, ça peut faire du bien, nous rappeler que, heureusement, l’humain n’est pas encore devenu une machine programmable pour optimiser son fonctionnement (et avec un peu de chance, il ne le deviendra jamais):
- Deux étrangers qui se tassent un nombre exagéré de fois sans arriver à décider qui passe de quel bord dans une allée de magasin.
- Une tache de gras sur un vêtement.
- Un ticket qui dépasse du vêtement d’une personne autrement «parfaitement mise». Ou une jupe prise dans l’élastique d’un bas-culotte, alors là, c’est le bonheur parfait.
- Quelqu’un qui rougit (sauf si c’est moi).
- Une adolescente qui marche les épaules un peu voûtées pour cacher ses seins naissants.
- Une chute dans la rue, et la tentative toujours ratée d’avoir l’air d’assumer parfaitement ce moment de maladresse.
- Quelqu’un de timide qui prend tout son courage pour se lancer dans une blague… et qui la rate…
- En général, les gens qui essaient d’assurer, mais dont les mécanismes de défense sont apparents.
- Le gargouillement d’un ventre dans un moment solennel.
- Un enfant qui chante de tout son cœur, mais faux. Un adulte qui fait la même chose, c’est parfois très touchant, et parfois, totalement agressant. Par exemple, si l’adulte en question, c’est ta mère (qui chante dans l’auto une chanson de Bénabar, par exemple).
- La maladresse qu’il peut y avoir dans la rencontre de deux corps qui ne se connaissent pas, mais qui ont une immense envie de se découvrir.
- Quelqu’un qui essaie de dégrafer une brassière, mais qui gosse, gosse sans y arriver.
- Tous les tout-croches de quelqu’un dont je suis amoureuse.
Vous trouvez pas, vous, qu’il y a quelque chose de rassurant à nous savoir tous à peu près autant imparfaits? Émilie en avait parlé dans un de ses billets, mais je voulais revenir là-dessus et partager ces petits moments de non-grâce qui m’émerveillent. Je vous invite à votre tour à m’écrire les tout-croches qui vous font fondre, si ça vous dit. Pis vous pouvez même me les écrire tout croche… Mais si possible, en accordant vos participes passés, ça c’est un tout-croche qui ne me touche pas. Mais non, mais non, je niaise, allez-y comme ça vient…