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Le tourisme est mort : vive le Voyage!

Par
Aurélie Lanctôt
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L’été, c’est l’invitation au voyage! On casse le cochon et on prend l’avion : « Trois culottes, une brosse à dent et mon Imodium, mon packsack est mon royaume!» Mais attention, nous ne sommes pas des touristes ! Nous sommes des explorateurs, des aventuriers, des citoyens du monde…

Ah! Les voyages… Partir à la conquête du monde qui n’attend que nous.

Ce monde fantasque et coloré, idéal du fait même qu’il est Ailleurs. Il n’existe, dirait-on, que pour nourrir nos aspirations fabuleuses; notre désir de voir l’autre, de comprendre l’autre.

Ah! Le sentiment grisant « d’avoir vu »…

Ce n’est pas d’hier que les Occidentaux sont épris de la fièvre du voyage. Déjà dans les années soixante-dix, plusieurs sociologues et historiens dénotaient un intérêt pour le tourisme frisant l’obsession, au sein de la classe moyenne européenne.

Dans un (délicieux) article paru dans Le Monde diplomatique de juillet, Philippe Bourdeau et Rodolphe Christin remontent aux sources de cet engouement pour le voyage. Puis, ils en viennent à exposer ce qui structure notre besoin de « tourisme alternatif ». « Ouais c’était malade mon voyage! Vraiment pas touristique là, y’avait zéro touriste où on est allé sérieux… » Discours aussi naïf que complaisant.

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Pourquoi obsède-t-on sur le fait de voyager hors sentiers? Et que retenons-nous vraiment de nos incursions dans le «vrai monde», s’il en est?

Tourisme alternatif: You Save My Soul!
À la lumière de l’analyse de Boudeau et Christin, on entrevoit aisément que les circuits de tourisme alternatif (loin des voyages organisés, des formules tout inclus, etc) seraient tout simplement la réponse à une demande touristique qui se veut détachée du fait touristique. Comme un simulacre de non-tourisme, pour répondre à des touristes à qui il insupporte de l’être. Le genre de chose qui me fait toujours rire dans ma barbe.

Aujourd’hui, le touriste n’est plus. Il est voyageur et si non, pour beaucoup, autant rester à la maison! L’idée d’alimenter une industrie aussi « mondialisante » que celle du tourisme dégoute le voyageur occidental conscientisé, sophistiqué. Notez la pointe d’ironie.

En effet, comment se résoudre à parcourir un monde en crise à bord d’un bus climatisé, Kodak pendus au cou? Odieuse idée, allons donc!

Conséquemment, on se tourne systématiquement vers un tourisme moins balisé, qui donne l’illusion de sortir de ses propres sentiers. Et de ne pas être le fruit de la «mise en marché du monde», tout bêtement…

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S’enclenche ainsi une mécanique, pourrait-on dire, de prétexte touristique. Le voyage doit faire sens, au-delà de la simple villégiature. Ça me fait ricaner, de nous voir nous barder de bons préceptes pour justifier (entre autres) le kérosène qui nous propulse aux confins de la planète…

En répudiant l’idée du tourisme consumériste et hermétique au « vrai monde », on entend à se positionner de manière distincte dans notre rapport au pays visité. Ça soulage la conscience, et c’est tellement plus « thrillant »…

Moi, j’ai vu le vrai pays. Je ne suis pas ce touriste à qui on dicte jusqu’à ce qu’il doit photographier. J’ai été à la rencontre de l’habitant, et je l’ai trouvé tout seul!

« De voyeur potentiel, l’aspirant non-touriste espère parvenir au statut de témoin accomplissant un acte civique » remarquaient encore Bourdeau et Christin. Du bonbon.

Troublant de vérité, ein? Même si ça fendrait la gueule de tout bon backpacker de l’admettre. Mais tout à fait entre nous, il y a une certaine part de vanité dans le fait de vouloir avant tout voyager hors-les-sentiers.

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Répugnant la banalité des circuits touristiques, nous exacerbons notre de besoin de vivre le voyage le plus unique, le plus insider qui soit. Au-delà de vouloir voir le monde, on veut le voir sans attache, sans balises. C’est vrai : on se galvanise avant tout du sentiment de liberté absolue, en voyage.

Le monde est mon carré de sable, laissez-moi le découvrir comme bon me semble…

Mais bien évidemment, on n’admet que très difficilement ce genre de motif plutôt égocentrique. Tout comme on refuse d’admettre tout à fait que l’appel du voyage soit en partie issu d’une mode… Je ne dis pas qu’il s’agisse des seuls facteurs incitant les gens à voyager. J’essaie d’être de bonne foi.

Cela dit, le sentiment de l’inusité, de l’unique, de l’exceptionnel est l’artéfact le plus précieux qu’un voyageur puisse posséder… Eh puis on va se le dire : Maudit que ça fait une belle jambe, les namedrops de « voyage »…

Je le sais, je l’ai fait. Comme tant d’autres, l’été de mes 17 ans (et les suivants…), j’ai répondu à l’appel de la Bohême. Loin. Toute seule. Comme je veux. Passage obligé de ma croissance personnelle. Point culminant de ma quête d’autonomie; réelle ouverture sur le monde, de mes propres ailes, justifiais-je alors. « Pis c’est maintenant ou jamais, tsé! » Très très cheesy, finalement.

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C’était sincère, remarquez. Mais mon empressement à préciser que je partais : « packsack-loin-des-touristes-dans-des-bleds-perdus-full-pas-de-cash-anyway» trahissait en quelque sorte les motifs égocentriques énoncés plus haut.

En effet, bien que cette idée m’agace, je suis forcée d’admettre que mes envies de voyager ont parfois été en bonne partie insufflées par un besoin de « faire le plein d’exceptionnel ». Ou encore est-ce la fuite d’un quotidien qui stagne. Fuite de grand luxe, vous en conviendrez…Je suis très franche, là. Et si backpackers endurcis soyez-vous, osez l’introspection. Parce qu’à en juger par la façon dont la plupart des backpackers moyens ne font qu’effleurer la culture et la réalité-terrain des pays qu’ils parcourent, il y a de quoi douter de la réelle « passion pour l’ailleurs » du voyageur.

Et si encore vous niez catégoriquement, faites-le test. Passez en revue tous les pays que vous avez visités, et essayez de jauger jusqu’à quel point vous vous êtes réellement intéressés aux traits caractéristiques et au contexte dudit pays.

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Quel genre de régime, qui à la tête? Principaux dissidents politiques? Pays belligérants? Date d’indépendance? Particularités démographiques? Histoire? Moteur économique? (….) Très franchement, et sans Wikipédia…

Parce que je me lasse d’écouter des vétérans du « voyage » se péter les bretelles d’ouverture d’esprit, sur fond de frime évidente quant aux connaissances récoltées sur le terrain…Je ne dis pas ça pour faire la morale à personne. Ni d’ailleurs pour décourager les gens de voyager. C’est bien, voyager.Simplement, je pense qu’il faille admettre que bien souvent, nos voyages répondent à un appel moins noble et universel que ce qu’on tend à se faire croire…

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Ah pis moi, sur Twitter, c’est @aurelolancti