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Un shack.
Je le vois, tuseul, au milieu de nulle part. En bois rond. Une porte. Une ou deux fenêtres. Un poêle à bois, un lit de camp. Une grosse couette. Et une courtepointe ben lourde par-dessus. Ça dort mieux quand c’est lourd.

Je ne sais pas si j’y vois des livres, pour passer le temps, s’occuper l’idée à ne pas se l’occuper serait davantage l’esprit du lieu. Il y a des fois où il est là, entouré d’arbres; d’autres où de la fenêtre, on peut voir ben loin, s’attacher le regard sur cette ligne où le ciel et le sol se touchent. J’y ferais du café comme en camping, passerais un moment les deux mains sur la tasse à juste faire cela, avoir une tasse entre les mains. Ressentir le chaud, m’y tenir. Sans doute m’y agripper. Suivre la fumée des yeux juste comme elle sort de la porcelaine, apprécier lorsque ça me coulerait dans le fond de la gorge. Chaque gorgée avalée ben lentement. Parce que y’aurait pas de presse.

Je ne suis pas certaine de ce que ça y sent. Un mélange de bois, d’humidité, de frais. Ça y respire large et profond et longtemps. Tu peux inspirer pendant des heures, tes poumons s’y déploient, ils y grandissent du dedans. Tu te remplis d’air pis c’est ça. Rien d’autre à faire. Pour de kessé tu ferais autre chose. Éventuellement, tu le laisses aller ben doucement, tu te vides. Ça sort et tu as même le temps de t’assoupir avant d’avoir terminé ton expiration. Tu te dégonfles pis c’est bon. C’est ça qu’y faut, anéwé, que tu t’autorises à te dégonfler.

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Ça craque, le vent qui balaie, là, dehors. Des fois où tu t’entends le cœur battre. Y’a rien qui vibre, s’allume, notifie. La lumière te vient de dehors, un peu du feu. Tu as peut-être une chandelle, mais ça pourrait aussi être superflu, vouloir plus de lumière.

Rien pour écrire. T’es pas obligé de tout consigner, de tout sortir de ta tête. Dans le shack, tu juste es. Le drôle de la chose, ou le triste, c’est selon, c’est qu’arrivé à ce point du fantasme, la chienne me pogne. Cet arrêt. Ce démeublement du quotidien. Juste un corps à gérer, à écouter, à suivre. Rien d’autre.

Pourtant. Avoir un shack à portée de la main, à se sortir de la poche de jeans pour se cacher. Interrompre le monde qui défile. Ça ne devrait pas effrayer. Parce qu’il y a le bruit. Le cœur qui veut t’éclater. L’air qui te manque. Des p’tits qui courent autour de toé en faisant des bruits de dinosaures qui ont mangé des lasers. Des choses à faire, à penser, à spin dans ta tête, des à prévoir. T’as besoin d’un mur; un agenda, ça ne suffit pas. « L’homme ne peut jamais savoir ce qu’il faut vouloir car il n’a qu’une vie et il ne peut ni la comparer à des vies antérieures ni la rectifier dans des vies ultérieures. (1) » te chuchote constamment Kundera à l’oreille. Kessé veux-je. Kessé fais-je. Kessé. Yolo. Facepalm à l’infini.

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L’envie de se givrer-là. Faire « pouf », mais pas pour toujours. Le temps de se remettre. Pour mieux replonger. Parce qu’on replonge tout le temps. Partir dans le fond d’un bois avec le grand projet de marde d’y rester. Un moment. Je ne sais même pas si je suis capable de faire un feu. J’essaierais. C’est ça, l’idée. Essayer. Embraser la matière, le fond d’yeux, faire une fucking danse pour que ça te crépite en-dedans. Que ton envie de bois te passe. Tu y serais bien. Mais c’est peut-être mieux de shacker ta vie, à place. Y faire de l’espace pour respirer à grand déploiement, dans ton appartement, ton char, ta douche. Espérer t’entendre sans que ça t’effraie. Pas être obligé de mettre la musique un peu trop forte, tout le temps. Être là et partout, ça doit se faire. Juste assez lourd pour tenir à terre, juste assez léger pour que les commissures des lèvres remontent le plus souvent possible. Juste ça.

Illustration : Cath Laporte

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(1) KUNDERA, Milan. L’insoutenable légèreté de l’être, coll. « Folio », numéro 2077, Paris, Gallimard, [première édition : 1984], 1987, p. 19.