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URBANIA, Corbeil et Les Petits Frères s’unissent pour donner une voix aux aîné.e.s du Québec, et pour recueillir une partie de leur incroyable savoir-faire culinaire.
Trois-Rivières, 1995. Roch Voisine joue en boucle sur les ondes de Rock Détente. Y’a des pancartes du OUI un peu partout sur les balcons. On est à l’école Jacques-Buteux, un mercredi, il est 11 h 19. J’attends patiemment que la cloche annonçant l’heure du dîner résonne dans les corridors. Dans une minute, je vais traverser le petit sentier longeant le boisé derrière l’école primaire. Tout au bout, une vieille voiture blanche m’attendra. À l’intérieur, mon grand-papa. Je vais prendre place sur le siège passager. On échangera peu de mots, une radio de Québec remplira l’espace sonore. On se rendra sur le boulevard Saint-Louis, chez mes grands-parents, où Rachel m’accueillera avec sa délicieuse lasagne.
Presque 20 ans plus tard, je peux encore goûter sa sauce à spag quand je ferme les yeux. La recette familiale de sauce à spag se transmet de mère en fille chez les Hébert depuis des générations. Mais attention, notre sauce a la réputation d’être épicée. C’est simple, elle goûte mon enfance, et accessoirement, le chili broyé. Ce ne sont pas toutes les papilles qui peuvent s’y frotter.
Je me souviens de la voir frémir des heures dans la cuisine. Ma tâche était de la brasser de temps en temps, et dès qu’elle était prête, j’en déposais quelques cuillerées dans le fond d’un bol pour y goûter. Celle de ma mère n’a jamais goûté la même chose que celle de ma grand-mère, et la mienne n’a jamais goûté celle de ma mère, même si on suit toutes la même recette.
Chaque famille a son propre héritage culinaire, et durant la pandémie, on a été plusieurs à y réfléchir. Dans nos moments de solitude, on a tenté de trouver du réconfort dans la cuisine. C’est pourquoi la fondation Les Petits Frères et Corbeil ont publié Les p’tits plats en héritage, un livre de recettes traditionnelles dont les profits de vente seront entièrement versés à la fondation. J’ai eu envie de faire un petit tour d’horizon et de poser la question autour de moi : qu ’avez-vous appris de vos parents en cuisine et que voulez-vous léguer à vos enfants?
Kim
Chez moi, du côté de ma mère, la légende veut que le pouvoir de la soupe se transmette de mère en fille. C’est courant que les enfants préfèrent la soupe de leur grand-mère. Moi qui étais une enfant très difficile, les seuls légumes que je mangeais étaient ceux qui se trouvaient dans la soupe de ma grand-mère. J’ai toujours trouvé que ma mère ne faisait pas une aussi bonne soupe que ma grand-mère.
«Le secret de notre famille est de toujours commencer à cuisiner une nouvelle soupe avec le dernier pot de la soupe précédente.»
Avec mes enfants, c’est la même chose. Ils ont de la misère avec les légumes, mais ils adorent la soupe de grand-maman. Et ce qu’on me dit, c’est que probablement que mes enfants vont faire de la meilleure soupe que moi, et que leurs enfants vont trouver que la mienne est meilleure. Et le secret de notre famille est de toujours commencer à cuisiner une nouvelle soupe avec le dernier pot de la soupe précédente. C’est une soupe qui ne finit jamais.
Jennifer
Ma grand-mère recevait ses enfants et petits-enfants tous les dimanches. On devait être une vingtaine chaque semaine. Elle préparait le repas pour tout le monde. Sans oublier le sucre à la crème liquide à verser sur tous les desserts : gâteaux, tartes, beignes, tout! Il y avait toujours une cuillère de bois dedans. Le truc, c’est qu’il faut brasser pour ne pas que ça colle, mais pas trop, sinon, ça tourne en pain de sucre.
Et on aimait beaucoup lécher la cuillère de bois quand ma grand-mère avait terminé, c’était un délice! Un beau souvenir d’enfance. Aujourd’hui, je refais la même recette pour accompagner un petit gâteau à la vanille, certains dimanches.
Valérie
Je m’intéresse beaucoup à l’alimentation, surtout depuis que j’ai un enfant. Moi-même enfant des années 80, j’ai mangé du steak haché et toutes ses déclinaisons 365 jours par année pendant 24 ans. Pâté chinois, spaghetti (dans l’eau), cigares au chou (ark). Mon père ne mangeait que ça à l’époque, alors ma mère ne se cassait pas le bécyk et sortait du bœuf haché du congélo le dimanche et le laissait dégeler à température ambiante, ou dans le micro-ondes (dear God).
«Moi-même enfant des années 80, j’ai mangé du steak haché et toutes ses déclinaisons 365 jours par année pendant 24 ans.»
Mes horizons se sont grandement ouverts quand j’ai travaillé dans une épicerie fine, où j’ai découvert des coupes de boucherie qui ne sont pas hachées! J’adore bien manger et je fais de mon mieux pour cuisiner toutes sortes de choses, même si mon fils trippe moins. Je tiens à ce qu’il ait accès à toutes sortes de saveurs, pour ne pas qu’il ait l’air con la première fois qu’il ira dans un restaurant plus fancy pis qu’on lui demandera comment il prend son steak. (On ne m’avait jamais appris ça, moi.) Je cuisine beaucoup, j’essaie des affaires, pis je me dis que mon fils finira par comprendre avec le temps. C’est ce que je veux lui léguer : la curiosité, l’ouverture, les essais-erreurs et, surtout, les soupers en famille.
Mathieu
Quand j’étais enfant, ma mère et ma grand-mère nous faisaient participer à la préparation des repas, des desserts, des conserves, de la boulangerie. Ma grand-mère nous amenait avec elle pour l’aider à la popote roulante de l’église où on préparait des repas aux personnes âgées seules.
À son décès, ma grand-mère m’a laissé un livre de recettes écrites à la main sur des feuilles mobiles, qu’elle a fait relier, où elle a collé des images. J’ai ensuite travaillé longtemps en restauration, où j’ai été gérant, et tout ça m’a rendu tellement avisé, soucieux de mes achats et de mon alimentation. Aujourd’hui, c’est devenu un hobby tellement j’adore la bouffe, et je fais souvent les recettes de ma grand-mère.
Nebesna
Ma grand-mère a ouvert un magasin d’aliments naturels et un restaurant végétarien dans les années 80. Elle était vraiment une précurseure dans ce domaine pour ce temps… Quand j’étais jeune, j’allais dans son restaurant et je me souviens encore des odeurs et de la musique française qui y jouait. Ma grand-mère a toujours été soucieuse de bien manger et elle a légué cet enseignement à ma mère.
«L’amour des femmes de ma famille s’est beaucoup transmis par le temps qu’on prend pour préparer un repas maison.»
Ma mère cuisinait tout le temps parce qu’elle a eu cinq enfants. Je la voyais toujours dans la cuisine pour préparer nos repas et nos lunchs. L’amour des femmes de ma famille s’est beaucoup transmis par le temps qu’on prend pour préparer un repas maison. Le choix des ingrédients et le soin qu’on y met. Je pense que c’est pour cette raison que j’ai travaillé aussi longtemps en restauration, et je suis vraiment fière d’ouvrir mon propre restaurant aux Îles-de-la-Madeleine cet été.
Ce soir l’amour est dans les carottes
Ma fille Béatrice raffole des pâtes. C’était prévisible. En plus, son père est Italien. Lui aussi a une feuille de papier sur laquelle est écrite à la main une recette bien précieuse de sauce à spaghetti familiale encore plus complexe que la mienne.
J’ai toujours été « team sans carottes », mais je dois avouer que l ’amour m’a fait changer de camp. Mon chum a débarqué dans ma vie avec sa sauce à spaghetti qui prend tout un dimanche à faire, AVEC CAROTTES. Chaque aliment est confit séparément, lentement, méticuleusement. Mon aversion des carottes aura duré le temps d’une bouchée. Sa sauce est un pur délice. La concurrence est impossible.
Trop de souvenirs sont reliés à nos recettes. Je pense qu’on n’aura d’autre choix que d’offrir nos deux patrimoines à notre fille. Elle pourra s’en inspirer et créer sa propre sauce à spag. De toute façon, c’était écrit dans les livres que sa sauce n’aurait jamais goûté la même chose que la mienne, même si on suivait la même recette. Et, qui sait, peut-être qu’un jour quand je serai plus vieille, ce sera elle qui m’invitera chez elle pour goûter à sa fameuse sauce dont tou.te.s ses ami.e.s raffolent!
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Pour des idées recettes, et pour aider à amasser des dons pour briser l’isolement des aînés, procurez-vous le recueil Les p’tits plats en héritage conçu par Les Petits Frères, en collaboration avec Corbeil.