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Le sandwich de la honte

Par
Éric Samson
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Il y a des mystères que je ne comprendrai jamais, dans la vie. Stonehenge, la Wii Fit, les biscuits soda réduits en sodium. Il y a aussi, plus souvent qu’autrement, les chroniques de Marie-Claude Lortie dans La Presse.

La monomanie de Lortie au sujet de la nourriture me fascine. Je comprends bien qu’il s’agit, pour elle, d’une passion qu’elle ne saurait taire. Soit. Mais nous sommes dans une campagne électorale municipale où les enjeux principaux sont, pour la plupart d’entre nous, l’éthique, le transport en commun, le transport tout court. Quand je la vois parler du lunch de Richard Bergeron, je me braque.

Bergeron a une routine alimentaire particulière. Il mange la même chose tous les midis depuis trente ans. Un sandwich au jambon et au fromage.

Et ça, pour Lortie, c’est inacceptable.

Il aurait dit qu’il met toujours la même cravate les vendredis, qu’il arrête tous les matins pour se chercher un café au même Tim Horton, qu’il n’a jamais vécu qu’au rez-de-chaussée dans tous ses appartements depuis l’Université : personne n’aurait sourcillé. Mais diantre! Un sandwich au jambon!

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Notre chroniqueuse y voit un manque de considération pour la gastronomie montréalaise, pour la diversité alimentaire, pour l’agriculture urbaine, pour les grands restaurants qui, selon elle, font la gloire de Montréal à l’étranger. Ce n’est pas que de la viande et du fromage entre deux tranches de pain brun. C’est le sandwich de la honte.

Passons sur la myopie de voir dans les habitudes d’une personne le reflet de ses politiques et ambitions. Il me semble évident qu’un maire n’a pas nécessairement besoin de se déplacer quotidiennement en métro pour avoir envie de faire plus de place au transport en commun dans sa vision de Montréal. En ce sens, réduire le programme électoral d’un candidat à sa routine alimentaire m’apparaît naïf. D’autant plus que, comme le dit un blogue bien connu, on mange (généralement) trois fois par jour.

Le futur maire a bien des choses à régler à Montréal. Il devra se pencher sur la gouvernance, sur les relations avec le provincial, sur l’étalement urbain, sur les trains de banlieue, l’accessibilité au logement, et que sais-je encore. Il n’est pas exclu qu’il pense éventuellement peut-être aussi à la bouffe de rue, dont l’offre à Montréal possède encore plusieurs lacunes.Justement : si le sandwich de Bergeron est un symbole, il pourrait être celui-ci. Celui de l’inaccessibilité de la nourriture de bonne qualité pour le consommateur moyen. J’ai fréquenté plusieurs camions de bouffe de rue cet été. J’étais assez chanceux pour travailler dans un coin où il y avait toujours quatre ou cinq food trucks à moins de dix minutes de marche, ce qui est loin d’être le cas pour une large frange de la population montréalaise. Pourquoi est-il toujours si rare de s’en tirer à moins de quinze dollars pour un lunch? Est-ce l’idée que se font nos élus d’une nourriture accessible? Je ne sais pas combien gagne une chroniqueuse à La Presse, mais ça doit certainement être plus que moi, parce que Dieu sait que je n’aurais pas eu les moyens de manger au resto dans le Vieux-Montréal tous les jours.

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Mais il me semble, tout de même, qu’il y a plus urgent. Plus important que de savoir si un des candidats pour gouverner la métropole québécoise prend du temps de sa journée de travail pour savourer un des plats cuisinés avec amour et tendresse par les ambassadeurs du goût qui, apparemment, pullulent dans le coin de l’Hôtel de Ville.

Quand plusieurs Montréalais ont de la difficulté à trouver un logement salubre, adéquat et abordable, quand l’exode vers la banlieue se poursuit de plus belle et que Montréal ne réussit plus à garder ses jeunes familles ou croit les garder en tuant la vie culturelle, imposant des pénalités faramineuses pour avoir osé faire du bruit dans un Plateau qui devient de plus en plus beige, quand il ne reste des douze dernières années d’administration à la Ville qu’un arrière-goût de honte, de disgrâce et de fraude d’une envergure inimaginable… il me semble que se préoccuper du droit de garder ou non des poules dans sa cour relève de profonde futilité.

On dit que quand le sage pointe la lune, le sot regarde le doigt. Quand un homme se présente pour diriger la plus grande ville du Québec, certains regardent son équipe, son programme, ses réalisations antérieures, ses discours, ses promesses électorales.

D’autres fouillent dans sa boîte à lunch.

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