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Les RoseMomz, pour ceux qui n’auraient pas compris le fin jeu de mots, signifie qu’on est des momans de Rosemont.
Rosemont, ça a toujours eu quelque chose de vieillot dans ma tête, de nostalgique.
Son côté Petite Patrie, peut-être, qui me rappelle le téléroman du même nom? Ne dit-on pas d’ailleurs Rosepatrie aujourd’hui?
Ça m’apparaissait comme une espèce de village, de région où tout le monde se connaît, se sourit à la porte du dépanneur ou s’envoie un tata d’un perron à l’autre.
Malgré le rose du nom, mes images étaient en noir et gris. Et sépia, aussi, comme dans la vidéo d’Adèle. Les femmes avaient leurs bigoudis dans les cheveux, et les hommes sentaient la vieille pipe.
Jamais, ô grand jamais, je n’aurais imaginé un jour y vivre et y élever ma progéniture. Le Plateau avait toujours paru le choix évident. Et pourtant… les prix des logements aidant, j’ai émigré.
Quand j’ai visité mon appart, c’était en mai, mais il y avait encore la structure de l’abri Tempo dans la cour… j’étais découragée. J’ignorais alors que le squelette de métal allait faire partie de mon quotidien pour des années à venir. Il y avait aussi un lilas aux fleurs lilas dans la cour. Ça m’a émue. J’ai signé le bail.
La vraie nature de Rosepatrie, je l’ai découverte par étapes. Un an après mon arrivée, j’ai fait une rencontre qui allait s’avérer déterminante pour l’avenir de mes cocos : le monde coloré de la ruelle. C’est là qu’ils ont rencontré leurs amis, appris à faire du vélo à deux roues, éraflé leurs genoux, coudes et mentons et découvert qu’une fois que les parents ont pris l’apéro, la liberté à laquelle ils ont droit augmente en flèche.
Deuxième découverte, trois ans après mon arrivée, quand je suis tombée brutalement en état de mono : le soutien du voisinage.
Un soir, j’étais en lambeaux, le voisin a dit : “On va faire un ciné-parc dans la cour, viens donc avec les enfants!” Je m’y suis traînée, pas convaincue. Deux grands slaques s’obstinaient sur comment installer le drap blanc sale après la corde à linge. Une fille freakait parce que son chum laissait son fils de trois ans manier un marteau pour participer à l’installation. Une grande rousse souriante avec des boucles d’oreilles en renard veillait à la distribution de bières, pop corn et limonade. Il faisait bleu foncé, le vent était doux, la ruelle était envahie par une armée de kids en pyjama. Je me suis laissée tomber dans un transat et j’ai regardé E.T., un sourire béat dans la face.
J’étais ben. Comme un rappel de ma banlieue natale, mais en plus groovy, ouverte… un genre de banlieue qui swigne.
Quelques semaines plus tard, le même voisin m’a dit : “Coudonc, t’es rendue célibataire, comment ça se fait que je te vois jamais Chez Roger?”
J’ai fait : “Chez qui?”
Ben non, c’t’une joke, j’ai pas dit ça. Tout résident de Rosepatrie de moins de 85 ans connaît Chez Roger, sur Beaubien. En fait, à l’époque, j’avais déjà eu une première date via Zéro Contact chez ledit Roger. Avec ce qui s’était avéré être, par le plus pur des hasards, un papa de l’école de mes poussins.
La soirée ne levait pas. Pour éviter de paraître trop ennuyée, j’avais essayé de calculer le nombre de couples dans la place qui étaient là pour les mêmes raisons que moi : une première date. Au moins quatre, je dirais, le petit brouillard de malaise qui planait au-dessus de leurs têtes ne trompait pas.
Quand j’ai eu fini mon calcul, mon attention a été attirée par une grande silhouette accoudée au bar. Il me dit quelque chose, ai-je pensé. C’était nul autre que Fred Savard, en train d’écrire des choses assurément très drôles dans son ordi.
Au fil du temps et des dates, je me suis d’ailleurs rendu compte que Fred Savard écrivait aussi des choses drôles chez de Froment et de Sève, Chez Régine, aux Emballées et qu’il riait parfois des choses drôles qu’il se racontait dans sa tête en faisant son jogging sur St-Zotique. Il est aussi le premier à se pitcher chez Rachel-Berry pour acheter des choux-fleurs quand ceux-ci sont en vente.
En fait, la moitié de la clique du Plateau a migré, au cours de la dernière flambée des prix des logements, vers Rosepatrie. Ou est-ce à cause des rues qui ne changent pas de sens toutes les semaines et des trottoirs qui ne sont pas rouges? Peu importe, Rosepatrie est aujourd’hui un subtil mélange de vie familiale et de jet set. On ne va pas tomber dans le name-dropping ici, si vous voulez voir, vous n’avez qu’à venir faire une virée dans nos bars sur Beaubien, Rosemont ou Masson.
Rosemont, c’est encore un lieu où les voisins se parlent, où les gens se frenchent dans les bars, où on peut sortir sans avoir décidé à l’avance où on veut aller et déambuler dans la rue (Masson, pour ne pas la nommer) jusqu’à ce qu’une place nous fasse de l’œil (Succursale, ou Quai no 4, ou Chez Baptiste).
Je raconte le beau, là, mais ce serait pas juste d’occulter le fait que j’ai aussi traîné mon spleen et mes angoisses (dans mes premiers week-ends sans enfants) autour du parc Molson, maudissant tous les petits couples cutes avec leur bébé rosé qui buvaient du rose (ou le contraire) sur une couverte fleurie (oui, on peut encore faire ça dans Rosemont). Je me sentais donc imparfaite et poche, d’être là, tu-seule, inadéquate…
J’avais envie d’aller faire une jambette au père nonchalant qui fait irruption dans l’aire de jeu, prosciutto à la main, et qui fait mine de réprimander Simone-Lune parce qu’elle fait manger du sable plein de pisse de chien à Lou-Loïc avec une pelle! Je me suis ressaisie à temps et me suis dirigée vers le temple de l’éthylisme, notre nouvelle SAQ-ouverte-jusqu’à 22h-Ô-joie, qui trône fièrement coin Beaubien-De Lorimier.
L’ouverture de ce débit d’alcool, quelques mois auparavant, avait littéralement mis les habitants du quartier en liesse. Ne manquait plus qu’une boucherie, ma chère dame, pour qu’on soit au paradis ici (on l’attend toujours)!
Aujourd’hui, quand je rentre dans mon quartier après une soirée chez des amis du Plateau, à pied, en bus ou en Bixi, quand je passe devant le cinéma aux néons roses clignotants, quand j’aperçois les patineurs sous les lumières roses elles aussi du parc Molson ou les pique-niqueurs de l’été à la lueur du couchant, je me sens simplement… chez moi. Spleen, pas spleen.
Sweet Rosemont!
(Ce serait gentil de ne pas trop ébruiter les bons côtés parce que j’aimerais bien avoir les moyens d’acheter mon appartement un jour…)
Les RoseMomz (le “Je”, ici, inclut Manue, Brigitte et Émilie)
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Pour lire un autre texte des RoseMomz : “On ne meurt pas d’une peine d’amour”