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Bonjour, je m’appelle Simon
et je suis le genre de gars qui fait des liaisons pas rapport
à mauvaise place
au mauvais moment
Le genre de gars qui excelle dans la pataquès
les liaisons mal-t-à-propos
surtout au moment le plus inopportun
avec la personne la plus opportune
avec qui je voudrais faire la meilleure des impressions
avec qui je voudrais me lier à l’infini
Je liaisonne tout croche quand c’est pas le temps
alors que chez moi
ça frôle le génie, mon affaire
c’est là que se joue mon drame : mon génie se révèle en privé
entre moi et moi
Je suis aussi un gars paresseux qui court après les bus pour sauver du temps
(je n’ai pas une minute à perdre, je dois tout voir, tout lire, tout connaître)
(je suis fatigué)
La nuit je confonds au loin les lumières des trucks avec les bus de la STM
je cours dans le vide inutilement
jusqu’au prochain arrêt de bus
je regarde les truckers me filer sous les yeux
me rouler sur la sérénité
je les maudis, juchés sur leur trône
à la bonne hauteur pour m’illusionner
je leur souhaite des carambolages terribles
je suis une mauvaise personne
Je suis le summum de la paresse, oui
je n’ai jamais pris la peine de comprendre comment fonctionne mon micro-ondes
ces choses-là m’échappent
chaque fois que je fais réchauffer un plat
j’appuie sur Pop-corn
c’est plus simple
Je suis aussi le gars qui ne comprend pas le 2e degré
un photographe vient me tirer la bine chez moi pour un projet littéraire
il me dit «Mais que c’est-tu mange pour être prolifique de même ?»
et moi je lui ouvre mon frigo
lui montre mes carottes
mon hummus
mon fromage cheddar extra fort
mon jus d’orange
mes céleris achetés déjà coupés parce que j’ai pas de temps à perdre avec ça
je suis le gars qui ne comprend pas le 2e degré
«Simon, pour l’amour, sois honnête: pourquoi t’es prolifique de même?»
parce que j’ai peur qu’on m’oublie
J’ai peur qu’on m’oublie
Si je publie un livre à chaque trois mois, je tombe pas dans l’oubli
ma mère me dit «bravo» sur une base trimestrielle
je veux faire perdurer ça
mon nom dans le journal me rappelle que je vis
(il faudrait me débarrasser de tout ça
faire table rase de l’égo
de l’orgueil
de l’amour infini que je réclame de tout le monde
car je suis tellement exceptionnel)
Je pallie
c’est ça que je fais, dans la vie
je pallie
pallier, remédier, suppléer
j’écris parce que
j’écris parce que personne siffle sur mon passage
c’est ça, la vérité nue, laide
personne siffle sur mon passage
si j’étais le genre de gars qu’on siffle dans la rue ça serait différent
j’écrirais rien
je serais zéro prolifique
je passerais mon temps à marcher avec élégance et arrogance et dégaine
je me contenterais juste de ça
marcher dans les rues de Mourial
pour qu’on siffle sur mon passage
être repu de ça, le soir
dormir là-dessus
rempli de tout ça
de tous les sifflements
le désir que j’ai suscité chez tant d’étrangers subjugués par moi
je dormirais sereinement
timidement épuisé d’avoir été l’objet de tant de désirs turgescents
je dormirais là-dessus la tête vide, le cœur net
avec aucun cahier de notes sur ma table de chevet
au cas où
au cas où le génie subtil me visiterait au bord du sommeil
m’obligerait à noter dans le noir, tout croche
une brillante idée finalement ben poche le lendemain matin
Mais non : quand je marche c’est le calme plat
je suis pas le genre de gars qui se fait siffler
alors j’écris pour meubler
pour me fantasmer l’objet de désirs turgescents
C’est pas vrai
je vous joue un cul
la semaine passée
alors que je sortais d’une charmante librairie indépendante sur St-Hubert
y’a un gars qui m’a sifflé
il était dans son char hot de gars qui siffle
c’était clairement moi, l’objet du sifflage turgescent
je le sentais de l’intérieur
mon cœur a jumpé d’excitation
je-suis-enfin-sifflé-c’était-pas-trop-tôt-bout-de-criss
Avant de catcher que c’était un ami
qui me jouait un sketch
tabarnak
J’aimerais ça moi aussi être l’objet d’un sifflage turgescent
épidermique
que ça me soulève le poil des bras
comme du vent dans un champ d’orge
me faire siffler pour toute ma beauté
toute mon élégance mon arrogance ma dégaine
tout ce que j’ai juste dans mes mots
J’aimerais ça me sentir dégradé comme une marchandise
je veux que mon corps soit une marchandise
une marchandise sifflable
my god que ça doit être rassurant, se faire siffler
tu te sens jamais seul
tu te sens le clou du spectacle
le centre de l’attention
le noyau de toutes choses
tu es délimité par des balises pour te protéger
au nord, à trois mètres, quelqu’un subjugué par ta beauté
au sud, à cinq mètres, quelqu’un subjugué par ta beauté
à l’est, à six mètres virgule 7, quelqu’un subjugué par ta beauté
à l’ouest, à une vingtaine de pieds, quelqu’un subjugué par ta beauté
périmètre réconfortant qui veille à préserver ta grâce
à l’affût de tes chutes potentielles
des possibles voitures qui roulent en furie
vers toi
des truckers qui se prennent pour des bus de la STM
noyau cerclé d’amour, de protection
j’attends le sifflage qui m’apaisera et me protégera
En attendant, j’écris
Si au moins je savais chanter
chanter avec la voix qu’il faut pour toucher les gens
tu ouvres la bouche
pis le miel unique de ta voix s’échappe
englue d’émotion les auditeurs
et le tour est joué
tu es applaudi
tu n’as eu qu’à ouvrir la bouche
et la magie opère
paresseusement et divinement
comme si un ange de ouate
s’était garroché dans tes cordes vocales
(Pourquoi les miennes se sont toutes emmêlées
quand la muance a embarqué, à 12 ans
pis que ma voix de castrat a crissé son camp ?)
À la fin de la journée
tout ce que t’as fait
c’est bouleverser du monde en ouvrant ta bouche
t’as pas le dos cassé
parce que tu t’es tenu voûté devant ton écran de laptop
trop bas pour ta vue, selon ton ostéopathe
la nuque fuckée
parce que quand tu écris
tu penses pas à ton maintien, ta posture
tu penses à ce que ton choix de mots
judicieusement choisis
bien comparés
sous-pesés
fasse l’effet d’une voix de miel unique
tu bûches fort pour pas qu’on t’oublie
en espérant que la force de tes mots fasse siffler du monde
sur ton passage
«Simon, pour l’amour, sois honnête: que c’est-tu veux au juste?»
Je veux chanter «Fields Of Gold»
la version d’Eva Cassidy parce qu’elle est plus smooth
elle me ressemble plus que l’originale de The Police
(j’ai toujours préféré les covers faits avec les moyens du bord)
(je gaspille des moitiés de nuit à regarder des filles super maniérées
faire des cover de tounes cheaps
en se filmant avec leur cell ou leur laptop
pis je suis incapable de les mépriser pour de vrai
je suis juste jaloux de pas avoir leur voix de miel cheap
même pas unique, le miel
du miel cheap
tabarnak
j’ai pas de miel dans la voix
j’ai pas de miel ailleurs non plus
tabarnak
Écrire c’est long avant d’être bouleversant
pis souvent ce l’est même pas finalement
écouter chanter ça demande pas d’effort
la voix est belle, tu frissonnes
that’s it
Anyway
je veux chanter «Fields Of Gold»
pour que ça soit beau à en faire pleurer le public
mais je massacre les paroles ET les notes
mais tout de même, parce qu’il le faut bien
mais tout de même, parce que je le veux bien
You’ll remember me when the West wind moves
Upon the fields of barley
You’ll forget the sun in his jealous sky
As we walk in fields of gold
So she took her love for to gaze awhile
Upon the fields of barley
In his arms she fell as her hair came down
Among the fields of gold…
Ben c’est ça
ça marche pas tout à fait
l’accent, les notes, la voix
ça marche pas trop
donc j’écris
en espérant que ça donne ça
du miel
J’ai pas de miel dans face ni dans voix
ça fait que j’écris
«Simon, pour l’amour, sois honnête: de que c’est que t’as peur?»
Que mon adolescence passée dans le beurre se poursuive.
Y’a pas longtemps je me suis ramassé à Mexico
mon ex-amant dont j’étais encore amoureux fait son doctorat en droit là-bas
mon ex-amant beau à en faire mal
un Polonais pas de mon calibre
que j’ai réussi à charmer à coup de jokes pis d’unicité
Sur Facebook mon Polonais m’a invité à venir le visiter
c’était peut-être une joke
une parole en l’air
mais j’ai dit oui
j’ai acheté mon billet super vite pour être obligé d’y aller
avant que mes parents me rappellent
comment Mexico est une ville dangereuse
pis que je risquais de mourir là-bas
Je pense que j’y suis allé juste pour voir si je lui plaisais encore
je voulais dormir dans le même lit que lui
ouin: je me suis payé un billet d’avion Mexico aller-retour
pour dormir dans le même lit qu’un Polonais trop beau pour moi
Mais bon, y’a dormi au salon
j’ai dormi tu-seul dans son lit
Mon premier soir à Mexico
je me suis retrouvé dans une discothèque ultra classe
je fitais pas parmi les Mexicains chics
avec du gel dins cheveux
se dandinant sur du P!nk et du Ke$ha
de la musique qui me fait rouler des yeux
même si elle me fait taper du pied
et me délie le bassin
même si j’en connais approximativement
toutes les paroles et toutes les variations
(Si j’étais un chanteur pop
j’aurais jamais le guts de mettre un sigle dans mon nom, moi
un signe de piasse ou d’exclamation…
je suis ben trop chicken pour ça
quand à 14 ans j’ai signé une toile Symon
tous mes amis m’ont jugé
mais pas autant que moi)
Je regarde les petits Mexicains plus slims que moi
danser autour de mon Polonais
je suis une vigie pathétique
j’arrête pas de me dire
osti que je danse mieux que vous
petits-Mexicains-à-marde-plus-slims-que-moi
osti que je danse mieux que vous
mais j’ai pas assez de fun pour vous le montrer
je suis trop malheureux pour faire des grands battements
pis des splits
pis des tonneaux
pis des pas de bourrés
pis des entrechats
pis un pont renversé
pis y manque de place surtout
y a trop de monde
y a trop de beau monde
y a trop de beau monde plus beau que moi
Je me vois en train de kicker
(tout en dansant)
tous les petits-Mexicains-à-marde autour de mon Polonais
tout ce qui s’approche trop de ses bras forts
son cou haut
ses grandes mains…
Je bois ma bouteille d’eau en faisant semblant d’être à ma place
d’être dans le bon monde
mais qui c’est qui m’a garroché ici?
Que c’est que je fais dans une discothèque à Mexico
sur une toune interminable de Ke$ha
je parle pas un mot d’espagnol
muchas gracias, that’s it that’s all
je parle pas plus anglais
je le baragouine et je pallie
oui, je pallie
(m’a faire ça toute ma vie)
avec des beaux sourires candides
Je vais sourire trop pour pallier, remédier, suppléer
jusqu’à la fin des temps
de mes temps à moi
Je vais faire des sourires pis faire du playback
pour me faire croire magique et sifflable
Eva Cassidy, please
tu veux-tu m’aider à être magique?
tu veux-tu m’aider à ce qu’on siffle?
je vais faire ta doublure sur ta voix
je peux être super tight labialement parlant
je suis le roi du lipsing
Go, chante à ma place
Will you stay with me, will you be my love
Among the fields of barley
We’ll forget the sun in his jealous sky
As we lie in fields of gold
I never made promises lightly
And there have been some that I’ve broken
But I swear in the days still left
We’ll walk in fields of gold
We’ll walk in fields of gold
Ceux qui sont capables de siffler, c’est le temps
je suis toutes oreilles
(écrit et lu pour le Jamais Lu Québec, édition sur les Imperfections)
Pour lire un autre texte de Simon Boulerice: «Chante, ta voix est pas si pire».
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