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Le « Road House » des milléniaux est beaucoup plus qu’un banal exercice nostalgique
J’avais neuf ans, la première fois que j’ai visionné le film Road House. Ça passait inopinément, un dimanche soir d’été à TQS. Le titre avait été traduit pour Bar Routier. Un peu abstrait comme traduction, mais il n’y a pas vraiment d’équivalent francophone pour ces établissements mal famés qui jonchent les bords d’autoroute chez nos voisins du Sud.
À l’époque, ça brassait plus qu’aujourd’hui dans les cours d’école (remarquez qu’on n’avait pas de cyberintimidation) et à cause de ça, j’ai longtemps idolâtré les hommes forts et confiants comme le héros du film Dalton (joué par le regretté Patrick Swayze), capables d’imposer le respect d’un seul regard.
C’est en partie à cause de lui que je me suis mis aux arts martiaux. Je voulais me sentir en sécurité dans mon propre corps. Ah! Et j’ai aussi exercé brièvement, comme Dalton, la profession de videur.
Trente ans, un millier d’ecchymoses et quelques os cassés plus tard, j’ai sourcillé lorsque j’ai vu l’annonce d’un nouveau Road House mettant en vedette Jake Gyllenhaal et le combattant en arts martiaux mixtes Conor McGregor. Était-ce nécessaire? Notre monde n’a-t-il pas évolué au-delà de l’imaginaire folklorique de Road House?
La réponse à ces deux questions est respectivement non et non, mais dans l’esprit du film original, c’est ce qui rend ce nouveau Road House parfait. C’est à la fois pas nécessaire du tout et extrêmement pertinent. Une fantaisie masculine excessive et colorée doublée d’une déconstruction du mythe de la violence « morale » qui vient donner une nouvelle perspective à l’œuvre originale. Bref, c’est excellent!
Dalton et le mythe de la violence « morale »
Avant toute chose, précisons que non, ce nouveau Road House n’est pas du tout un remake de l’original. C’est plutôt ce qu’on appelle, dans le jargon hollywoodien, un soft reboot : l’histoire suit en majeure partie celle du film original, mais les personnages et les circonstances sont différents. Dans le cas qui nous intéresse, l’action se déplace de l’Arkansas aux keys floridiens et Dalton (joué par Jake Gyllenhaal) est un ex-combattant du UFC, et non un diplômé de NYU en philosophie!
Pour le reste, l’histoire est plus ou moins la même. Ben Brandt (Billy Magnussen) est un développeur urbain interlope qui souhaite accroître son influence sur une petite ville et le dive bar du coin et son videur légendaire demeurent, tel le village gaulois d’Astérix, la dernière enclave libre du village fictif de Glass Key. Y a pas à dire, c’est très américain, tout ça. C’est quelque chose qu’on doit accepter si on veut avoir du plaisir en visionnant Road House.
Contrairement à l’original, cette nouvelle mouture offre une réflexion inconfortable sur la violence qui donne un deuxième sens au tsunami d’hémoglobine à l’écran.
Alors que le Dalton de Patrick Swayze exerce sa violence avec une éthique irréprochable et la conviction qu’on peut régler ses problèmes à coups de poing, celui de Jake Gyllenhaal affirme d’entrée de jeu qu’il n’y a jamais de gagnant à un combat. Qu’il s’agit de l’escalade naturelle d’un conflit qui ne mène qu’à la destruction d’un des deux belligérants. Ça jure un peu avec son sang-froid naturel et ses one liners bien sentis, mais ça fait du sens.
Parce que lorsqu’on parle de violence, la question à laquelle on doit répondre, c’est : est-ce que c’est payant de casser la gueule à quelqu’un ou, même, de tuer son prochain? Sans rien vous divulgâcher, Road House offre une réflexion des plus intéressantes à ce sujet. Le film nous dévoile à la fois toute la solidité qu’amène cette capacité de faire respecter son intégrité physique, mais aussi tous les changements drastiques et brutaux que la violence impose à plusieurs vies.
Oui, mais Conor McGregor, lui?
J’y arrive, j’y arrive.
McGregor est excellent dans ce film… dans le rôle de Conor McGregor sur le crack. Il a un plus petit rôle que la bande-annonce ne le laissait croire, mais son existence même est déconnectée de la réalité à un point tel où ça devient juste agréable de le voir semer le chaos partout où il passe. Il apporte une qualité Grand Theft Auto au film qui l’aide à se distancier de l’original.
Est-ce que c’est pas un peu une apologie de la masculinité toxique, tout ça? Pas mal, ouais.
C’est clair, aussi, que le film s’adresse aux hommes. Le héros est un homme. Les méchants sont des hommes. Les personnages féminins sont assez accessoires, mais agréablement self-aware et indépendants des hommes. Si les personnages LGBTQIA+ brillent par leur absence, il faut quand même admettre qu’il y a juste les hommes cishétéros qui trouvent ça cool, aller se battre dans le même bar chaque soir. Je vis quand même bien avec ça.
J’peux pas parler pour tout le monde, mais j’suis content qu’il existe des exutoires comme ça, pour vivre ce genre de chaos par procuration. C’est quelque chose qui m’habite à un niveau nanocellulaire et un film qui exploite cette violence sans décerner à son protagoniste une femme, une maison et quarante acres comme on le faisait dans le Far West. Parce que la violence est là pour rester, mais que nous, on a évolué.
Parce qu’on comprend les conséquences de nos actes. Du moins, j’ose l’espérer.