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Le révisionnisme rassembleur de la série « IXE-13 et la course à l’uranium »
Après environ dix secondes de visionnement de IXE-13 et la course à l’uranium, j’ai éclaté d’un rire bon enfant et je me suis mis à applaudir. J’étais déjà conquis.
On y voit un Marc-André Grondin fraîchement rasé en costume trois-pièces, qui s’assoit derrière une batterie et qui se lance dans un solo d’improvisation à saveur jazz fusion tout en fumant des clopes. En voix off, le monologue d’un ex-soldat devenu tenancier de bar tout droit sorti d’un film noir des années d’après-guerre. Parle-moi de ça, une série qui assume son ton complètement mythofolklorique.
Je ne m’attendais pas à moins de la plume de Gilles Desjardins, qui a également signé l’inoubliable Les pays d’en haut, une série qui a fait la pluie et le beau temps sur les ondes de la télé québécoise pendant 5 ans. À l’époque, mon collègue Jean-Michel avait comparé Les pays d’en haut à l’iconique série américaine Deadwood et j’ai le plaisir de vous annoncer aujourd’hui que IXE-13 et la course à l’uranium est en voie de devenir notre L.A. Confidential.
Cette nouvelle perle de Gilles Desjardins a pris l’affiche hier sur le Club illico et accrochez-vous, parce que ça se regarde de manière compulsive.
L’héritage de James Ellroy (réinterprété)
Très vaguement inspiré du film de Jacques Godbout du même nom, IXE-13 et la course à l’uranium (ça se prononce X-13) raconte l’histoire d’un commando de guerre mené par le courageux Jean Thibault (Marc-André Grondin) dont les membres essaient de réintégrer la société après la Deuxième Guerre mondiale. Maintenant propriétaire d’un club dans le redlight de Montréal, Thibault essaie activement de réhabiliter ses troupes jusqu’à ce que la sécurité du pays soit menacée.
Bon. On ne se mentira pas, l’histoire de IXE-13 et la course à l’uranium n’est aucunement réaliste. On m’a par contre affirmé que le redlight d’après-guerre est fidèle à la réalité historique.
On baigne dans l’univers de paranoïa d’après-guerre tel que popularisé par le romancier américain James Ellroy.
L’influence de ce dernier est complètement assumée, tout en y étant réinterprétée. Si le bonhomme Ellroy illustre le racisme de l’époque avec un enthousiasme un peu suspect, IXE-13 et la course à l’uranium ne joue pas à ce jeu-là du tout. Le ton est peut-être fortement influencé, mais ça demeure du Gilles Desjardins. C’est une série qui cherche avant tout à challenger les stéréotypes sur le plan narratif.
C’est une fine ligne qu’emprunte le scénariste-vedette, parce qu’IXE-13 et la course à l’uranium célèbre parfois les côtés prévisibles de l’emploi de stéréotypes (comme l’espionne qui lance des couteaux) tout en décidant parfois de les subvertir (par exemple, le respect pour la transidentité que démontrent les membres d’IXE-13 envers leur compagnonne de guerre Loulou). Mais ça fonctionne! Gilles Desjardins nous tient constamment sur nos gardes et chaque fois qu’on croit avoir saisi un personnage, on a droit à une nuance ou un travers qu’on n’avait pas anticipé.
La seule constante dans le chaos d’après-guerre de Gilles Desjardins, c’est la loyauté des membres du commando IXE-13 envers les leurs. Oubliez ce que vous pensez croire à propos de l’univers du film noir ou même à propos du Québec d’après-guerre. IXE-13 et la course à l’uranium est un produit hybride, à mi-chemin entre le drame d’époque et le thriller de genre avec un angle original et, surtout, bien de chez nous.
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Tisser des liens avec le passé
En regardant IXE-13 et la course à l’uranium, certains auront peut-être le réflexe Mathieu Bock-Côtiste de penser qu’il s’agit d’une distorsion du passé et que les éléments plus progressistes mis de l’avant n’ont pour but que de plaire à un public plus jeune assoiffé de changements sociaux.
Permettez-moi cependant d’exprimer mon désaccord avant même que cette pensée ne vous effleure l’esprit.
Les années d’après-guerre ne se sont probablement pas déroulées comme dans IXE-13 et la course à l’uranium, mais honnêtement, on s’en fout. Principalement pour deux raisons : 1) c’était probablement pas si le fun que ça, l’après-guerre et 2) c’est important de parler du passé en termes qui rejoignent ceux et celles qui ne l’ont pas vécu. C’est comme ça qu’on arrive à faire le pont entre les générations. C’est comme ça aussi qu’on arrête de se chicaner à propos des changements sociaux.
Regarder un personnage comme Jean Thibault (qui aurait l’âge d’être le grand-père ou l’arrière-grand-père de la majorité des téléspectateurs) gérer des problèmes propres à son époque (mettons, empêcher Joseph Staline de voler de l’uranium enrichi au Canada) et des problèmes qu’on a encore aujourd’hui (des lois transphobes, des estifis de nazis), ça donne de la perspective sur le fossé qui sépare les générations. Après tout, on n’est pas si différents que ça les uns des autres. On réagit tous avec plus de nuances qu’on le croirait lorsqu’on a affaire à des humains, et non à des idées.
Ça donne bizarrement le goût de parler et surtout d’essayer de comprendre votre oncle déconnecté qui fait chier à chaque souper de Noël pour voir le bon en lui.
Bon, je dis ça et je suis très conscient que c’est pas une série d’espionnage hautement romancée qui arrivera à recoudre le tissu social, mais je vous conseille de regarder IXE-13 et la course à l’uranium, même si vous vous sacrez de tout ça. Parce que c’est du bonbon et que l’imaginaire de Gilles Desjardins n’a rien à envier à celui de nos voisins du Sud. Parce que Marc-André Grondin, Vincent Leclerc, Julie Le Breton et tous les autres y brillent.
On va en parler longtemps, de cette série.