Logo

Le rêve brisé des conspirationnistes ou pas

Le grand ménage contre les pédo-satanistes a été remis. Encore.

Par
Hugo Meunier
Publicité

Tic tac tic tac tic tac tic tac puis…puis….rien.

C’est le constat auquel ont dû se résoudre plusieurs adeptes du mouvement QAnon et théoriciens du complot en réalisant qu’il ne s’est absolument rien passé lors de l’investiture de Joe Biden, devenu mercredi le 46e président des États-Unis.

Plutôt que d’entendre Lady Gaga chanter l’hymne national, plusieurs conspirationnistes s’attendaient à voir la mise en oeuvre DU plan, du grand éveil, du grand reset, du ménage, the storm (la prophétie a plusieurs noms), bref de ce moment tant attendu où le deep state allait enfin être mis à nu, dévoilé au grand jour.

À la tête de cette révolution, le chevalier Trump – héros de l’anti-establishment – qui allait reprendre le pouvoir qu’on lui avait volé lors des élections truquées, non sans d’abord orchestrer une mise en scène digne d’Hollywood au cours de laquelle les milliers de soldats postés (à sa demande) autour du Capitole allaient se retourner contre l’infâme Joe Biden et ses sbires pédosatanistes.

Publicité

Les armées de Trump, aidées du FBI et de la CIA, devaient ensuite faire tomber un à un tous les complices de Biden, incluant Obama, Hillary Clinton, Justin Trudeau, François Legault, Horacio Arruda sans oublier Bill Gates, les damnés « merdias » à la solde des puissants et tutti quanti, avant de jeter tout ce beau monde en prison à Guantanamo.

Ah oui, on allait aussi révéler tout haut ce que tous les conspirationnistes savaient déjà tout bas : le pape est un hologramme et plusieurs chefs d’État avaient déjà été arrêtés puis remplacés par des sosies en attendant le jour J.

Le jour J est finalement arrivé et les bruits de criquets ont remplacé ceux de la révolution.

Le jour J est finalement arrivé et les bruits de criquets ont remplacé ceux de la révolution.

Mais ce n’est que partie remise, clament déjà les plus radicaux supporters de ces thèses. Une nouvelle date, le 4 mars, a même été murmurée.

L’histoire se répète. Encore.

Publicité

Même la veille de l’investiture, les ténors de la complosphère, Alexis Cossette-Trudel en tête, tentaient de se faire rassurants sur les réseaux sociaux où ils peuvent encore sévir, après avoir été (selon eux) muselés par le gouvernement sur diverses plates-formes traditionnelles. « Je sais que c’est stressant et que plusieurs ont peur d’être déçus », soulignait Cossette-Trudel, ajoutant que c’était maintenant au tour des militaires américains de faire la job.

Sur les réseaux sociaux, plusieurs internautes tentaient aussi de s’encourager quelques heures avant l’assermentation de Biden. Pas de stress gang, tout fonctionne selon le plan et rien n’a été laissé au hasard.

Publicité

Même pendant l’investiture, des sympathisants multipliaient les live pour faire des appels au calme. « Non ce n’est pas mort, ne désespérez pas, c’est juste qu’on veut vous faire peur », soulignait cet internaute français suivi par des milliers de personnes.

Chez nous, un Guillaume commentait à chaud de son salon le sacre de Joe Biden en écoutant en direct les analyses de Ken Pereira et un autre monsieur. « C’est comme un combat de boxe, Trump a gardé toutes ses cartes dans son jeu et aujourd’hui c’est le douzième round…», illustrait Guillaume en retenant son souffle.

Publicité

Solution: changer de discours

Presque vingt-quatre heures plus tard, le couvre-feu est toujours en vigueur et Emmanuel Auger est encore le nouveau PM à Big Brother célébrités.

Dans ce contexte, on a voulu se pencher sur cette notion (ou pas) de rêve brisé chez les adeptes de ces théories, nombreux ici et ailleurs.

Doit-on s’attendre à une dépression collective de leur part? Un sentiment de trahison généralisé?

«Plusieurs seront capables d’adapter leur discours, même quand ça a l’air farfelu. Ça ne va pas décourager les plus grands adeptes, ils vont trouver autre chose, une autre date»

Que nenni tranche d’emblée Marie-Ève Carignan, professeure au Département des communications de l’Université de Sherbrooke et directrice d’une Chaire de l’UNESCO spécialisée en prévention de la radicalisation. « Plusieurs seront capables d’adapter leur discours, même quand ça a l’air farfelu. Ça ne va pas décourager les plus grands adeptes, ils vont trouver autre chose, une autre date », croit Mme Carignan, ajoutant que Donald Trump lui-même nourrit grassement cette idée que quelque chose s’en vient, que rien n’est encore joué. « On risque de voir de tout comme réactions; des gens qui cherchent déjà des alternatives et d’autres qui vivent de grandes détresses psychologiques », nuance la spécialiste, qui travaille d’ailleurs présentement sur une recherche se penchant sur l’état psychologique des gens qui adhèrent aux thèses complotistes.

La professeure Marie-Ève Carignan

Publicité

Évidemment, la pandémie fait partie de l’équation. « On voit des liens entre ceux qui croient à des théories et vivent une grande anxiété, un stress financier, etc. Des gens ne trouvent pas leurs réponses dans les médias traditionnels et se tournent alors vers les médias complotistes », explique Marie-Ève Carignan, précisant que les théories de QAnon existaient avant l’invention du mot « coronavirus ». « C’était plus marginal, mais le discours s’est radicalisé depuis en intégrant celui des libertariens, des anti-masques et de big pharma », résume-t-elle.

De son côté, la présidente de l’Ordre des psychologues du Québec ne croit pas non plus que les théoriciens du complot se livreront à un examen de conscience. Au contraire. « Tout ce qui se passe, même ce qui n’est pas prévu, fait selon eux partie de la stratégie. Ils vont plutôt remodeler leur interprétation en fonction de ce qui se passe », résume Christine Grou.

En gros, ce nouvel échec n’est qu’une nouvelle pelure de banane dans leur longue marche vers la liberté.

Publicité

La preuve, plusieurs internautes commençaient déjà à se retrousser les manches à peine l’investiture terminée. La bataille n’est pas finie. Pire, elle ne fait que commencer.

«On demande énormément d’adaptations aux gens et ça dure longtemps. La santé mentale va moins bien, plusieurs se sentent brimés et ceux qui se radicalisent le plus vivent un sentiment d’injustice»

Publicité

Certaines personnes vont néanmoins vivre une déception, note Christine Grou. « Il y a des gens qui doutent davantage dans le lot. On peut avoir des convictions avec des forces différentes », souligne la présidente de l’Ordre des psychologues, mentionnant qu’une pandémie constitue en soi une sorte de marathon épuisant sur le plan psychique. « On demande énormément d’adaptations aux gens et ça dure longtemps. La santé mentale va moins bien, plusieurs se sentent brimés et ceux qui se radicalisent le plus vivent un sentiment d’injustice », constate Mme Grou.

La désillusion variable

Si les plus radicaux s’accrochaient encore au rêve du grand reset, d’autres semblaient déchanter un peu hier en voyant qu’il ne se passait finalement rien.

Publicité

« Biden et Harris maintenant aux commandes des US. On a l’air fou en esti », déclarait une Sylvie sur la page VK d’Alexis Cossette-Trudel. « Où sont les menottes?» demandait un autre internaute, en se demandant s’il s’était fait avoir.

Un doute aussi exprimé avec transparence par Luc Desjardins, qui a avoué sur sa page Facebook ressentir un malaise à l’idée que le plan fasse patate.

Farouchement opposé aux mesures sanitaires du gouvernement, il a accepté de me parler de son état d’esprit, précisant d’emblée qu’il n’avait pas accroché à 100% aux théories pédosatanistes en circulation. « Je ne m’attendais à rien de ça. Je trouve ça dommage qu’on mette autant d’emphase sur les États-Unis, avec tous les problèmes qu’on a ici au Québec », explique M. Desjardins, montrant du doigt les incohérences dans les propos tenus par nos dirigeants lors des points de presse. « Je ne dis pas qu’il y a un plan pédosataniste, mais je dis qu’il y a quelque chose qui ne marche pas », résume-t-il. Sans jeter les théories du deep state à la poubelle, M. Desjardins avait pour sa part un peu décroché, lui qui se dit d’ailleurs athée.

Publicité

Il refuse cependant de condamner ces gens qui partagent des idées à contre-courant, se disant contre un narratif unique. « Ils peuvent aussi mettre leurs énergies sur des causes du Québec, pour nos itinérants, notre jeunesse qui se drogue. On a tellement de dossiers. Tout l’argent du gouvernement mis sur la pub COVID aurait pu aller dans les logements sociaux », suggère Luc Desjardins, qui relativise le nombre de décès survenus cette année (« pas vraiment plus que les années passées ») et remet en doute le débordement dans les hôpitaux (« montrez-nous-les, les urgences qui débordent» ).

Il invite les gens à ne pas s’en faire avec l’échec du présumé grand plan et à regarder en avant. « Ce n’est qu’un rêve. On continue et on avance », résume M. Desjardins, qui a enregistré notre conversation.

Aux premières loges de l’échec

«Je vois déjà des messages de déception rentrer, mais la date est sans cesse reportée et ça risque de l’être encore»

Publicité

Aux premières loges pour témoigner de l’échec du grand ménage contre les pédosatanistes, l’administrateur de la page Facebook Les illuminés du Québec se demandait mercredi s’il allait assister à une autre sorte d’éveil. « Je vois déjà des messages de déception rentrer, mais la date est sans cesse reportée et ça risque de l’être encore », explique André, dont la populaire page expose quotidiennement les élucubrations des conspirateurs les plus paranoïaques.

Publicité

André souligne toutefois que les adeptes de QAnon demeurent marginaux dans les rangs complotistes et que la plupart font plutôt front commun contre les mesures sanitaires ou big pharma. « Ils ne sont pas nombreux, mais ils sont vraiment intenses », nuance André, qui ne pense pas que l’investiture de Biden va refroidir leurs ardeurs. « Je pense que si tu crois à ces histoires-là, tu seras capable d’embarquer dans la prochaine théorie, te faire croire que le plan a changé, etc. », soupire André, qui s’explique bien mal cette fixation locale pour Trump et la politique américaine.

«Ils vont continuer à croire que quelque chose s’en vient, que tout ça n’est qu’un écran de fumée»

Publicité

Le journaliste à La Presse Tristan Péloquin croit aussi que les plus farouches conspirationnistes vont faire un pas de recul pour se faire une tête, avant de se rabattre sur une autre nouvelle thèse, une nouvelle prophétie. « Ils croyaient jusqu’à la dernière minute que la cavalerie allait débarquer et sauver le monde. Ils vont continuer à croire que quelque chose s’en vient, que tout ça n’est qu’un écran de fumée », explique Tristan, qui couvre étroitement la complosphère depuis plusieurs mois, soulagé de n’avoir pas été arrêté « comme prévu ».

Publicité

Même si chaque propos de Trump demeure parole d’évangile aux yeux des adeptes de QAnon – à l’image des aphorismes de Nostradamus – Tristan observe de plus en plus de voix s’élever pour critiquer ces théories, au sein même des rangs complotistes. « La façade se fissure tranquillement », résume-t-il.

En attendant le prochain grand ménage prévu en mars prochain, espérons simplement que ces gens trouvent du réconfort ailleurs que dans le démantèlement imaginaire d’un réseau pédosatanisme qui kidnappe et exploite des enfants dans des sous-sols de pizzerias.