.jpg)
« Awaye dans la caverne d’Ali Baba! », s’exclame Linda Blouin aka la fée marraine en m’entrainant avec de nouvelles robes sous le bras dans le sous-sol de la friperie Renaissance du quartier Montréal-Nord.
.jpg)
C’est dans un vaste entrepôt que sont rangées les centaines de robes destinées aux finissantes qui n’ont pas les moyens de s’en procurer une pour leur bal de fin d’année. « On en a au-dessus de 2000 maintenant à cause de la pandémie! », rectifie Linda Blouin, une enseignante à la retraite qui se consacre maintenant à plein temps à sa noble cause.
Sa mission : tout mettre en œuvre pour permettre aux finissantes les plus défavorisées de vivre cette soirée initiatique marquant la fin du secondaire.
.jpg)
Inutile de vous dire qu’elle et son équipe de bénévoles ne chôment pas. Voir Linda Blouin papillonner dans les rayons de l’entrepôt pour me montrer les robes griffées en inventaire est aussi étourdissant qu’admirable. « Ça, c’est une Hervé Léger qui vaut 1200 $; ici, on a une Jovani à 850 $ et j’ai une Christian Dior quelque part », énumère l’enthousiaste « retraitée » de 56 ans pour me faire comprendre la qualité des dons reçus. En effet, les robes entreposées ont été offertes par des particuliers ou des boutiques haut de gamme généreuses (par exemple, la boutique Espace Blanc de Blancs).
Comme je m’habille chez l’Aubainerie, je suis mal placé pour évaluer la qualité des vêtements, mais disons que l’entrepôt regorge de robes pour tous les styles; les sobres, les moulantes classiques comme les clinquantes ou scintillantes avec du bling et des paillettes.
« On offre aussi aux finissantes les souliers, les sacs à main, des bijoux, une trousse de maquillage (gracieuseté de L’Oréal) et même 450 cartes-cadeaux de La vie en rose pour se procurer des sous-vêtements de circonstance », énumère cette verbomotrice.
.jpg)
Avant de m’étendre sur les évènements à venir et le travail accompli par cette petite armée bienveillante (250 bénévoles) déterminée à graver des souvenirs dans la mémoire des finissantes, un petit saut dans le passé s’impose.
L’histoire (ou le conte de fées) débute en 2014. Linda Blouin, alors enseignante d’anglais en secondaire cinq à la polyvalente Antoine-de-Saint-Exupéry, décide de faire sa part pour contrer les inégalités sociales, courantes dans le milieu scolaire. « Je m’occupais du bal depuis 25 ans et je n’aimais pas savoir que des gens ne se présentaient pas parce qu’ils n’avaient pas les moyens! », explique Linda, qui commence son action modestement en cherchant des robes dans son entourage.
C’est finalement une ancienne élève, Geneviève Peel, qui part le bal (ho-ho) en lui apportant la sienne. « Elle a semé une petite graine dans mon cœur. À partir de ce moment, on a commencé à travailler ensemble et à penser plus haut », raconte l’ex-enseignante, qui ne tarit pas d’éloges pour son élève partie étudier en médecine.
.jpg)
Leur mission attire alors l’attention de la journaliste de La Presse Louise Leduc, celle qui affuble Linda de son surnom.
« La fée-marraine de Saint-Léonard », coiffait l’article, qui a aussitôt encouragé des gens de partout au Québec – incluant le milieu des affaires – à faire don de leur robe.
Le nom a fait école et l’organisme des Fées Marraines est né de cette visibilité inattendue. « Avant, on s’appelait “le garde-robe des finissantes” », grimace Linda, qui préfère nettement le nouveau brand.
Depuis, le projet n’a cessé de croître avec les années. « De 2014 à la pandémie, on a doublé le nombre de robes chaque année. En 2019, on en a donné 400 filles », souligne Linda, qui vise à en donner autant cette année parmi 144 écoles et 19 commissions scolaires.
.jpg)
Pour participer, les filles doivent s’inscrire sur le site de l’organisme et soumettre une personne en référence (un parent, un prof).
Les deux seuls critères d’admissibilité : éprouver des difficultés financières et être finissante, ajoute Linda Blouin, qui ne pousse pas l’enquête trop loin. « Nos filles viennent souvent de la DPJ, grandissent dans des familles monoparentales ou subissent les aléas de la vie. Quand tu passes cinq ans dans une école, tu sais qui vit de la précarité », souligne Linda Blouin.
Trois journées-boutiques
Pour écouler les robes, l’organisme tiendra à la mi-mai trois « journées-boutiques » à l’école des métiers des Faubourg-de-Montréal (CSDM), qui prête ses infrastructures depuis des années.
« Leur accueil est incroyable, on nous déroule le tapis rouge », louange Linda au sujet de l’imposante installation répartie dans trois gymnases.
L’idée est d’offrir une expérience aux finissantes, à des années-lumière d’un vestiaire de vêtements aménagé dans un sous-sol d’église . « On veut que ça soit glam! On aura une quarantaine de jeunes étudiants et étudiantes en coiffure qui seront sur place pour donner des idées, des cours de maquillage, en plus des photographes pour immortaliser des souvenirs », énumère Linda Blouin, fébrile.
.jpg)
Les journées-boutiques gratuites se dérouleront les 14 et 15 mai, mais la veille – le 13 – l’organisme tiendra une édition payante dans l’espoir de financer ses activités et d’écouler les robes accumulées en surplus durant la pandémie.
« On n’a pas le choix puisque certaines robes ont une sorte de date d’expiration. On aura un DJ, un tapis rose et même un petit show de la rappeuse Marie-Gold », annonce la fée marraine, qui assure que 100 % des profits iront à son organisme.
« On doit payer du matériel, de la bouffe pour les bénévoles et des bourses d’études. On vise 40 000 $ cette année », souhaite Linda Blouin, qui s’estime chanceuse de compter sur des partenaires généreux comme la CSDM et la succursale Renaissance du boulevard Henri-Bourassa, qui accepte d’entreposer gratuitement ses robes depuis six ans.
.jpg)
Mme Blouin s’enorgueillit aussi du succès de la toute première édition de la journée-boutique consacrée aux gars, qui s’est déroulée le 30 avril dernier entre les murs de la compagnie Soul of London, à Anjou.
« On a reçu des costumes de ce magasin et des chaussures de chez Aldo. Soixante-cinq jeunes sont venus », indique-t-elle en me montrant un élégant finissant dans un magnifique costume rose sur son cellulaire. « C’est un petit gars de la DPJ victime d’abandon parental qui m’a appelé quatre fois en route pour me dire de l’attendre. Il est parti fier comme un prince. »
Donner à la suivante avec style
Si plusieurs fées marraines gravitent autour de Linda Blouin, tant des particuliers que des gens du milieu des affaires, des personnalités publiques fouillent aussi dans leur garde-robe pour faire une différence dans la vie de ces jeunes.
Les finissantes pourront ainsi profiter de la générosité de plusieurs artistes, telles que Julie Bélanger, Marie-Ève Janvier, Marie-Christine Proulx, Ima, Sarah-Jeanne Labrosse, Camille Felton et Léane Labrèche-Dor.
.png)
En entrevue, cette dernière dit ne pas avoir hésité deux secondes à « donner à la suivante avec style », en plus d’avoir été charmée par cette idée. « On achète souvent des trucs qu’on porte une fois ou deux; je suis vraiment contente d’avoir une occasion de donner des affaires », souligne Léane, dont le style est moins « robe de bal » que « veston/pantalon ».
La comédienne (son prochain film Lignes de fuite prendra bientôt l’affiche) n’a pas pris part à son propre bal des finissants. Elle sait néanmoins à quel point il s’agit d’un moment chargé symboliquement. « On est très conditionnés par nos films d’ados. Je sais que c’est un big thing. C’est un passage exceptionnel marquant la fin de quelque chose. Une soirée où on se permet de vouloir se trouver beau et luxuriant, ce qui n’est pas dans notre mentalité », estime l’actrice, pointant nos vieux relents judéo-chrétiens.
.jpg)
Elle est consciente aussi que le rite peut s’avérer dispendieux pour plusieurs. « Je connais beaucoup de gens qui n’avaient pas d’argent dans le temps et qui avaient emprunté du linge à leurs parents », souligne Léane, qui fait don aux Fées Marraines de quelques kits et plusieurs paires de souliers. « Ça m’émeut beaucoup de savoir que ça va servir à d’autres. »
« J’ai eu une très belle robe, avec mes couleurs préférées »
Finalement, tous ces gestes et efforts visent à imprimer de façon indélébile des moments magiques dans la tête des finissantes.
Des moments que chérit toujours Mariandré Arrivillaga, qui a eu droit à une robe de sa prof/fée marraine Linda Blouin il y a quelques années. « J’avais 17 ans, ma maman ne travaillait pas, ma petite soeur venait d’arriver au pays et je voulais absolument aller au bal », raconte la jeune femme, devenue mère depuis d’une fillette de neuf mois, qu’on entend gazouiller au bout du fil. « Je n’osais alors pas demander à mes parents une belle robe avec des souliers. Si je l’avais fait, ils auraient tout fait pour m’en trouver une, mais je ne voulais pas les obliger. »
.jpg)
Grâce aux Fées Marraines, Mariandré a mis la main sur la robe de ses rêves avec souliers, bijoux, sac à main et maquillage, sans débourser un sou. « Je l’ai encore! », lance-t-elle, soulignant avoir ressenti au départ une certaine gêne à l’idée de recevoir une robe alors que ses amies écumaient les boutiques avec leurs parents. « J’ai tellement vécu une belle expérience dans la journée-boutique que j’ai vite oublié le contexte », résume la jeune maman, qui gonfle aujourd’hui les rangs des bénévoles des Fées Marraines.
Et pour une fois, un conte de fées se termine bien dans la vraie vie.