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Le REM et l’importance d’un début réussi

Une virée à Brossard entre deux pannes majeures.

Par
Julien Lamoureux
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Une dame et sa petite-fille regardent par la fenêtre de la rame qui file à grande allure entre les voies nord et sud du pont Champlain. « Regarde, on va plus vite que les autos! », fait remarquer la première.

C’est vrai : même s’il n’y a pas de trafic sur le pont, le train automatisé du Réseau express métropolitain (REM) double les voitures – celles qui respectent la limite de vitesse de 80 km/h, du moins.

En sortant à la station Panama, l’aînée ajoute : « Quand tu vas être grande, tu pourras l’utiliser régulièrement. Comme moi avec le métro! »

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Cette anecdote justifie l’utilisation ad nauseam du superlatif « historique » pour qualifier la mise en service du REM. Depuis 1966, c’est la première fois qu’on inaugure en ville un nouveau réseau de transport lourd.

Ce qui ne veut pas dire que cette première journée s’est passée sans anicroche.

***

Lorsque j’allume la radio en ce lundi matin, je m’attends à ce qu’on parle du REM. Les premiers mots de l’animateur me prennent quand même de court : une rame est bloquée à l’extrémité sud de Champlain. Le réseau connaît une première interruption majeure.

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Est-ce que ça va faire en sorte que les gens perdent leur foi si tôt? « Ça fait partie d’opérer un nouveau réseau de transport collectif », m’informe Sarah V. Doyon, directrice générale de Trajectoire Québec – une organisation qui fait la « promotion des droits des usagers et usagères » de transport collectif – à qui j’ai donné rendez-vous à la Gare centrale afin de m’accompagner pendant ma première ride.

Sarah V. Doyon
Sarah V. Doyon
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« Mais 3h après l’ouverture officielle, c’est un peu tôt pour un événement de cette ampleur. Une panne d’une heure qui demande de transférer des gens vers l’autobus, on voulait l’éviter après la bonne presse du weekend. »

C’est vrai que les portes ouvertes du week-end, au cours desquelles des files de gens heureux et lumineux ont fait les manchettes, auguraient bien.

« Une panne comme ça, ça peut rester dans l’imaginaire des personnes. Espérons que ce ne soit pas le cas. » – Sarah V. Doyon

Pendant que nous nous éloignons de la place Bonaventure et que nous passons au-dessus des gares de triage et autres stationnements qui séparent le centre-ville de L’Île-des-Sœurs, Sarah V. Doyon se montre confiante et me dit qu’elle croit que le REM va être « transformateur » pour la région de Montréal, surtout lorsque les autres lignes seront complétées.

Bye bye, Montréal
Bye bye, Montréal
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Les cartes et légendes montrent déjà le quai à utiliser pour se rendre à Deux-Montagnes, à Sainte-Anne-de-Bellevue et à l’aéroport Pierre-Elliot-Trudeau, même si ces tronçons ne seront pas complétés avant la fin de 2024 au plus tôt.

Qui sait, le REM pourrait même permettre « d’attirer des gens de la ville vers Brossard et de, peut-être, unifier un peu plus la région métropolitaine ». Ça tombe bien, explorer les grandeurs au-delà du pont Champlain est mon objectif du jour.

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Un quartier flambette

Comparativement aux foules du week-end, les wagons sont très peu remplis en ce premier lundi. Celles et ceux qui sont là sont venus découvrir l’engin et s’amassent en tête de train pour avoir la meilleure vue. Plusieurs saluent les occupant.e.s des rames qu’on croise. L’ambiance est bon enfant.

Un couple me confirme qu’ils font juste l’aller-retour entre Panama et Gare centrale pour le plaisir. « C’était trop plein en fin de semaine. J’ai entendu dire qu’il y avait des heures d’attente. »

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À la station Brossard, le terminus, un autre duo me dit être venu de Shefford, à près d’une heure de route, juste pour voir la nouvelle infrastructure. « Ça va être pratique pour venir à Montréal. J’ai surtout hâte [que le REM] se rende à l’aéroport parce que ma fille y va souvent. »

J’espérais ressentir le même sentiment qu’un homme qui pose le pied sur la Lune. Mais à part un stationnement incitatif, il n’y a pas grand-chose à voir ici. Je rebrousse donc chemin jusqu’à la station Du Quartier, à un kilomètre au nord.

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Mes pas me mènent d’abord vers le Solar Uniquartier, « le premier projet de développement axé sur le transport collectif […] sur la Rive-Sud de Montréal ». Intrigué par le mot « uniquartier » qui me semble l’ultime buzz word, je découvre un complexe mêlant de grands bâtiments à condos, un parc, des commerces, avec un accès direct à la station du REM, le tout bordé par l’autoroute 10 et les gros boulevards caractéristiques de cette banlieue qu’est Brossard.

Je décide de m’arrêter manger un ramen dans un izakaya. À côté de moi, deux amis discutent du bruit que fait le REM; c’est vrai que c’est loin d’être un murmure. La serveuse espère que l’ouverture du réseau va aider à faire connaître le quartier. « À la longue, ça peut aider, en tout cas, on le souhaite », me partage-t-elle, ajoutant qu’elle vient de Saint-Jean-sur-Richelieu et que, là-bas, personne ne sait ce qu’est le Solar Uniquartier. Fiou, je ne suis pas le seul.

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Plus tôt, Sarah V. Doyon me disait espérer que le REM ait sur Brossard un effet similaire à celui qu’a eu le prolongement de la ligne orange sur Laval. « Une fois qu’on amène les infrastructures [de transport], ça crée du développement résidentiel et de la densification. » Le secteur de condos neufs où je me trouve n’a pas vraiment d’âme ou de personnalité propre, mais au moins, il permettra aux gens d’avoir accès à des services à distance de marche, sans compter qu’on pourra se rendre aisément à Montréal sans voiture pendant presque 20 heures sur 24, tous les jours.

Tourisme montérégien

Après avoir dîné, je traverse de l’autre côté pour affronter l’une des mes plus grandes peurs : le quartier Dix30. Car oui, les centres commerciaux font partie de mes phobies. Ce n’est rien contre Brossard; le Carrefour Laval et le Centre Eaton sont deux endroits que je préfère aussi éviter. Mais une visite du REM ne serait pas complète sans un passage au Dix30.

En émergeant du corridor en verre qui enjambe l’autoroute, deux personnes me demandent où elles peuvent trouver un restaurant. Je leur réponds que je ne connais pas trop le coin. Comme moi, elles sont venues faire un tour de machine et se sont dits qu’une visite au centre commercial s’imposait.

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« On vient pas souvent dans des centres d’achat », s’empresse d’ajouter l’une des deux. Elle dit ne pas avoir été particulièrement impressionnée par la vue à bord du REM (« les gares de triage, c’est pas super intéressant »), mais croit que le panorama sur le centre-ville sera plus joli au retour.

Mes déambulations me mènent à un centre de surf intérieur, au théâtre L’Étoile (dont la programmation pourrait peut-être attirer des Montréalais.es pour une soirée festive sur la Rive-Sud), puis au magasin éphémère Shein (qui est déjà fermé).

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« On espère que le REM va amener de la visibilité à la Rive-Sud et à la région », confie l’employée de la Maison du tourisme de la Montérégie, où mon exploration du Dix30 se termine. Le problème, c’est que les attraits touristiques, à part le centre commercial, ne sont pas si proches que ça des stations du REM. Mes options de visites à proximité sont limitées, puisque je ne suis pas en voiture.

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Selon mon interlocutrice, c’est surtout la station Panama qui bénéficiera du REM, puisque c’est un gros hub duquel partent beaucoup d’autobus. Toutefois, elle semble avoir encore besoin d’être convaincue de l’utilité du nouveau train : elle dit que son trajet entre la maison et l’École de technologie supérieure, où elle commencera un baccalauréat à la fin de l’été, n’est réduit que de quelques minutes par le REM par rapport à l’autobus.

Dernier arrêt

En revenant dans la station Du Quartier, je vois trois employés avec les mains plongées dans les boîtes électriques, ce qui fait naître en moi la crainte d’une autre panne. Dans l’aire d’attente, un bruit constant, strident et aigu ajoute une couche d’inquiétude. Heureusement, le train arrive à l’heure prévue et m’amène à bon port.

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De la station Panama, une courte marche me permet d’atteindre la boulevard Taschereau. Avec ses quatre voies de chaque côté, ce n’est pas le lieu idéal pour une marche, mais j’ai un objectif en tête qui est de me rendre à l’épicerie asiatique Kim Phat, de l’autre côté du mastodonte d’asphalte.

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Autour de moi, en plus de Kim Phat, je vois les enseignes de restaurants chinois, coréens et vietnamiens. Bref, un mini strip mall d’un autre continent dans un océan de bitume. 13 % de la population de Brossard est d’origine chinoise et le quart des habitant.e.s ont des racines asiatiques.

En revenant sur mes pas, le sac à dos plus lourd d’une boîte de rice cakes, d’un pot de chili crisp et d’un thé glacé miel et citron, je suis accosté par un homme méfiant qui pointe ma caméra. « Vous êtes venus prendre des photos? » Je lui explique que je tente de trouver le chemin le plus rapide pour retourner au REM et que mon application m’a suggéré le rond-point où se trouve sa maison.

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Il se détend alors et m’indique que, pendant le week-end, plusieurs personnes ont tenté la même chose, avant de se rendre compte que le sentier suggéré par leur téléphone passait sur des terrains privés. Je retourne donc vers le bon chemin en me disant que quelques marcheurs un peu perdus valent bien l’augmentation de valeur qu’a dû avoir sa propriété avec l’ouverture d’une station de train à une distance de 100 mètres.

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Le retour offre effectivement un beau point de vue sur Montréal. Le wagon est plus rempli que ce matin et les gens se succèdent en avant pour prendre selfies et vidéos. Mes pensées reviennent à ma discussion du matin avec Sarah V. Doyon. « J’ai envie que [le REM] soit encourageant pour le déploiement de nouveaux projets. On avait besoin d’une victoire [pour avoir] la volonté politique d’aller plus loin. »

La sortie de la station Panama.
La sortie de la station Panama.

Vers 23h, lundi soir, une autre interruption de service d’une heure a forcé la mise en place de navettes pour dépanner celles et ceux qui l’empruntaient peut-être pour la première fois.

Le REM est peut-être la fin du monde tel qu’on le connaît, mais le réseau doit encore faire ses preuves.