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« Même lorsque nous mangeons l’iftar tous ensemble, nous sommes conscients qu’à Gaza, certains doivent se contenter de nourriture pour animaux. Il est difficile d’apprécier chaque bouchée en pareilles circonstances. »
Depuis le 10 mars dernier, dès que le soleil se couche, à travers le monde musulman, les fidèles se réunissent pour rompre leur jeûne et partager un repas appelé l’iftar. On imagine de grandes tables garnies de plats fumants délicieusement parfumés. Pour beaucoup, ce mois est synonyme de solidarité au sein de la communauté.
Cependant, observer cette pieuse tradition prend une signification particulière dans le contexte des événements à Gaza, tout comme à Montréal où l’insécurité croissante se fait ressentir, rendant les célébrations plus complexes.
Portrait de la générosité en temps de crise.
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Situé au cœur animé de la rue Saint-Denis, Mama Khan est un charmant petit restaurant pakistanais qui tire son nom de sa cheffe, également infirmière de jour. Si c’est son fils, un ancien portier, qui tient le fort en soirée, ce sont ses recettes originaires du Peshawar qui mijotent sur les fourneaux.
Issue d’un milieu modeste, la famille n’avait jamais imaginé qu’elle ouvrirait un jour son propre établissement. « Nous avons grandi dans un quartier pauvre. Opérer un restaurant ici, sur une rue aussi exotique pour nous, près du centre-ville, c’est quelque chose dont nous sommes fiers », explique Abdul Raziq Khan devant l’établissement qu’il dirige depuis trois ans.
Mais est-ce difficile de cuisinier pendant le ramadan? « Oui! Je ne peux pas goûter mes propres plats, alors je fais appel aux papilles de mon cuisinier hindou! »
Natif de Parc-Extension et toujours résident de ce quartier, l’entrepreneur de 28 ans souligne le caractère communautaire de cette période de l’année. Ayant grandi au rythme des iftars à la mosquée, l’ambiance accueillante du restaurant se veut empreinte du même esprit de convivialité.
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« Grâce à notre programme de bons en échange de repas gratuits, les clients ont l’opportunité de profiter et de participer au financement des iftars pour autrui. »
Au menu : riz, légumes, lentilles, dattes, kadhi pakora et Rooh Afza, une boisson à base de citron et d’eau de rose.
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Grâce aux contributions, le restaurant estime avoir servi plus de 600 repas, érigeant ainsi une chaîne de générosité qui place la faim de l’Autre avant les profits.
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Assis à nos côtés se trouve Ahmed Mousattat, le président du chapitre Islamic Relief du Collège Dawson. Originaire d’Alep, en Syrie, il est arrivé au Québec en 2019 et s’est rapidement engagé dans ce programme dédié au parrainage et à l’aide humanitaire dans les pays musulmans. L’organisme vise à répondre aux besoins essentiels d’orphelins tels que l’éducation, l’alimentation et le logement.
« J’ai connu la révolution syrienne et ensuite celle en Égypte. Je suis chanceux d’être encore en vie. Pour moi, le ramadan a toujours été synonyme de bons souvenirs, mais aujourd’hui, quand je brise le jeûne, je ne peux m’empêcher de penser à mes frères et sœurs qui sont en train de mourir en Palestine », explique-t-il dans un français irréprochable.
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Malgré les centaines d’heures investies depuis octobre dernier et les milliers de dollars amassés, Ahmed se dit traversé par un sentiment d’impuissance ainsi que d’humiliation. Le lendemain de mon passage, il orchestrera une levée de fonds pour Gaza chez Mama Khan, parvenant à recueillir plus de 3000$.
« C’est très difficile d’être satisfait de ce qu’on fait en sachant que ce n’est jamais assez », admet-il.
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Depuis maintenant quatre ans, Meryem Zemouri s’efforce « d’en faire assez » à son restaurant Le Goût du Bled, bien implanté à Saint-Léonard.
Elle regarde sa montre, répond à un appel. Malgré le tumulte de la préparation, la propriétaire trouve le temps de s’arrêter pour répondre à mes questions, alors que des dizaines de bras s’activent autour de nous avant l’ouverture des portes. Au total, une cinquantaine de bénévoles se relaient jour et nuit pendant l’entièreté du mois sacré.
Devant l’établissement, une file s’étend à perte de vue, attendant dans le froid le début de la distribution. Alors que Mama Khan semblait davantage être un restaurant aux grandes tables propices aux rassemblements, ici, on parle plutôt d’une distribution alimentaire à grande échelle, attirant un nombre important de gens dans le besoin.
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« Un bon repas apaise et réconforte après une longue journée de jeûne. Servir la chorba ou les boureks – des mets traditionnels algériens – permet aussi de briser la solitude en évoquant les souvenirs des plats que nos mères préparaient. Malheureusement, les temps sont durs. Chaque soir, on est à court de stock et certains doivent repartir les mains vides. »
Et ce, malgré la montagne de plats étalés devant nous.
Ce soir, tout comme hier et demain, pas moins de 1300 repas seront distribués par le restaurant.
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« Viens voir ce qui se passe au sous-sol », me dit-elle avec un large sourire. En bas, une autre équipe s’affaire à préparer des portions énormes. Le nombre de volontaires qui se sont mobilisés est franchement impressionnant.
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Pour mener à bien ce projet d’envergure, Meryem met son espace à disposition et prend en charge les coûts fixes, tandis que le reste est financé intégralement par la communauté.
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Imad, responsable de l’équipe du soir, me serre la main avec un serpent autour du cou. « Le ramadan n’est pas pour moi, déclare-t-il. C’est pour les autres. Je prends un mois de congé sans solde, ou même, je démissionnerais, si nécessaire. »
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Je lui demande si le ramadan de cette année est plus lourd en émotions en raison des événements à Gaza. « C’est une réalité dans laquelle nous sommes nés, nous avons grandi avec cela, répond-il. L’Algérie et la Palestine, c’est un seul peuple, une seule âme. Mais en ce moment, le problème, il est aussi ici, dans nos rues. Le manque d’emplois, de logements, d’opportunités. C’est très difficile. »
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Au moment de tirer le portrait de Meryem, le groupe entier se met à chanter et danser. L’ambiance est électrique.
Ça y est, la porte s’ouvre enfin, et malgré le froid qui entre, le thermomètre du cœur ne fait que monter.
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Dans le Petit Maghreb, des hommes sortent du Café Safir en inspectant le contenu de leurs sacs en papier. Depuis dix ans, ce petit restaurant prépare, chaque soir du ramadan, plus de 120 repas pour rompre le jeûne.
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« Pour ce soir, un restaurant nous a offert du poulet, un autre des légumes pour la soupe, explique le chef Salah Benkhalfa. Le jeûne n’est pas seulement physique, il est aussi spirituel. Il nous permet de mieux comprendre la faim, de ressentir la pauvreté. Cela nous aide à mieux saisir ce que vivent les habitants de Gaza. »
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Le groupe de bénévoles confie ressentir moins de plaisir cette année, mais qu’il est nécessaire de séparer la politique internationale du ramadan. « L’essentiel, c’est d’aider celui qui a faim. Tunisien, Malien, Marocain, il n’y a pas de nationalité dans l’aide à son prochain », lance Larbi Sabri, qui semble connaître tous les habitants du quartier.
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« Des gens dans le besoin, je n’en ai jamais vu autant », poursuit-il en se grattant la barbe.
Bien loin des grandes tables opulentes remplies de plats succulents, le ramadan semble avant tout l’occasion de tisser des liens avec le divin, mais surtout avec son voisin.