.jpg)
Ahuntsic-Cartierville, mon patelin. Je m’y baladais à vélo, avec mon BMX bleu. Je traversais le Bois-de-Liesse jusqu’au boulevard Gouin, et je pédalais dans le trafic automobile, jusqu’à la maison de mes grands-parents, à un jet de pierre de l’ancien parc Belmont. Si je m’en sentais la forme, je continuais vers l’est, jusqu’à attraper la piste cyclable qui se déroulait aux pieds de la rivière. Parfois, je me prenais un blizzard au Dairy Queen sur Henri-Bourassa tout juste avant d’appeler mon père pour qu’il vienne me chercher.
Voici mes coups de cœur.
L’Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal
.jpg)
Débutons par le commencement, le mien, mon lieu de naissance : l’Hôpital du Sacré-Coeur. Ma mère y travaillait comme infirmière, et décida d’y mettre au monde ses trois enfants. On peut dire que Maman a su concilier travail et famille.
L’Hôpital du Sacré-Cœur est édifié en 1926 par les architectes Viau et Venne, les mêmes qui tracèrent les plans de l’Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal et du Collège Jean-de-Brébeuf. C’est du boulevard Gouin Ouest, tronçon principal de la région, que l’on peut apercevoir le portail en fer qui s’ouvre vers une allée d’arbres anciens, vous guidant vers un monumental centre ouvragé à forme angulaire, d’où s’étirent deux ailes enveloppantes comme les bras des bonnes Sœurs de la Providence qui fondèrent l’institution en 1898. Si l’Hôpital s’est modernisé depuis, on ressent, en pénétrant son enceinte, ce vague sentiment de flotter en des temps anciens, des temps de guerres ou de tuberculose…
La prison de Bordeaux
.jpg)
De l’Hôpital, on met les voiles vers l’Est jusqu’à la clôture industrielle à barbelés de la prison de Bordeaux. Cet édifice captivant, construit entre 1908 et 1912 d’après les plans de l’illustre architecte J-Omer Marchand, est composé d’une tour centrale, massive, bouchonnée d’un dôme et d’une coupole lui conférant presque une allure religieuse. De cette tour s’étire cinq ailes symétriques, comme autant d’excroissances, permettant aux oiseaux d’en goûter la forme pentagonale.
Bien sûr, un édifice carcéral, aussi patrimonial soit-il, vient avec son lot d’histoires sinistres. C’est ici, jusqu’en 1960, qu’étaient pendus les condamnés à mort. 82 pour être exact. Dont trois femmes. Toujours le vendredi, toujours après minuit. Lugubre…je sais. Et durant quelques années, c’est l’oncle de ma grand-mère, un dénommé Plouffe, médecin de son état, qui avait l’insigne honneur de constater le décès avant que ne retentisse le tocsin, question d’aviser les environs que justice venait d’être rendue. Aujourd’hui, si vous tenez à visiter l’endroit, je vous conseille un méfait de niveau intermédiaire. Voie de fait grave, disons. Visez deux ans moins un jour!
L’Église de la Visitation
.jpg)
Plus loin à l’Est, toujours sur le boulevard Gouin, se vautre une majestueuse église en pierres grises, au style classique, sortie tout droit de la Nouvelle-France. Assurément, l’incontournable du quartier. C’est d’ailleurs ici, en 2004, que j’avais envisagé épouser ma blonde de l’époque! Ça n’a pas eu lieu. La rupture eut d’ailleurs lieu un peu plus loin, rue Fleury, où nous habitions. Ce lieu symbolise donc le naufrage évité, pour moi.
L’Église de la Visitation, érigée entre 1749 et 1751 soit quelques années avant la conquête britannique, trône bien haut sur la liste du patrimoine architectural de Montréal. Bien que la façade et les clochers aient été retouchés, l’intégrité de sa structure de pierre en fait l’église la plus ancienne de l’île de Montréal. L’aînée de la famille et la fierté du Saut-au-Récollet! Si la relative sévérité de son aspect extérieur vous fait tourner la tête, sachez que l’habit ne fait pas le sulpicien, car l’intérieur est d’une grande délicatesse. On y baigne dans une opulence parfaitement oxygénée, sans le caractère étouffant de l’ostentation victorienne. Je vous invite donc à retirer chapeaux et casquettes, et à franchir le seuil de la porte. Vous me remercierez plus tard.
Le Manoir Molson-Macdougall
.jpg)
On rebrousse poil vers l’Ouest, via Gouin, direction l’autoroute 13. Cette portion du secteur Ahuntsic-Cartierville fut jadis une entité distincte. Saraguay prit son envol en 1914, avec l’arrivée de quelques grandes familles montréalaises à la recherche d’un lieu exclusif pour se bâtir de somptueuses villas d’été. Avec son prestigieux club de golf, son terrain de polo, ses hectares de forêt propice à la chasse à courre et son caractère riverain, Saraguay fut, durant quelques décennies, témoin du mode de vie royal de cette haute bourgeoisie anglophone dont faisait partie Mary-Dorothy Molson, fille du président de la brasserie du même nom. Elle épousa Hartland Campbell Macdougall, un courtier en valeurs mobilières, et ensemble, en 1930, ils mandatèrent l’architecte Alexander T.G. Durnford de leur construire un magnifique manoir néo-Georgien aux abords de la rivière. Ils y coulèrent des jours heureux jusqu’en 1974, avant que, quelques années plus tard, la propriété fût achetée par la ville de Montréal. Subséquemment, elle vous appartient chers payeurs de taxes montréalais! Ne vous privez donc pas d’aller y jeter un œil, chose que je faisais régulièrement, à l’adolescence. J’en étais venu à connaitre le gardien, un vieil homme payé par la Ville pour surveiller l’endroit. Je m’assoyais sur le muret de pierre avec lui, alors qu’il enchainait les cigarettes en me racontant sa vie d’une voix rauque, pleine de solitude. Il me laissait visiter l’intérieur, les appartements des domestiques, la serre où Madame Molson faisait pousser les végétaux qui ornementaient ses jardins. Puis un jour, il n’y était plus. La Ville avait aboli le poste. Je ne le revis jamais.
L’île Paton
Permettez-moi une coquetterie, pour finir en beauté. Un rêve d’enfance. Un débordement qui ne fait pas partie d’Ahuntsic-Cartierville à proprement parlé, mais en lien direct avec le secteur. Un lieu imaginé, grâce à un vieux livre sur l’histoire de Saraguay que je feuilletais chez ma grand-mère. Le voici. Tant qu’à se trouver au manoir Molson-Macdougall, rendez-vous à l’arrière, descendez l’escalier en pierre qui mène jusqu’à l’eau, arrêtez-vous un instant, et regardez droit devant, sur l’autre rive. De vulgaires tours à appartements, direz-vous. Dans le mille. La preuve irréfutable de l’importance pour une collectivité de préserver son patrimoine naturel autant que bâti. Parce qu’avant le quelconque de ces tours, avant le lotissement, avant l’aval des instances en quête de taxes foncières, avant la violence du développement immobilier, il y avait là le plus exquis des jardins anglais, et le plus remarquable des manoirs. Une île, propriété de Hugh Paton, homme d’affaire et premier maire de Saraguay. Soixante hectares de ravissement. Les Jardins de Métis en pleine Rivière-des-Prairies. C’eût été le plus délicieux des parcs, le plus enchanteur des espaces publics de la couronne montréalaise. À défaut d’avoir le livre de ma grand-mère, regardez « The Island » sur le moteur de recherche du Musée McCord, digne gestionnaire de la collection du photographe William Notman. Vous y admirerez ce qu’aurait été le cinquième lieu patrimonial de ce texte. Et vous pourrez lâcher un juron!
En somme, s’il est difficile pour moi de résumer, d’encapsuler un secteur aussi garni et vaste qu’Ahuntsic-Cartierville, il m’est facile d’y retrouver ce sentiment d’insouciance, du tout à explorer, à découvrir. Avec ses odeurs, ses gens et ses lieux ancrés, immortels. Parce qu’au fond, ce que j’aime le plus de ce quartier, c’est ma jeunesse.
Pour découvrir d’autres quartiers de Montréal avec Heritage Montréal: « Le quartier Verdun et ses hotspots architecturaux »