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Le problème avec les comédies musicales

On va régler ça une fois pour toutes.

Par
Jean-Philippe Cauchon
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Désolé aux personnes avec qui j’ai fait des galipettes : je n’ai jamais eu d’orgasme aussi puissant qu’en voyant Hello, Dolly! sur Broadway.

Et je vis très bien avec ça.

Y’a pas plus grande extase que quand les corps, les voix et les instruments d’un groupe d’artistes fonctionnent en parfaite symbiose pour raconter une histoire.

Alors pourquoi est-ce que j’entends encore les abominations suivantes au moins une fois par semaine?

« Moi, les comédies musicales, pas capab’. »

« Pourquoi ils font pas juste parler normalement? »

« J’aimerais mieux m’arracher l’œil et le manger en sushi plutôt que d’entendre un autre personnage se mettre à chanter en plein milieu d’une scène. »

Si tu as déjà prononcé pareils blasphèmes, j’ai de petites choses à éclaircir avec toi.

Crédit photo : Alexandre Cotton
Crédit photo : Alexandre Cotton
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Les comédies musicales ne sont pas toutes des comédies musicales

Est-ce qu’on peut vraiment décrire Les Misérables comme une « comédie »? Ben c’est ça. Le théâtre musical, comme on devrait l’appeler, c’est un art qui va beaucoup plus loin que la petite histoire sirupeuse qui finit toujours pareil. On peut aller dans la comédie noire qui finit super mal avec Sweeney Todd, dans le drame intimiste avec Fun home (à quand une version québécoise??!?) ou même dans le récit de vie d’une artiste genderqueer comme dans Hedwig et le pouce en furie, que j’ai vu jeudi au Studio TD, à Montréal.

Crédit photo : Alexandre Cotton
Crédit photo : Alexandre Cotton
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Si je te résumais bêtement la vie du personnage de Hedwig, ce serait le récit le plus lourd et le plus déprimant que t’aurais entendu de ta vie. Prostitution, erreurs médicales, relations toxiques, pauvreté, agressions : tout y est.

Ça sert à ça, la musique. Sublimer la souffrance pour en faire quelque chose de délicieusement divertissant.

Mais dans l’enrobage musical néo-glam post-punk que les créateurs du spectacle ont choisi pour raconter son histoire, tout d’un coup, cette histoire de souffrance prend une énergie survoltée. Déchaînée, même. On rit de bon cœur et on a le goût de danser, même en sachant que les blagues cochonnes et les guitares électriques cachent un mal-être inimaginable.

Ça sert à ça, la musique. Sublimer la souffrance pour en faire quelque chose de délicieusement divertissant.

Le théâtre musical, c’est pour le théâtre

Le cinéma donne mauvaise réputation aux histoires qui contiennent des chansons. Dire que t’aimes pas les comédies musicales après avoir vu Grease et Mamma Mia!, c’est comme dire que t’aimes pas aller au restaurant après être allé chez Subway et à la cafétéria du Ikea.

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En fait, le cinéma est un médium qui crée une illusion de réalité. C’est ça qui est formidable dans un film : nous pouvons oublier que tout ceci n’est qu’artifice et croire que c’est la vraie vie qui se déroule devant nous. Dans cette optique-là, c’est sûr que quand Good morning, Baltimore commence à jouer, l’illusion est scrappe.

Crédit photo : Alexandre Cotton
Crédit photo : Alexandre Cotton

Et parfois, comme dans Hedwig, les personnages sont parfaitement conscients qu’ils sont en train de chanter!

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Au théâtre, on a toujours une certaine conscience qu’on observe de la fiction. Et donc, on a beaucoup plus de facilité à accepter que les personnages évoluent sur un niveau de réalité exagéré, surélevé par rapport au nôtre.

Et parfois, comme dans Hedwig, les personnages sont parfaitement conscients qu’ils sont en train de chanter! Le personnage-titre arrive en nous souhaitant la bienvenue à son concert « tant attendu » et, plus loin dans sa setlist, nous invite même à chanter avec elle en mode karaoké. Plus besoin de se demander : « Pourquoi elle chante? »

Rafraîchissant, non?

Crédit photo : Alexandre Cotton
Crédit photo : Alexandre Cotton
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Le facteur cringe

Aversion, dégoût, envie de vomir, allergie nécessitant une injection d’épinéphrine : y’a du monde qui sont vraiment pas bien quand Julie Andrews chante Do ré mi.

Perso, je peux pas comprendre que Julie Andrews suscite autre chose que l’adoration. Donc nos codes génétiques doivent être programmés différemment, non? C’est comme la coriandre : y’en a qui ont le gène qui rend la chose insupportable, y’en a qui ont le gène du plaisir.

Ce n’est pas qu’on ne ressent pas le cringe, mes ami.e.s fans de théâtre musical et moi. C’est qu’on l’embrasse.

Je pensais ça, avant. Mais j’ai changé d’idée.

Pas fou, moi.

Ce n’est pas qu’on ne ressent pas le cringe, mes ami.e.s fans de théâtre musical et moi. C’est qu’on l’embrasse.

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Ce petit frisson, cette petite tension qui arrive quand la chorégraphie de My Shot commence, on le laisse nous envahir. On choisit de laisser la bizarrerie de la chose venir nous gratter les chakras.

Crédit photo : Alexandre Cotton
Crédit photo : Alexandre Cotton

Quand Hedwig, accompagnée de son Pouce en Furie, grimée de bord en bord et surmontée d’une perruque qui a pas de bon sens, nous susurre sa passion pour son sugar daddy en faisant de la danse en ligne, c’est cringe, d’autant plus qu’on sent quelque peu la traduction et qu’on se dit que ça devait être meilleur en langue originale.

Mais on s’en fout! Faut pas essayer de combattre le cringe.

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Ce qui fait grincer des dents, c’est de résister à l’assaut des paillettes et des notes hurlées et des mouvements scabreux et des larmes de mascara et de la colère étincelante.

Détends la mâchoire et laisse-toi emporter par la folie et l’intensité. Tu vas découvrir un nouveau monde de sensations et qui sait? Peut-être atteindras-tu l’orgasme théâtral?

Crédit photo : Alexandre Cotton
Crédit photo : Alexandre Cotton

Jusqu’au 4 février au Studio TD, à Montréal.

En tournée au Québec jusqu’au 26 mai.

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