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Le problème avec la quête des fesses «parfaites»

Squats, crèmes volumatrices et implants : la journaliste et autrice Rokhaya Diallo s'interroge sur les origines et les dérives de ce nouveau critère de beauté.

Par
Pauline Allione
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En 2013, Miley Cyrus affole la Toile en twerkant dans un body argenté sur la scène des MTV Video Music Awards. La chanteuse pop n’a rien inventé, mais à la suite de sa prestation, on secoue ses fesses en cadence partout sur la planète. En 2014, c’est au tour de Kim Kardashian de casser l’internet en affichant son fessier bombé et huilé en couverture de Paper Magazine.

Plus de doute, le fessier plein et rebondi est à la mode : on le voit dans les clips, les téléréalités, sur les réseaux sociaux… Dans son documentaire Bootyful diffusé sur France.tv Slash, la journaliste et autrice Rokhaya Diallo interroge les origines de ce nouveau critère de beauté et les dérives de la quête aux belles fesses.

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Comment est née l’idée de faire un documentaire sur les fesses?

On parle des accidents relatifs à la chirurgie esthétique depuis longtemps, et il y a quelques années, j’ai vu un sujet sur les accidents liés aux implants fessiers. J’ai réalisé que des seins, on était passés aux fesses, et ça m’a remis sous les yeux quelque chose que j’avais déjà remarqué : les fesses sont devenues très importantes dans l’esthétique féminine. Je me suis dit que ça vaudrait le coup d’interroger cette nouvelle norme.

À partir de quand les fesses pleines et rebondies sont-elles devenues un critère de beauté?

Dans beaucoup de communautés en Amérique du Sud, en Afrique ou afro-descendantes, les fesses pleines et rebondies sont considérées comme un critère de beauté depuis très longtemps. En revanche, en France, et dans l’espace mainstream, ce n’était pas du tout le cas jusqu’au milieu de la dernière décennie. On voit des femmes avec des grosses fesses dans les clips de rap depuis les années 90, mais c’est vraiment dans les années 2010 que ce critère s’est étendu à la pop culture, et chez les jeunes générations, il est important d’avoir de belles fesses. On le voit sur les réseaux sociaux, mais aussi dans les chansons. Booba disait : « Si t’as pas de fesses t’as wallou », Aya Nakamura parle souvent des fesses comme d’un critère de beauté, déjà dans son premier hit Comportement… C’est devenu quelque chose d’important et de valorisé.

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Avant d’être connotées sexuellement et de devenir un critère esthétique, les grosses fesses sont surtout devenues un caractère racial aux yeux des Européens. L’histoire de Sarah Baartman est très significative sur ce point, pourriez-vous expliquer de qui il s’agit?

Sarah Baartman est une jeune femme originaire d’Afrique du Sud qui a émigré en Europe sous l’impulsion d’un promoteur de spectacles à la fin du 18e siècle. Elle appartenait au groupe ethnique des Hottentots et sa silhouette était assez caractéristique de l’endroit dont elle était originaire : elle était petite, avec un haut du buste assez étroit, des hanches développées et des fesses très rondes. Cette anatomie a fait d’elle une curiosité en Europe, où elle a été exhibée de manière absolument odieuse, exploitée dans des bordels, victime d’agressions sexuelles…

Elle est morte à 25 ans dans des conditions atroces et après sa mort, son corps et ses organes génitaux ont continué d’être exploités, disséqués et étudiés. Ses restes ont été exposés au musée de l’Homme à Paris jusqu’au début des années 70 et son corps n’a été rendu en Afrique du Sud qu’en 2002. C’est une femme qui a été victime de l’exposition coloniale, et son histoire ainsi que celles d’autres femmes montrent qu’à un moment de l’Histoire, on a considéré que les fesses étaient un trait racial, que l’on a associé aux femmes noires en particulier.

«Pour moi, c’est une manière d’étendre la domination patriarcale en mettant les femmes dans une position d’inconfort et en exigeant toujours d’elles qu’elles aient des corps inaccessibles.»

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Ce critère de beauté est aussi très paradoxal puisque pour y correspondre, il faut des grosses fesses tout en restant mince…

Ce qu’on valorise, c’est effectivement des grosses fesses avec une taille fine, un ventre plat, un buste menu… Des choses qui sont anatomiquement très rares et qui ne sont accessibles que par la chirurgie ou un sport très ciblé. Pour moi, c’est une manière d’étendre la domination patriarcale en mettant les femmes dans une position d’inconfort et en exigeant toujours d’elles qu’elles aient des corps inaccessibles. Ce qu’a investi Kim Kardashian dans son corps n’est pas à la portée de tout le monde : il faut de l’argent, du temps, recruter du personnel pour faire tel type de sport… Toutes les femmes n’ont pas de telles ressources. Les premières poupées Barbie avaient des mensurations impossibles avec des jambes d’une taille incroyable, et c’est toujours la même manière d’exposer des corps féminins considérés comme parfaits mais qui n’existent pas dans la vraie vie, ou très peu.

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À quels dangers s’exposent les femmes qui veulent faire grossir leurs fesses?

C’est un business absolument juteux et les réseaux sociaux permettent à toutes sortes de personnes de faire de la publicité pour des prestations qui permettent de modifier son anatomie et notamment de faire grossir les fesses. Ces personnes attirent les femmes avec des tarifs plus accessibles, mais les exposent à des risques d’accidents d’injections, de fuites… Certaines en sont mortes. On est mieux protégé.e.s entre les mains d’un.e professionnel.le de la santé, mais on n’est jamais à l’abri d’un accident, et c’est ce dont témoigne Ocean Pacifik, que l’on voit dans le documentaire. Lorsqu’on se place volontairement sur la table d’un.e chirurgien.ne sans nécessité médicale, on s’expose à un risque pour des raisons esthétiques. Et puis dans le commerce, il y a des pilules, des crèmes et des huiles complètement invraisemblables, qui font perdre de l’argent et nourrissent les espoirs de femmes qui n’en verront jamais les bénéfices.

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Votre documentaire aborde l’hypersexualisation des fesses féminines, le racisme, mais aussi la réappropriation des femmes de leur corps et sensualité, comme le font certaines rappeuses. Dans quel sens aimeriez-vous voir le regard porté sur les fesses évoluer ?

Déjà, j’aimerais que le corps ne soit pas uniquement considéré dans son aspect esthétique. Le corps est un moteur, un instrument de sport et de puissance physique, il nous transporte et nous accompagne toute notre vie, il ne peut pas être réduit à ce qu’il représente dans le regard de l’autre. Le plus important pour moi, c’est que les femmes se saisissent de tout ce qui a trait à leur corps et qu’elles gagnent en autonomie dans la faculté à prendre des décisions sur ce qui concerne leur corps, sur ce qui est beau ou non, ce qui leur fait du bien… Parce que le corps est aussi un espace qui permet de nous faire du bien, et c’est très important.

C’est d’ailleurs exactement ce que l’on voit dans le documentaire, avec la Booty Therapy.

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Tout à fait. Le propos de Maïmouna (la créatrice de la Booty Therapy, ndlr) est thérapeutique. Elle est partie de ses propres traumas et des violences sexuelles qu’elle a subies pour créer un espace où l’on désexualise les fesses, ce n’est pas quelque chose qui est voué à plaire ou à déplaire. Dans plein de cultures, on considère que les hanches et les fesses sont les sièges des émotions, et on utilise cet espace là pour faire circuler les énergies, les émotions, s’amuser et sortir du prisme du regard de l’autre.

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Ce texte a d’abord été publié sur urbania.fr
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