.jpg)
Mais qui se cache derrière « Le pro des DVD »?
Quartier latin, Petite Italie, boulevard Saint-Michel, métro Henri-Bourassa comme Pie-IX; récemment, partout où je vais à Montréal, je croise de mystérieuses pancartes faisant la promotion d’une boutique Marketplace « Le Pro des DVD ». Affichage sauvage s’il en est, l’aspect rudimentaire de sa fabrication frappe autant l’imaginaire que son abondance. À chaque nouvelle rencontre, mon intérêt pour le Banksy du DVD s’amplifie. Mais qui se cache derrière cette étrange offensive publicitaire DIY?
Pour assouvir cette curiosité qui me dévore, j’ai suivi la seule instruction que ces affiches proposent : checker son Marketplace.
.jpg)
Après quelques courriels, Jean-François Hall, le pro des DVD en personne, m’accueille dans son appartement de Rosemont où il m’explique la genèse de son projet.
« Tout a commencé il y a deux ans, quand mon voisin un peu ramasseux s’est fait évincer. Pas loin de 5 000 DVD se sont retrouvés à la rue. Le bloc s’est mis à piger dedans. J’en ai pris 1 500. En deux-trois mois j’avais tout vendu! », raconte-t-il sur un ton étonné.
Deux années se sont écoulées. L’homme âgé de 40 ans, qui fait carrière sur les plateaux de tournage, a dû subir l’été dernier une importante intervention chirurgicale. Il a vu sa convalescence comme une fenêtre de temps pour reprendre la business. « Je me suis mis à acheter des lots de DVD à gauche pis à droite. Du monde qui vident leur sous-sol. 200 ici, 300 là. Tranquillement, une petite clientèle s’est formée. »
Au lendemain des élections provinciales d’octobre dernier, Jean-François commence à rassembler les pancartes des candidat.e.s. « Pour mes affiches, je me suis inspiré du gars “J’achète vos maisons cash”. Je m’installais ici sur mon p’tit bureau et m’appliquais minutieusement à chaque étape : la coupe, le message, les trous. J’en ai depuis posé plus de 1 000, mais il y en a une bonne gang qui ont sauté », confie l’homme originaire de Varennes, confortablement installé au cœur d’une pièce envahie par les boîtiers en plastique.
.jpg)
Fort d’un succès enviable durant le temps des Fêtes, le pro des DVD estime que 50% de sa clientèle a été directement ou indirectement interpellée par sa campagne d’affichage. « Les gens prennent des photos, se les partagent. À force de passer toujours aux mêmes places, ça rentre peut-être un peu dans l’inconscient de la population. »
Il me confie d’ailleurs qu’il planifie stratégiquement chaque installation. Un peu avant Noël, il a concentré plusieurs affiches dans le coin des Galeries d’Anjou avant de les retirer début janvier pour les installer dans un autre lieu. « Je voulais en mettre sur Sainte-Catherine, mais je savais que ça allait partir rapidement. J’en ai donc posé deux jours avant la parade du père Noël. Elles sont restées une semaine! », clame-t-il, un soupçon de fierté dans la voix.
.jpg)
« J’en bouge beaucoup, mais j’ai mes spots de prédilection, poursuit-il. À l’entrée et à la sortie du pont Jacques-Cartier, autour du Centre Bell. J’ai spotté des poteaux à côté de la bâtisse de TVA, précisément là où les journalistes se plantent pour faire leur direct. J’y ai vu de la pub gratis! Mais y’a quand même une game avec les cameramen, parce que certains la virent de bord ou ne font pas le focus dessus, alors je les change de poteaux, les agrandis pour avoir un meilleur impact à la télévision! Des compagnies mettent des milliers de dollars pour passer à la télé! À part le tie-wrap, j’ai jamais mis une cenne. »
Du génie.
.jpg)
Jean-François est toutefois conscient que l’aspect clandestin et un peu punk de sa démarche peut déranger. « J’ai juste reçu un message disant : “Cessez votre pollution visuelle”. J’ai affiché Beaubien à grandeur, mais elles sont parties vite. Masson en 48 heures, pu rien. T’sais, c’est de bonne guerre. »
.jpg)
Malgré l’importante chute en popularité du film en format physique, il estime qu’il reste encore une part de passionné.e.s toujours intéressé.e.s à gonfler leurs collections, des irréductibles qui aiment avoir les films à portée de main.
« Je fais surtout de la vente aux particuliers, ajoute-t-il. J’ai une clientèle régulière d’une quarantaine de clients qui en achète à chaque semaine. J’en vends aussi dans les magasins, les pawn shops, les marchés aux puces. C’est trois-quatre piastres chaque et toujours négociable. J’achète un peu partout : des fournisseurs, des lots en ligne, je trouve des restants de club vidéo, de l’over de Renaissance qui se retrouve perdu dans des entrepôts. Les sources sont variées », précise Jean-François.
Selon ses calculs, il a acheté 25 000 DVD depuis juillet pour des ventes cumulant 19 000 exemplaires.
Impressionnant pour un médium à l’article de la mort.
.jpg)
Si toute cette aventure a bizarrement commencé par une éviction, puis une opération, ralentir n’est pas dans ses plans. « Je m’en vais justement chercher un lot de 1 500 DVD plus tard dans la journée. Et les pancartes vont continuer. Je n’ai pas vu d’autres campagnes d’affichage qui ont copié ma technique jusqu’à présent. Je pense en installer sur Jean-Talon, peut-être la Main. Je ne cherche pas une notoriété là-dedans, mais juste une façon de rejoindre le monde », conclut-il avec le sourire.
Tout juste avant de se quitter, il m’offre en souvenir une affiche de sa collection.
Je glisse dans mon sac ce cadeau précieux.
Le mystère est résolu.