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Le prix du gros

Par
Simon Painchaud
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Ce texte est extrait du #29 spécial Gros, présentement dans les kiosques.

Un frigo extra-large : 850 $. Un lazy-boy en suède vert : 325 $. À son émission The Price is Right, Bob Parker avait compris une facette importante de la nature humaine : l’homme est motivé par un profond désir de quantifier tout ce qui l’entoure.

Combien coûte l’obésité? La question est tellement large qu’elle pourrait occuper deux sièges d’avion. Pour y voir clair, notre journaliste a rencontré trois poids lourds dans leur domaine.

Comme chaque année, au début du mois de janvier, je suis allé faire mon tour à la Mecque du gros format : le Costco. J’aime le Costco. C’est un pèlerinage qui me permet de vivre, pendant quelques instants, tel un hobbit dans un monde trop grand pour lui. Chaque fois, j’y sillonne les allées larges et sombres, comme une boulette de steak haché qui fait paisiblement son chemin à travers le gros intestin.

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En poussant mon chariot à travers les énormes pots de mayonnaise, les elliptiques et autres appareils de sports de salon, je me suis demandé si la société occidentale ne vivait pas l’un des plus beaux paradoxes de son époque. D’un côté, nous n’avons jamais été aussi gros mais, du même coup, nous n’avons jamais fait autant d’efforts pour perdre du poids : l’obésité et sa cousine, l’obsession de la minceur, sont en vente partout.

Ce jour-là, à la sortie du magasin, j’ai jeté un coup d’œil sur mon imposante facture où figuraient un gros pot de margarine, un paquet de 20 sacs de popcorn et quelques paquets XL de crottes de fromage. En observant la liste de mes achats et, surtout, le montant inscrit dans le bas, je me suis demandé si l’obésité pesait aussi lourd sur l’économie que les gras trans sur ma facture.

Alors qu’une grande partie de la population traîne un excès de poids, tenter d’apposer un coût à ce phénomène de société semblait un exercice tout à fait à propos. Pour répondre à la question, j’ai donc contacté la référence sur le sujet de l’obésité, Catherine Gervais, économiste et conseillère scientifique à l’Institut national de santé publique du Québec.

Un enjeu économique de taille?
« Nous sommes tous plus gros qu’il y a 30 ans. En une seule génération, il s’est produit des changements majeurs au sein de la société québécoise », me dit d’entrée de jeu l’économiste. En trois décennies, les Québécois ont gagné en moyenne 10 kilos, soit l’équivalent en poids de deux bras additionnels. Aujourd’hui, plus de la moitié des adultes présentent un problème de poids, dont un cinquième est obèse ?et un tiers a un surplus de poids.

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Cette enflure collective s’accompagne d’une facture sucrée et salée, adressée au système de santé. « Une étude effectuée par des médecins canadiens et publiée en 2006 affirmait que les maladies liées à l’obésité entraînaient des coûts de six milliards de dollars seulement au Canada », m’indique Catherine Gervais. Pour arriver à ce chiffre, les chercheurs ont estimé les coûts directs et indirects de 18 maladies associées à l’obésité sur le système de santé. Le hic, c’est que ces résultats sont difficiles à confirmer (ou infirmer) : ce genre d’étude est rare au Canada.

Au Québec, royaume des restaurants Valentine, une seule étude sur le sujet est disponible. Publiée par l’organisme partisan Coalition Poids, l’étude avance des chiffres qui font osciller la balance de l’équilibre budgétaire au Québec : l’obésité aurait coûté 700 millions de dollars aux Québécois en 1999-2000. C’est l’équivalent de 295 047 trios double quart de livre fromage au McDo chaque jour pendant un an, ou encore de 5,8 % du budget annuel consacré à la santé.

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D’après Catherine Gervais, le coût du surpoids collectif ne se fait pas seulement sentir dans les poches du gouvernement, mais sur le marché du travail. « En réduisant la prévalence de l’obésité dans la société québécoise, les gens vivront plus longtemps et plus en santé. Une meilleure forme physique, ça implique une plus grande productivité et moins d’absentéisme au travail », dit-elle. Mais encore là, difficile d’apposer un chiffre concret, faute d’études canadiennes valables.

Après avoir passé quelques heures à essayer de comprendre des études sur l’obésité grosses de même rédigées par des gars en sarrau qui auraient dû prendre des cours de vulgarisation scientifique avec Charles Tisseyre, j’ai baissé les bras. Il y avait une limite à faire parler les chiffres.

À la suite de mon entretien avec la chercheuse, je me suis dit que parler de l’impact économique de l’obésité sans parler des coûts sociaux, c’était comme manger des ailes de poulet sans ses mains. J’ai donc pris rendez-vous le lendemain matin avec un sociologue spécialisé dans la santé et l’exclusion sociale.

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What’s up, le gros?

Une fois arrivé à son bureau exigu, j’ai posé la question d’entrée de jeu à Henri Dorvil, professeur d’origine haïtienne débarqué au Québec il y a une trentaine d’années. « Lorsqu’un nouveau comportement social comme l’obésité arrive, le reste de la société l’observe afin de savoir s’il va, oui ou non, remettre en question l’idéologie dominante », me dit-il.

L’obésité étant un phénomène relativement récent, notre regard sur celui-ci s’est transformé au cours des 20 dernières années. « On est passé d’une stigmatisation physique à une stigmatisation mentale », poursuit-il. En d’autres mots, alors qu’on ostracisait autrefois les obèses en raison de leur apparence physique, on le fait maintenant pour des raisons psychologiques : les personnes obèses étant perçues plus fragiles mentalement. C’est entre autres ce qui expliquerait pourquoi ces personnes — victimes du regard de l’autre — développeraient des problèmes comme une faible estime de soi, un complexe d’infériorité ou encore une dépression.

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La suite à lire dans le #29 spécial Gros, présentement dans les kiosques.

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