Logo

Le premier porte-à-porte de Laurence Parent

Un après-midi de canicule avec la candidate de Projet Montréal.

Par
Hugo Meunier
Publicité

Cette semaine, Laurence Parent ira se faire coiffer en prévision de la photo pour ses pancartes électorales. Une peccadille pour la plupart des candidat.e.s, mais pas pour celle qui brigue le district De Lorimier dans Le Plateau-Mont-Royal pour Projet Montréal. « J’ai trouvé une place dans le quartier. On m’a dit qu’il y aurait une rampe. Ça va être un test! », souligne Laurence, qui milite depuis des années pour améliorer la vie des gens avec des limitations fonctionnelles.

Née à Québec avec un handicap, elle a développé au fil du temps une expertise dans les enjeux liés à la mobilité réduite, en faisant notamment partie, depuis quatre ans, du conseil d’administration de la Société de transport de Montréal (STM).

Elle m’a donné rendez-vous en après-midi au parc Lafontaine, à l’ombre des arbres pour échapper un peu à la canicule. Elle a prévu faire un peu de «porte-à-porte» mais version parc, pour se présenter à ses électeurs. C’est la première fois qu’elle fait ça de sa vie, et ça la stresse un peu que ce soit devant un journaliste. Grosse journée, puisqu’elle rencontre aussi son équipe pour la toute première fois : Oscar, un enseignant bénévole membre du parti depuis la première heure, et Andréanne, qui travaillent pour les élu.e.s du Plateau depuis une dizaine d’années.

Publicité

Laurence avait 17 ans lorsqu’elle a déménagé à Montréal. Après avoir grandi dans un milieu « normalisé » où elle était la seule personne de son entourage vivant avec un handicap, elle découvre à la dure que la vie urbaine sera parsemée d’obstacles. « J’avais le même désir d’indépendance que tout le monde à cet âge. La première fois que j’ai essayé d’aller rejoindre un ami au centre-ville, j’ai mis une heure juste pour me rendre de La Petite-Patrie au métro Mont-Royal », raconte Laurence, qui s’était butée à une panoplie de problèmes mille fois vécus par les personnes à mobilité réduite.

« La rampe (d’accès) sur l’autobus ne fonctionnait pas sur Saint-Denis et le transport adapté est long à prévoir et pas très adapté pour des jeunes. C’est sans compter les bars et les restaurants où on ne peut même pas entrer », se remémore-t-elle.

«Quand j’étais jeune, malgré la frustration, je ne savais pas que c’était de la discrimination. Tu t’adaptes, tu t’arranges, tu te limites…»

Publicité

Des irritants qui demeurent malheureusement d’actualité. Une évaluation remontant à une dizaine d’années sur les artères commerciales Mont-Royal et Masson avait dénombré que plus de la moitié des adresses n’étaient pas accessibles pour les fauteuils roulants, souligne Laurence.

Elle aimerait d’ailleurs remettre ces statistiques au goût du jour, surtout dans l’optique où plus de 100 000 personnes vivent avec des limitations fonctionnelles à Montréal et que la population vieillit. « Quand j’étais jeune, malgré la frustration, je ne savais pas que c’était de la discrimination. Tu t’adaptes, tu t’arranges, tu te limites… », confie la candidate, qui a pour sa part aiguisé son militantisme durant son parcours scolaire, brillant, qui l’a mené à décrocher une maîtrise à Toronto et un doctorat à Concordia.

Publicité

Parallèlement, Laurence a co-fondé (avec Linda Gauthier, Maria Barile et Gary Guay) en 2009 le Regroupement des activistes pour l’inclusion au Québec (RAPLIQ), puis Québec accessible en 2015, dont le principal mandat était d’enchâsser une loi québécoise plus musclée en matière d’accessibilité et d’inclusion des personnes en situation de handicap, comme c’est le cas en Ontario, notamment.

«C’est sûr que c’est aussi essentiel d’essayer de faire des changements de l’intérieur, ça fait des années que je dis que ça prend plus de représentativité sur la scène politique»

Publicité

Le saut dans l’arène politique constitue une suite logique. « C’est sûr que c’est aussi essentiel d’essayer de faire des changements de l’intérieur, ça fait des années que je dis que ça prend plus de représentativité [pour les personnes en situation de handicap] sur la scène politique », explique avec aplomb Laurence, qui devra jongler avec ses rôles de militante et, espère-t-elle, de politicienne, dans lequel elle est capable de faire preuve de diplomatie.

La femme de 36 ans a déjà une ceinture noire troisième dan en zénitude pour avoir enduré toutes sortes de comportements discriminatoires tout au long de sa vie. « Encore aujourd’hui, les gens me demandent souvent s’ils peuvent m’aider à entrer dans des commerces. Malgré leurs bonnes intentions, je veux être capable de rentrer toute seule et mon fauteuil pèse 150 livres », fait valoir Laurence, qui me raconte ensuite sa première entrevue d’embauche à 17 ans. « C’était une job de bureau à Rosemont-La Petite-Patrie. Le gars m’a vue arriver et m’a dit : avoir su, on ne t’aurait pas appelé…»

Publicité

Si elle a embarqué avec le parti de Valérie Plante, c’est d’abord parce que son administration parlait beaucoup de mobilité lors de la dernière campagne. Est-ce que Projet Montréal a livré la marchandise? Laurence estime que la STM fait son possible, mais que les défis sont énormes, sans compter la pandémie. À l’heure actuelle, 17 stations de métro sur 68 abritent des ascenseurs, alors que l’objectif est de rendre le souterrain accessible à 100% d’ici 2038. Un objectif ambitieux admet Laurence. « Mais quand je suis arrivée à Montréal en 2002, il y en avait zéro », nuance-t-elle, pragmatique.

Les paris sont ouverts pour découvrir si l’accessibilité à toutes les stations surviendra avant l’inauguration de la ligne rose.

Publicité

En attendant, Laurence Parent s’apprête à vivre sa première campagne électorale, bien consciente que l’accessibilité n’est pas le seul dossier des élus municipaux. « Il y a les problèmes de poubelles, les ruelles vertes, les rénovations, l’apaisement de la circulation, les enjeux de stationnement, les écoles, les parcs, etc. », énumère Laurence, qui a fait ses devoirs même si elle habite le quartier voisin, La Petite-Patrie. « Bien sûr j’aimerais dire que je vis dans le quartier, mais je n’habite pas en terres étrangères, je suis juste à côté et je suis souvent ici », admet la candidate, qui vit avec un chat nommé « Taxi », un clin d’oeil à l’ataxie du félin.

Elle se dit très bien épaulée par son équipe, qui lui apporte le soutien nécessaire. « Juste en matière de déplacement, de gestion d’horaires, de porte-à-porte. C’est une réalité que je n’ai pas eu besoin d’expliquer de A à Z », louange-t-elle.

Publicité

Assez de blabla, c’est l’heure d’aller à la rencontre de l’électorat qu’elle courtise. Le soleil est toujours assommant, le parc est plutôt tranquille. Elle brise la glace avec une jeune femme en train de pianoter sur son téléphone cellulaire sur un banc de parc, « Bonjour madame, je veux vous présenter Laurence Parent, notre nouvelle candidate pour le district De Lorimier », lance d’abord Andréanne, en tendant un dépliant sur lequel apparaît le visage souriant du maire sortant Luc Rabouin.

Laurence se présente à son tour, demande à la citoyenne si elle a des questions, des préoccupations. L’échange est cordial, Laurence est comme un poisson dans l’eau. Clairement un premier vote facile.

Un camelot de l’Itinéraire débarque sur l’entre-fait. L’équipe de Laurence lui achète le dernier numéro. « Bonne chance, je te souhaite le plus d’accessibilité possible! », affirme ce dernier à la candidate.

Notre tournée du parc se poursuit. La majorité des gens se défile, détourne le regard, évoque un manque de temps, parfois avec un crisse d’air bête. Pas facile la politique.

Publicité

Le petit cortège a plus de succès auprès d’un groupe de personnes âgées près du terrain de pétanque. Beaucoup même. Une dame dénonce vertement la présence des vélos et des scooters sur l’avenue Mont-Royal piétonnière. « Je marche sur le trottoir, c’est trop dangereux. J’ai failli me faire tuer par un vélo », peste-t-elle.

Son ami suggère l’imposition d’un cours de sécurité obligatoire pour tous les cyclistes, tandis qu’une autre se plaint du système de ventilation extrêmement bruyant d’un restaurant grec en face de chez elle.

Mon empathie pour les politiciens grimpe en flèche.

La dame accapare pendant au moins une vingtaine de minutes Laurence avec son histoire de ventilation. Elle a clairement besoin de ventiler (Dieu me jugera). Laurence est d’une patience olympique, à l’écoute, même si la dame n’est pas de son district. « Oui je vous comprends, c’est normal, il fait chaud et c’est pas évidemment dormir dans ce temps-là », compatit-elle.

Publicité

La tournée du parc achève. « C’est pas facile, on prend les gens par surprise, mais c’est concret et c’est l’fun! », résume Laurence, qui apprécie jusqu’ici son baptême.

Sur le chemin du retour, elle doit faire un détour dans le gazon à cause d’un dos d’âne particulièrement surélevé sur le trottoir.

Une métaphore des nombreux détours qui l’attendent sans doute encore jusqu’en novembre prochain.